Sans trace - CHAPITRE 19
Chapitre 19
Mercredi 15 octobre
Je sors difficilement d’un profond sommeil. Je tends mon bras pour voir l’heure sur mon téléphone. Six heures quarante cinq. Il est un peu tard. Si je veux aller à l'école, je dois me lever tout de suite. Je n’en ai pas la force, le sommeil me réclame encore. Tant pis. Mes parents ne m’en voudront pas si je manque encore un jour d’école. Je repose mon téléphone et me blottis dans mes couvertures. Je me rendors aussitôt.
Je me réveille quatre heures plus tard. Mais qu’est-ce qui m’arrive? Ce n’est pas mon genre de dormir aussi longtemps.
Je me lève, et quand je vois mon reflet dans le miroir, j’ai peur. J’ai les cheveux en bataille, mon pyjama est moche, et sans maquillage, j’ai l’air d’un cadavre.
Un sentiment de frustration commence à monter en moi. Ça fait une semaine que Daniel a disparu et on n’a toujours aucune idée de ce qui lui est arrivé. Ça fait une semaine qu’on vit dans un total inconnu.
Pourquoi ne l’ont-ils toujours pas retrouvé? Que lui est-il arrivé? Ça fait sept jours longs et interminables qu’on se ronge les sangs.
Je n’en peux plus !!!
J'agrippe la première chose qui me tombe sous la main et je la balance à l’autre bout de ma chambre. C’était mon manuel d’histoire. C’est l’école qui nous le prête pour l’année, mais je m’en fous si je ne leur remets pas en bon état. Quel importance la qualité d’un livre peut-elle avoir en ce moment?
Aucune!!
Toujours rageuse, je saisis brusquement mon coffre à crayons et le lance lui aussi de toutes mes forces. N’étant pas fermé, tous mes crayons s’éparpillent partout dans ma chambre.
Pourquoi Daniel a disparu comme ça? Pourquoi?? Que lui est-il arrivé, sibole! Qu’il revienne!
Je ne me sens pas rassasiée. La colère bouillonne encore en moi. J'empoigne mes couvertures et les arrache de mon lit. Je lance le couvre-lit à par terre, puis le drap en dessous. Le drap contour me donne du fil à retordre alors je tire comme une déchaînée. Ne voulant pas s’arracher, je me mets à lui crier après.
- Lisa!
La voix paniquée de ma mère se fait entendre de l’autre côté de la porte. Cette dernière s'ouvre aussitôt.
- Lisa, qu’est-ce qui se passe?
Elle me regarde, sidérée.
- Quoi? Qu’est-ce que tu veux? crie-je en jetant violemment mon drap qui ne veut toujours pas s’arracher de mon lit.
Mon style matinal et ma colère qui jaillit de partout, je dois avoir l'air possédée du démon.
- Qu’est-ce que tu as?
- D’après toi! Quand est-ce qu’ils vont le retrouver, hein? QUAND?
Devant ma crise, maman semble plus inconfortable qu’en colère. Mais je n’ai pas envie de la ménager.
- Lisa, calme toi, s’il-te-plait.
Me calmer? C’est bien ce que j’avais besoin d’entendre pour fulminer davantage.
- Je suis dans ma chambre! craché-je. Tu n’as pas à venir gérer les émotions que je dois avoir ici!
Je lui ferme la porte au nez. Elle n’insiste pas.
Maintenant à nouveau seule, je me jette à plat ventre sur mon matelas à moitié découvert. Je crie dans mon oreiller.
Après quelques minutes, mon esprit s’est calmé. Mon cœur bat moins vite que tout à l’heure et je n’ai plus envie de tout briser.
En me levant de mon lit, je constate l’état de ma chambre. C’est le bordel dans la pénombre. Je n’avais même pas encore pris le temps d’ouvrir mes rideaux. J’exécute enfin cette étape. Le soleil pénètre dans la pièce. Je ramasse ensuite ce que j’ai fait tomber. Le livre d'histoire qui n'est heureusement pas dans un si mauvais état. Puis je replace chaque crayon dans mon étui.
Quand je retombe face à mon miroir, je me trouve dégueulasse. Je me dépêche de m'habiller. Je ne veux plus avoir sur le dos ce pyjama qui est à présent le symbole de ma colère.
Je sors enfin de ma chambre avec toutes les couvertures de mon lit dans les bras. Tant qu’à les avoir enlevées, aussi bien les laver. Je les mets dans la laveuse et je vais ensuite dans la salle de bain pour arranger ma tête démoniaque.
Je me maquille. Beaucoup. Je tiens à me cacher derrière le fond de teint et le eye-liner. Je ne veux plus reconnaître la fille colérique de ce matin. La possédée du démon qui crie après sa mère.
Même une fois habillée, coiffée et maquillée, je me dégoûte toujours autant. Mais je n’ai plus rien à faire alors je descends affronter ma mère. Je remercie néanmoins le ciel que mon père soit au travail. Je n’ose pas imaginer sa colère contre moi. J’espère seulement que maman ne va pas lui raconter tout ça.
Quand j'arrive au salon, je tombe sur Maverick. Eh! merde, je n’avais pas pensé qu’il aurait été là pour m’entendre.
- Tu n’avais pas décidé de retourner à l’école? lui lancé-je en mode défensive.
- Et toi tu as décidé d’arrêter d’y aller à ce que je vois, me relance-t-il.
En effet. Je crois que je deviens comme mon frère ; je ne vois plus d'intérêt à aller à l’école.
Sans répondre, je m'assois à côté de Maverick. Je me relève aussitôt quand je vois maman sortir de la cuisine.
- Maman, je suis désolée!
C’est vraiment faible, je sais. Je n’ai rien trouvé de plus pertinent à dire. Mais c’est sincère. Je suis réellement désolée.
- C’est correct, Liz. Non, je n’ai pas aimé que tu cries après moi, mais tu as le droit d’être en colère.
Elle me parle comme un robot. Je ne me sens pas nécessairement mieux. On dirait qu’elle exprime un texte appris par cœur.
- Ça vous dérange si j’écoute la télé? nous demande-t-elle, changeant de sujet.
- Ben non, dis-je.
- Pas du tout, ajoute Maverick.
Maman s’allonge alors sur l’autre divan et allume la télé.
J'en profite pour aller déjeuner dans la cuisine. Maverick s’assoie à l'îlot. Il me regarde verser mes céréales dans un bol.
- Qu’est-ce qu’il y a? lui demandé-je tannée qu’il me dévisage.
- T’es belle ce matin.
Je ris jaune. C’est vrai que j’y suis allée fort sur mon apparence. J’ai judicieusement choisi un eye-liner mauve. J’ai enfilé un chandail de la même couleur et une jupe jaune, courte et ajustée.
- Tu ne m’as clairement pas vue tantôt.
- Non mais je t’ai entendue.
- Vas-y, sors-moi tes leçons, dis-je en allant rapporter la boîte de céréales dans le garde-manger.
- J’allais pas te faire la morale.
- Ah non?
- Ben non, je me sentais mal pour toi.
Je lui lance un regard interrogateur. Je verse le lait dans mes céréales alors qu’il s’explique.
- Ça m’a fait de la peine de te voir toute bouleversée. Tu n’as pas à avoir honte.
- T’es gentil.
Je m'assois à côté de lui pour manger mon déjeuner. On ne dit plus un mot, mais je me sens bien en sa présence, et je sens que c'est réciproque.
* * *
Il est dix-sept heures. Mon père rentre du travail.
- Allô! nous salut-il à travers la maison.
Nous lui répondons en cœur, sauf maman qui se trouve à l’étage.
La journée était assez tranquille. J’ai passé la majorité de mon temps avec Maverick, même si on ne parlait pas beaucoup. J’ai décidé de m’avancer le plus possible dans mes devoirs, mais je n’ai pas été très productive. Maverick, c’était pire. Il n’a pas ouvert un seul cahier. Il a joué avec son appareil-photos tout l’après-midi. De temps à autre, j'entendais le déclencheur de l’appareil. Il a pris plusieurs photos de moi qui faisait mes devoirs, écrasées dans le coin du divan. Parfois, je levais les yeux sur l'objectif, et je lançais un sourire en coin. Maverick souriait, caché derrière son appareil.
- Elle est bonne? lui ai-je demandé une fois.
- Oui, t’es très belle, m’a-t-il répondu en gossant sur son jouet.
Je retournais à mes devoirs et lui à ses tests de photos.
Ce soir, papa nous trouve sur le divan. On a pas vraiment bougé de la journée.
- Tu n’es pas allé à tes cours aujourd’hui, Maverick? demande papa en passant devant nous pour aller à la cuisine.
- Non.
Papa se sert un verre d’eau. Il fixe Maverick d'un air inquiet.
- Je sais que ce qu’on vit est difficile, mais tu ne peux plus manquer l’école comme ça.
- Euh, j’y suis allé hier, renvoie-t-il, sur la défensive.
- C’était ta seule journée d’école en une semaine. C’est loin d’être suffisant. Maverick, le cégep, ce n’est pas comme le secondaire. Tu as pris énormément de retard. Ça va être difficile de tout rattraper.
- Je n’aurai qu’à annuler ma session, rabroue-t-il.
- La date d’abandon est déjà passée. Si tu annules ta session, ça va être désastreux pour ta cote R.
- C’est déjà trop tard, papa! Je n’y arriverai pas.
- Ne dis pas ça. On va t’aider.
- Dis-moi donc comment?
- On va faire un plan, on va t’accompagner… N’importe quoi mais on trouvera quelque chose pour que tu sois bien encadré.
Mon frère tourne la tête vers moi, l’expression pieuse. Comme s’il m'envoyait un appel à l’aide avec son regard. Mais je ne sais pas comment intervenir dans cette conversation.
- Je pense à ton avenir, poursuit papa. Et à quel point tu étais enthousiaste de commencer ce programme. Je sais que tu es dans un domaine qui te passionne et ça me fait mal de te voir négliger tes études.
- Tu penses pas que c’est normal que je néglige mes études? dit-il piqué au vif. Ça n’a plus d’importance, maintenant.
- Maverick, ç’a toujours de l’importance. Couler ta session ne nous aidera pas à retrouver Daniel.
- Je sais bien mais… je n’y arrive pas…
- Il faudra trouver un moyen…
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise? s’emporte-t-il. Je ne suis pas comme toi, et je ne suis pas comme Liz. Je ne peux pas continuer de travailler comme si de rien n’était.
Maverick croit que j’arrive à poursuivre ma scolarité sans problème, sans que la disparition de Daniel ait un impact sur mes performances. Les apparences sont trompeuses. Oui, il m’a vue toute la journée avec la tête dans les cahiers, mais je n’ai pas avancé beaucoup de choses. Je n’ai plus la tête à ça, moi non plus. Bien que la première semaine, j’aie continué d’aller à l’école et à étudier, maintenant, ça commence à devenir trop difficile. N’a-t-il pas réalisé que ça fait deux jours que je ne suis pas allée à l’école? Je croyais, moi aussi, que je pourrais continuer, comme si de rien n’était. Mais la fatigue me rattrape. À part pour le théâtre qui met un baume sur mes plaies, l’école m’épuise.
- On ne fait pas comme si de rien n’était, le reprend papa, visiblement offusqué. Ce n’est pas ce que je te demande non plus. Mais tu ne peux plus manquer tes cours.
- Mais même quand j’y vais, je n’arrive plus à écouter les profs. J’ai essayé d’y retourner, ne serait-ce que pour voir mes amis à l’école mais assister aux cours…. je ne suis pas capable. Je n’ai plus rien dans mes notes de cours, c’est rendu trop pour moi.
La sonnette interrompt la conversation. Je me lève d’un bond pour aller répondre.
C’est Marc Gélinas.
Ma respiration se coupe un instant. Est-ce qu’il vient nous poser d’autres questions, ou bien il arrive avec des nouvelles?
- Bonjour Lisa. Est-ce que tes parents sont là?
Papa apparaît dans l’entrée avant que je ne n’aie le temps de répondre.
- Oui, je suis là.
- J’ai d’importantes nouvelles. Votre conjointe est là aussi?
- Oui, à l’étage. Je vais la chercher.
Papa monte tandis que j’invite monsieur Gélinas à s'asseoir avec nous au salon.
Maverick et moi, on se partage un regard inquiet.
Mes parents descendent les marches. Maman se dirige vers Marc qui se lève aussitôt.
- Bonjour monsieur Gélinas, lui dit-elle en essayant de ne pas avoir trop l’air dans les vapes.
- Bonjour madame Forand. Asseyez-vous, je vous en prie.
Maman s’installe sur la causeuse et papa auprès d’elle. Maverick et moi sommes restés ensemble. On fixe tous monsieur Gélinas, appréhendant ce qu’il est venu nous annoncer. Il prend trop de temps avant de parler. Qu’est-ce qui se passe? Daniel est mort?
Marc inspire un bon coup avant de se lancer.
- Je suis désolé de devoir vous annoncer ça mais, on a retrouvé le corps de Daniel dans le lac ce matin.
- Oh non! gémit ma mère.
Maman se liquéfie. Les larmes se déversent sur ses joues. Son visage se décompose. Elle s’accroche à mon père comme à une bouée. Lui, je ne pourrais pas affirmer s'il est soulagé ou anéanti.
De mon côté, une vague de terreur m'envahit. Des images morbides de Daniel me viennent à l’esprit. Je le vois poussé à l’eau. Je le vois, se noyer douloureusement, couler au fond du lac, sans que personne ne lui vienne en aide.
- Avez-vous une idée de ce qui lui est arrivé? demande papa la voix rauque.
- On ne peut rien affirmer pour l’instant. Il faudra attendre les résultats de l’autopsie pour se prononcer.
Maman pleure à chaudes larmes, mais je ne l’entends pas. Je n’arrive plus à entendre ce qui se dit autour de moi. Mon cœur part à la renverse. Ça ne peut pas être possible. Je ne peux pas m’imaginer ne plus revoir mon frère. Plus jamais je ne le verrai se promener dans la maison. Il ne viendra plus me voir pour me raconter ces histoires. Je ne pourrai plus écouter de films avec lui le samedi matin. Il n'entrera plus dans ma chambre sans frapper pour venir me parler.
J’ai tellement mal.
- À présent, on aurait besoin qu’un de vous deux aille identifier le corps. Surtout, prenez votre temps. Je sais à quel point c’est difficile.
- Mon dieu, je ne peux pas Olivier, pleure ma mère. Je ne peux pas. J’en suis incapable.
Je serais tentée de dire la même chose mais j’ai encore en travers de la gorge ce que Maverick m’avait reproché quelques jours plus tôt. Même s’il s’est excusé, je ne peux m’empêcher d’avoir peur de ce qu’il pense de moi. Je n’aime pas passer pour une insensible qui ne sait pas affronter la vie.
- C’est correct, Kristelle. Je vais y aller.
- Je vais venir avec toi, dis-je à mon père.
- Non, je ne veux pas que tu vois ton frère comme ça.
- Mais je dois voir la vérité en face.
- Lisa! Il est en décomposition depuis des jours. Il a été mangé par les… Tu ne veux pas voir ça.
Maman grimace et ferme les yeux, tentant probablement encore de chasser ces horribles images que vient de décrire papa.
Peut-être a-t-il raison. Voir Daniel dans cet état ne pourrait que me faire du mal. Des plans pour me traumatiser à vie. Mais comment ferai-je pour croire que Daniel est vraiment mort? Pour l’instant, je n’ai aucune preuve.
En ce moment, mon frère est tout seul dans le froid d’un réfrigérateur, prisonnier de la noirceur. Je ne peux pas le laisser comme ça. Je dois lui montrer que sa grande sœur est là. Quand bien même je ne vais pas le voir directement, je veux me rapprocher de lui.
- Je vais y aller tout de suite, annonce papa. Comme ça, on en aura rapidement le cœur net.
- Est-ce que je peux au moins t’accompagner? tenté-je d’une petite voix.
Papa pose les yeux sur moi. Son regard s'adoucit, bien qu’il garde une expression d’angoisse et de torture.
- Oui, bien sûr, concède-t-il.
- Ça vous dérange si je reste ici? pleure maman, se sentant visiblement coupable.
- Je vais rester avec toi, maman, la rassure Maverick.
Je ne saurais dire s’il se propose de rester par inquiétude pour maman et pour lui assurer un réconfort, ou si c’est par peur d’aller à la morgue.
En signe de soutien, maman prend la main de Maverick.
- Allons-y qu’on puisse revenir le plus tôt possible.
Je suis mon père jusque dans la voiture. On ne parle de tout le trajet.
Une fois dans la salle d’attente, j’essaie de me faire toute petite assise sur la chaise.
- Monsieur Olivier Forand?
Papa et moi levons notre tête en un seul mouvement. Un homme en blouse blanche se tient devant nous. Il ne nous connaît pas, mais il sait ce que nous sommes venus faire. Je le vois dans ses yeux. On peut y lire beaucoup de compassion.
- Vous êtes prêts?
Papa fait signe que oui, avant de se lever, même si je sais très bien qu’il ne pourra jamais être réellement prêt pour ça. L’homme me jette un regard interrogatif.
- Est-ce que tu v…
- Je vais rester ici.
- D'accord. Vous pouvez me suivre, indique-t-il à mon père.
Avant qu’il ne disparaisse dans le corridor, je lance à papa un regard que j’espère encourageant. Je veux qu’il sache que je suis derrière lui. Je crois qu’il a compris. Il me répond par un hochement de tête à peine perceptible, puis il disparaît.
Combien de temps cela prendra-t-il? Est-ce que ce ne sera qu’une seconde? Il voit Daniel et puis il repart? Dans quel état reverrai-je papa? Lui qui verra Daniel, sous la forme d’un cadavre en décomposition. C’est de son fils dont il s’agit. Son garçon, son petit dernier. Je ne comprends pas comment il pourrait encaisser un tel choc.
C’est tout ce qu’il reste de Daniel à présent. Il ne sera plus le garçon bien vivant et vif d’esprit que je connais. Je n’entendrai plus jamais sa voix. Ma gorge se coince, elle me brûle. Les larmes me montent aux yeux. Je les essuie du revers de la main. Je ne veux pas que papa me voie pleurer quand il reviendra. C’est lui qui aura besoin de soutien. Pas moi.
Après seulement quelques minutes, le revoilà. Je me lève d’un bon, comme prête à l’accueillir, me préparant à tout. Son expression est difficile à déchiffrer. Ses traits sont durs, ses sourcils n’ont jamais été aussi froncés.
Il n’est pas en colère. Il tente seulement de ne pas craquer. De ne pas s’effondrer.
- C’est bien lui on y va.
Il a récité sa phrase en un bloc.
Après avoir refermé la portière de la voiture, il ne démarre pas tout de suite. Il joue nerveusement avec le volant. Je crois qu’il tente d’encaisser ce qu’il a vu.
- Tu veux en parler, papa? tenté-je pour le délivrer de ses pensées.
- Je ne peux pas parler de ça avec toi, Liz.
- Ben oui tu peux. C’est mon frère quand même.
Il se retourne enfin vers moi. Dans ses yeux, je vois qu’il est brisé, encore plus que lorsque Marc Gélinas nous a annoncé la découverte du corps de Daniel. Le voir me regarder de cette façon me tord le cœur.
- Je sais bien que c’est ton frère, ma belle, mais comment il était… je ne veux pas que tu aies cette image de lui.
- Et c’est pour ça que je ne suis pas allée le voir, mais tu peux me parler, au moins.
Il soupire fort avant de dire :
- Ça n’aurait jamais dû arriver.
Je me demande à quoi il pense exactement. Est-ce qu’il se repasse le fil de la soirée du 7 octobre dans sa tête? Se remémore-t-il le moment où j’ai appelé maman quand j’étais dans le stationnement avec Maverick et Nadia? Est-il en train d’imaginer ce qui a pu arriver à Dan?
Ce silence est trop pesant. J’ai besoin de le couper.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant?
- Ils vont faire une autopsie pour savoir ce qui est arrivé, m’explique-t-il, puis après, ils vont nous laisser faire ce qu’on veut avec le… avec le corps.
Cette phrase sonne trop tordue.
- Et qu’est-ce qu’on va faire avec le corps?
- On va probablement le faire incinérer puis organiser des funérailles, éventuellement.
Des funérailles.
On est rendus à cette étape. Enterrer mon petit frère, je ne suis pas prête à ça. Je ne suis pas prête à accepter que Daniel soit…
Mort.
Une boule de feu se forme à nouveau dans ma gorge. J’aurais besoin d’un verre d’eau pour la faire passer mais on est dans la voiture. Je dois l’endurer.
Papa démarre enfin. Le coude appuyé au bord de la fenêtre, la tête posée dans ma main, je regarde le paysage défiler sous mes yeux, alors que je pleure la mort de mon frère.
* * *
La lune est pleine ce soir et comme je n’ai pas fermé mes rideaux, sa lueur éclaire l’entièreté de ma chambre. Je tiens à garder cette lumière toute la nuit. Elle m’aide à ne pas sombrer entièrement dans la détresse et la solitude.
J’ai entendu mon père pleurer dans sa chambre ce soir. Encore une fois, la porte était fermée. Notre maison est remplie de portes fermées depuis le drame. Je peux au moins me consoler en me disant que ma mère était avec lui. Je vois bien que mes parents veulent éviter de nous montrer leur vulnérabilité à Maverick et à moi. Le problème, c’est que ça ne fait que nous nuire, d’autant plus que ça ne fonctionne pas du tout. À quoi ça sert de vouloir le cacher? Je le sais qu’ils sont anéantis. Mon père vient de voir son fils dans un état épouvantable et il ne pourra jamais ôter cette image de son esprit. Je ne peux pas imaginer ce qu’il doit vivre en ce moment.
Quand papa et moi sommes revenus de la morgue, nous avons été accueillis par une maison vide. Présumant que maman et Maverick étaient dans leurs chambres, nous avons monté les escaliers. Ma mère pleurait à chaudes larmes, étendue sur son lit. Papa est tout de suite allé la réconforter. Ne supportant pas de la voir comme ça, je me suis enfermée dans ma chambre. Je me trouve lâche. Je n'arrive même pas à être présente pour ma famille.
Que s’est-il passé? Comment Daniel s’est-il retrouvé au fond du lac? Dans quelques semaines, nous aurons les résultats de l'autopsie qui devrait permettre de répondre à toutes nos questions. Ou du moins, en partie. En fait, j’en doute. Que révéleront ces tests? Ils informeront comment Daniel est mort? Il a été tué par quelqu’un qui l’a ensuite jeté à l’eau? Je ne sais pas si je pourrais supporter qu’on m’annonce une telle chose. Encore moins supporter la réaction qu'aura ma famille. Papa est torturé, maman est démolie et Maverick est muet comme une tombe. Qui sait s’il n’est pas en train de se détruire en silence? Ma famille se désagrège et je suis impuissante.
Pourquoi a-t-il fallu que je perde Daniel de vue ce soir-là? Je ferais n’importe quoi pour le ravoir auprès de moi. Je le veux vivant.
Je finis par m'endormir non sans cauchemars. Je vois Daniel tomber à l’eau, je le vois mort, je le vois fâché contre moi…
Mon frère me hante toute la nuit.
C’est atroce!!! Un cauchemar!
RépondreSupprimerPas facile pour la famille, ni pour personne
RépondreSupprimer.nî
Merci Corinne,
RépondreSupprimerde nous avoir partagé ton roman . C' était stressant, mais un bon roman détective.