Sans trace - CHAPITRE 1

 



Chapitre 1

Jeudi 24 juin

- Liz, tu peux aller chercher les assiettes en cartons? Elles sont au-dessus du réfrigérateur.

Je m’appelle Lisa, mais tout le monde m’appelle Liz. J’obéis à ma mère et dépose le paquet d’assiettes sur le comptoir.

- Des assiettes en carton? Maman, t’es sérieuse?

- Ben quoi? Comme ça on n’aura pas besoin de faire la vaisselle ce soir.

Ce soir, nous fêtons la Saint-Jean-Baptiste. Toute la famille, nous passons la journée à préparer la soirée. Ma mère a invité sa sœur qui viendra, bien sûr, avec son mari et leurs deux enfants. C’est le début de l’été, le début des vacances, les premiers barbecues. La festivité est dans l’air. Cependant, je suis légèrement déçue que ma mère ait acheté des assiettes en carton pour le souper.

- Comme si faire la vaisselle allait être un calvaire. Voyons, c’est vraiment pas écologique. On va faire plein de déchets pour rien. Ils ont coupé des arbres pour fabriquer ces objets inutiles.

- Liz, soupire maman, faisant semblant d’être découragée. Veux-tu bien arrêter de vouloir sauver la veuve et l’orphelin?

Elle me sort cette expression quand j’exprime des idéaux idéalistes ou quand je dénonce les injustices de ce monde. Chaque fois, ça me fait rire. Tout le monde dans la famille prend un air gentiment exaspéré quand je joue à la militante frustrée. J’aime les agacer avec ça.

Je lui réponds par une grimace qu’elle ne voit pas car elle est trop occupée à faire les boulettes de viande.  

- Maman! dit mon petit frère Daniel sur un ton enfantin. Liz vient de te faire une grimace.

- Oh toi espèce de stool, lui lancé-je faussement fâchée. Je vais te chatouiller jusqu’à ce que tu t’étouffes.

Alors que Daniel me dévisage de son regard de canaille, je saute sur lui et j’exécute ma menace. Mon frère se tortille de rire. Je n’ai jamais compris pourquoi, mais depuis qu’il est tout petit, il adore se faire chatouiller. Moi, je démolis celui qui ose me faire ça. On me touche les côtes et je deviens agressive.

Notre mère n’est pas dérangée par notre boucan. Elle continue sa cuisine. Tant qu’on ne brise rien ou qu’on ne se blesse pas, on peut agir à peu près n’importe comment.

Un clic d’appareil photo se fait entendre.

- Ça, ça va être magnifique pour mon premier travail au cégep.

Maverick, mon frère aîné, ne se promène plus sans son appareil depuis qu’il s’est inscrit en média au cégep. Il va commencer sa première année cet automne et il est vraiment motivé.

- Tu penses que ton prof va demander des photos de personnes qui se chatouillent? me moqué-je.

- On ne sait jamais, répond-il confiant. Ça peut toujours servir.

- Je veux la voir, ordonne Daniel en se levant.

Il marche vers Maverick qui lui tend l'appareil pour lui montrer son œuvre. Daniel se met à rire.

- J’ai l’air d’un attardé.

- T’as tout le temps l’air d’un attardé, l’agacé-je.

C'est alors qu’il me renvoie la même grimace que j’ai faite il y a à peine une minute.

- Liz, fait Maverick amusé, sans quitter la photo des yeux. T’as un regard de folle furieuse.

Daniel se penche à nouveau sur l’écran.

- C’est trop vrai, confirme-t-il en éclatant de rire.

J’avance vers mes frères pour enfin voir cette fameuse photo. Maverick me la montre. Je suis surprise de constater qu’elle est vraiment bonne malgré le fait que l’objectif nous ait captés en plein mouvement. Mon frère a du talent. Je dois admettre que Daniel n’a pas l’air d’un attardé tant que ça. Ses traits sont joliment crispés par un rire trop intense, c’est simplement beau de le voir ainsi. Puis, oh mon dieu… mon regard. Je pouffe de rire.

- J’ai trop l’air d’une psychopathe!

- Tu voulais le manger ou quoi? ironise Maverick.

Sa remarque me fait rire davantage. J’en ai mal au ventre. Je me laisse tomber par terre et ris comme une folle.

- Vengeance! crie Daniel en se jetant sur moi pour me chatouiller.

- NON!

Le sourire malicieux aux lèvres, mon frère se met à me torturer avant que je n’aie le temps de me lever. Heureusement, du haut de ses douze ans, il est encore plus petit que moi, alors j’arrive à le maîtriser et le plaquer au sol.

- Tu fais moins le malin maintenant.  

- Mes poussins! nous appelle notre mère. On aurait besoin de votre aide.

Elle s’avance vers nous pendant que mon frère et moi nous nous levons. Elle prend le visage de Daniel entre ses mains et lui dit :

- Je sais que ce visage est irrésistible, mais tu ne peux pas qu’être décoratif, mon amour.

Elle lui donne un gros bisou sur la joue.

- Ark, maman! proteste-t-il.

Elle lui sourit tendrement.

- Veux-tu vider le lave-vaisselle s'il-te-plait?

- Okay, concède-t-il en traînant le pas vers la cuisine.

- Maverick, je pense que ton père t’attend pour faire la pelouse.

- Oui, t’as raison. J’y vais.

Mes parents sont fan de Top Gun depuis leur adolescence. Si bien qu’ils ont décidé de nommer leur premier enfant par le nom de pilote du personnage principal. D’ailleurs, ils m’ont déjà dit qu’ils avaient failli m’appeler Anna-Kim pour rappeler Anakin de Star Wars. Je l’ai échappé bel.

- Liz, tu veux bien faire la salade d’orzo? Tu la réussis mieux que moi.

Quelle fine manipulatrice.

- Bien sûr.

On ne chôme pas de l’après-midi. Maverick et mon père s'occupent de tout ce qui est dehors, faire la pelouse, placer les chaises, nettoyer le patio, etc. J’aide ma mère à la cuisine et Daniel s’occupe du ménage de la maison.

En sueur, mon père entre dans la maison par la porte patio.

- J’ai chaud que le diable, fait-il en refermant la porte derrière lui.

- Vous travaillez fort mes hommes, dit ma mère en s’approchant de son amoureux pour l'embrasser. Ouh là! T’es dégoulinant.

- Je sais bien, rit-il. Je monte à la douche avant que la visite arrive.

- Il est déjà presque dix-sept heures? réalisé-je étonnée que le temps ait passé si vite.

- Tu peux aller te préparer Liz, dit ma mère. Il restera juste à faire cuire les boulettes tantôt.

- Dac.

Je monte l’escalier en vitesse, impatiente de me faire belle avant que la famille arrive. Je commence par un petit maquillage tout simple ; crayon, mascara, rouge à lèvre. J’ouvre mon placard et saisis ma petite robe blanche. Je la trouve tellement belle. Je l’enfile et m’admire un instant dans le miroir. J’attache une partie de mes cheveux dans une coiffure relâchée et je suis prête.

Je dévale l’escalier avec ma robe qui flotte tel un nuage vaporeux. Je suis contente car même si nous faisons un party de famille, j’ai décidé d'inviter ma meilleure amie Nadia. La semaine dernière, j’avais demandé à ma mère si ça la dérangerait et elle m’a assuré que c’était une bonne idée de l’inviter. Quand j’en ai parlé à Nadia, elle a eu une petite réticence à l’idée d’être seule parmi toute ma famille. Je l’ai rassurée en lui disant qu’avec moi, elle ne serait pas seule, et que ma famille n’avait rien d’intimidant. Et puis, elle connaît déjà très bien mes parents et mes frères., alors elle ne serait pas complètement en terrain inconnu.

Nadia est un peu timide. Ce qui est paradoxal car elle a fait du théâtre tout son primaire. C’est au secondaire qu’elle a décidé de se réorienter dans l’équipe du plateau. L’arrière de la scène est un monde tout aussi magique. C’est d'ailleurs dans cette activité parascolaire qu’on s’est connues. Nous nous inscrivons chaque année depuis le secondaire un. On m’a souvent encouragée à monter sur scène, mais je préfère de loin m’occuper des décors, des costumes et de la mise en scène. J’adore créer un univers de toute pièce afin qu’il puisse prendre vie sur une scène.

La sonnette de porte retentit.

- J’y vais, crie-je à travers la maison en manquant presque de trébucher à la dernière marche.

- Nadia! m’écrié-je en lui ouvrant la porte.

- Salut Liz, dit-elle le sourire fendu jusqu'aux oreilles.

J’observe mon amie un instant. Elle s’est coupé les cheveux récemment. J’ai encore du mal à m’y habituer. C’est si adorable. Ses cheveux blonds flottent au-dessus de ses épaules. Elle porte un t-shirt noir avec un short en jean et elle tient une boîte de chocolats dans ses mains.

- Tiens, me dit-elle en me tendant la boîte. C’est pour vous cinq.

- Wow t’es dont ben fine, m’exclamé-je en prenant son cadeau. T'étais pas obligée d’apporter quelque chose tu sais.

- Je préfère ne jamais arriver à une fête les mains vides.

Nadia se met soudainement à me dévisager de la tête aux pieds. Je crois qu’elle compare nos tenues et se sent soudainement gênée d’être vêtue aussi modestement.

- T’es super belle, dis-je pour la rassurer.

Et je le pense sincèrement. Nadia n’est pas du genre extravagante. Elle opte pour la simplicité, ce qui la rend authentique et naturelle. Je n’ai vraiment pas envie qu’elle pense qu’il était obligatoire de s’habiller chic. Ce n'était pas un règlement. On s’est habillé ainsi parce que ça nous tentait, c’est tout. Même que Daniel n’a pas mis sa chemise. Et le connaissant, je paris qu’il restera en t-shirt toute la soirée et que sa chemise ne bougera pas de son bureau.

- Merci, répond-t-elle timidement. Je suis comme d'habitude.

- C’est que t’es tout le temps belle.

- Bonjour Nadia, la salue chaleureusement ma mère en arrivant derrière moi. Entre, je t’en prie.

Où avais-je la tête? Je restais plantée là, dans l’entrée, laissant mon amie sur le pas de la porte. Quelle tête en l’air.

- Nad nous a apporté ça, annoncé-je à ma mère en lui mettant la boîte de chocolats dans les mains.

- Oh mais il ne fallait pas. C’est super gentil.

Ma mère retourne à la cuisine.

- Je suis la première arrivée? demande Nadia après avoir enlevé ses espadrilles.

- Ouais. Mais ils ne devraient pas tarder.

Arrivée dans le salon, mon amie est brusquement accueillie par mon petit frère.

- Allo Nadia, s’écrit Daniel en la prenant dans ses bras.

- Wôw, salut Dan, fait-elle, surprise. Comment tu vas?

- Super, répond-t-il, rayonnant.

- Coup dont, du calme, toi, le taquiné-je. Tu as failli la foutre par terre.

- Gna gna gna.

- Gna gna gna toi-même.

- Okay les enfants, se moque Nadia. Ça suffit.

Mon père et Maverick débarquent dans le salon, les deux vêtus chiquement. Tout juste au moment où ils saluent Nadia, la sonnette se fait entendre à nouveau. Ma mère va immédiatement ouvrir.

- Hey la soeur! accueille-t-elle ma tante Josée en se jetant dans ses bras.

- Salut ma Kristelle, répond-elle égayée. Bonne St-Jean à vous tous!

- À vous aussi! Entrez, entrez.

- Salut Philippe, fait mon père en serrant la main de son beau-frère.

- Salut Olivier. Bonne St-Jean!

- Bonne St-Jean!

Ma cousine Stéphanie traverse d’emblée le salon pour retrouver Daniel. Ces deux-là sont des cousins inséparables. Elle a exactement le même âge que mon frère. J'accueille son grand frère en le prenant dans mes bras.

- Allô Killian.

- Salut la couz.

- Vous pouvez aller dehors sur le patio. Mettez-vous à l’aise, prenez-vous des chaises…

Tous suivent les indications de ma mère. Pendant que nous nous dirigeons sur la cour arrière, je présente mon amie à mes cousins.

- Steph, Killian, je vous présente ma best, Nadia. Nadia, voici Killian et Stéphanie.

- Alors c’est toi la fameuse Nadia, constate Killian. Enchanté.

- Enchantée aussi, répond timidement Nadia.

Tout le monde se met à l’aise sur le patio à grignoter les hors d'œuvres que j’ai préparés avec ma mère. Les discussions retentissent de partout. Nadia finit par socialiser assez facilement avec ma famille.

Après le souper, Killian propose que nous allions faire un tour en ville. Histoire de s’éloigner un peu des adultes.

- On va marcher, annoncé-je à ma mère avant de rejoindre les autres dans l’entrée.

- D’accord, amusez-vous bien.

Je cours vers la porte, j’enfile mes sandales et nous sortons tous dehors.

- Ça vous dit un peu de musique? fait Maverick en nous mettant son petit haut-parleur portatif sous le nez.

- Ah ben certainement, acquiesce Killian.

Mon frère fait retentir une chanson d’Imagine Dragons.

- Hey, t’as pas le droit, protesté-je. C’est interdit de mettre de la musique qui n’est pas québécoise. C’est la St-Jean.  

- Ah merde, c’est vrai.

- Attends, laisse-moi faire.

Je lui prends son téléphone et mets du Marie-Mai.

- Ark, t’es sérieuse?

- Très sérieuse, ricané-je en me trémoussant sur Qui prendra ma place.

Les autres m'accompagnent dans ma danse et nous chantons tous en cœur. Comme c’est un soir de fête, nous croisons plusieurs personnes dans les rues. On se fait lancer des regards amusés devant notre comédie musicale ambulante.

- Est-ce qu’on met du Cowboys Fringants? suggère Nadia lorsque la chanson se termine.

- Excellente idée, s’exclame Maverick le nez dans son cellulaire.

L’Amérique pleure se met alors à jouer et nous nous mettons encore à chanter comme si nos vies en dépendaient. Nous sommes presque sur le bord de nous poser dans un coin et quémander de l’argent pour nos chants publics.

Nous longeons les boutiques du centre-ville qui sont malheureusement toutes fermées à cette heure-ci. Notre marche aléatoire finit par nous mener sur la track de chemin de fer.

- C’est trop cool de marcher ici, s’exclame Daniel. J’ai l'impression d’être dans Stand By Me.

- Tu trouverais ça cool de te faire poursuivre par un train? l’agace Stéphanie.

- Il n’y a pas de danger ici. On a en masse de place pour se tasser.

- Pas dans quelques mètres, fait Killian en pointant devant nous. On va traverser la rivière.

- Ouh! C’est pas le temps de nous faire attraper par le train, dis-je faussement apeurée.

Nous passons au-dessus de la rivière qui se jette un peu plus loin dans le lac. On peut apercevoir d'ici quelques personnes qui s’amusent sur la plage.

- Est-ce qu’on va se baigner? proposé-je, surexcitée.

- On n’a pas nos costumes de bain, fait Nadia.

- On va au moins patauger un peu.

Nous nous dirigeons vers la plage. Une fois arrivée, j’enlève mes sandales et je cours mettre mes pieds dans l’eau.

- Elle est bonne! Venez!

Tous enlèvent leur souliers et viennent me rejoindre dans l’eau. Dans la frénésie générale, Maverick pousse Daniel dans l’eau. Killian éclate de rire.

- Rick! m’exclamé-je. T’es donc ben violent.

- Ben non.

Complètement trempé, Daniel se remet debout. L’eau lui arrive aux mollets. En lançant un cri de guerre, il saute sur les épaules de Maverick ce qui les fait tomber dans l’eau tous les deux. Nadia, les deux pieds qui pataugent, recule pour ne pas être éclaboussée. Killian soulève sa sœur par surprise et fait mine de vouloir la lancer dans le lac.

- NON! Repose-moi espèce de cave!!!

- Oh t’es plate, lui dit-il à la blague en la reposant délicatement.

- Et toi t’es con, rétorque-t-elle à la fois fâchée et amusée

C’est alors que Maverick me prend subitement dans ses bras et lance :

- Ma soeur à moi, elle est pas plate.

Surélevée par mon frère, j’éclate de rire. Je ne prends même pas la peine de me débattre et je me laisse être lancée dans le lac par mon grand frère. Je suis submergée par l’eau douce du lac. J’en reçois dans le nez, j’en avale même, mais je m’en fous. Je suis morte de rire. Assise dans l’eau qui m'arrive au cou, je fais aller mes pieds pour arroser mon frère.

- Arrête, rigole-t-il en essayant de se protéger avec ses mains.

On se met tous à s'arroser, comme des enfants.

- Bonne Saint-Jean! crie-je en lançant de l’eau dans les airs.

- BONNE SAINT-JEAN, beugle Daniel plus fort que moi comme si c’était un concours.

Je lui fais un violent câlin et l'entraîne dans l’eau avec moi.

À nous six, nous produisons un boucan d’enfer sur le bord du lac. On ne se préoccupe pas de ce que peuvent penser les gens aux allentours. On s’amuse, et c’est soir de fête. La lumière de la lune reflète sur l’eau, c’est magnifique. Ce début d’été me rend des plus joyeuses.


 



Commentaires

  1. Beau début, chère Corinne, merci de nous faire profiter de tes talents.

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  2. C’est un bon début! Tes personnages me font rire!

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  3. Un début plein de bonnes idées; bien tourné, bien écrit. On est avec les personnages. J’ai très hâte de lire la suite. C’est joyeux!

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