Critique : Déracinée

 

Titre : Déracinée 

Auteur(e) : Aimée Verret

Édition : de Mortagne

Nombre de pages : 288

Résumé : 

Mes parents ne m’ont jamais caché que j’étais adoptée. Pourtant, tout ce que je savais, c’est que la DPJ m’a prise en charge dès ma naissance, car ma mère avait des « problèmes de santé ». Alors j’ai toujours ressenti un vide à combler…

Et voilà que je trouve une photo de moi bébé en compagnie de ma tante biologique ! Maintenant que j’ai un véritable indice sur l’identité de ma mère, je n’ai plus le choix de creuser plus loin.

J’ai peur que mes parents m’en veuillent et qu’ils se sentent rejetés. Je dois quand même faire le saut et essayer de retrouver ma mère biologique pour la rencontrer ; pour enfin obtenir des réponses aux questions qui se bousculent dans ma tête : est-ce que je lui ressemble ? Est-ce qu’elle s’est battue pour me ravoir ? Pense-t-elle à moi parfois ?

L’adoption peut donner lieu à une crise identitaire. Certains enfants adoptés ressentent le besoin de comprendre leur histoire et de connaître leurs racines. Au Québec, il est possible de faire une demande pour retrouver un enfant adopté, un parent biologique, de même qu’un frère ou une sœur. On s’expose alors à une multitude d’émotions, allant de l’angoisse à l’excitation, en passant par la colère et la peur du rejet. Si la personne recherchée donne son consentement, des retrouvailles peuvent être organisées en compagnie d’un intervenant qualifié.

Avis: 

L'adoption est un sujet qui m'intéresse beaucoup, même si je n'ai pas été adoptée, que je n'ai pas adopté d'enfants, et que je ne connais personne qui a été adopté. Cependant, je suis grandement attirée par les thèmes suivants ; la famille et les crises identitaires. L'adoption combine les deux alors vous imaginerez mon enthousiasme devant ce roman. Et puis, j'ai grandi dans des familles recomposées alors je sais ce que ça fait d'établir des liens familiaux avec des gens qui ne partagent pas notre sang. Ce doit être une des raisons qui font que l'adoption est un sujet qui me touche beaucoup. 

J'ai lu Déracinée et je n'ai pas du tout été déçue. On suit Catherine dans sa quête identitaire. Elle en est à un moment de sa vie où elle veut connaître ses origines. Elle veut savoir d'où elle vient, rencontrer sa mère biologique, savoir si elle lui ressemble. Le tout débute avec Catherine qui découvre une photo d'elle bébé avec sa tante biologique, Suzie. C'est la découverte de cette photo qui va réveiller en elle tout son mal-être enfoui concernant son adoption. En effet, depuis toute petite, Catherine ressent un mal-être en elle ainsi que le sentiment qu'il lui manque quelque chose. Même si elle a été élevée par des parents aimants qui la considèrent aussi importante que leur fille biologique, Catherine ne peut s'empêcher de se poser plusieurs questions. Par exemple, elle se demande si sa sœur ne partagerait peut-être pas un lien plus profond avec leurs parents. Catherine ressent un gros complexe d'infériorité par rapport à sa sœur Émilie. Les parents lui accordent beaucoup d'attention car elle fait des compétitions de gymnastique. Ça ne fait pas en sorte qu'ils l'aiment plus que Catherine mais ce détail fait en sorte que l'héroïne se sent ordinaire et mise de côté. Pour ne pas embêter sa famille, elle garde pour elle ce qu'elle ressent mais à force de refouler, ça finit par sortir et pas nécessairement de la bonne façon. 

Je trouve qu'Aimée Verret a vraiment bien représenté la situation. Les sentiments de Catherine sont réels et légitimes. Son but n'est pas de faire en sorte que ses parents se sentent coupables de ses sentiments. Cependant, ses sentiments sont véritables et elle a le droit de les partager avec sa famille. Le problème, c'est que comme elle les enfouit tout le temps, durant un souper au restaurant, tout finit par déborder. À ce moment-là, les parents de Catherine trouvent qu'elle réagit comme une prétentieuse. Ils n'ont pas tout à fait tort de penser cela puisque Catherine n'a pas bien exprimé ses sentiments, ils sonnaient comme des reproches. J'ai été marquée par une des répliques du père :

« La vie n'est pas un concours. Je me lève pour aller reconduire ta sœur, ça ne veut pas dire qu’elle est plus importante. Et ce n'est pas vrai que tu vas me faire sentir coupable. » (Verret, 2022, p. 116).

J'ai eu mal pour Catherine en lisant cette réplique car je sais qu'elle souffre sincèrement et je trouvais triste qu'elle n'ait pas réussi à bien faire comprendre ses sentiments.

J'ai particulièrement aimé le fait qu’aucun des personnages ne soit parfait, ni Catherine, ni les parents. Ils ont tous leurs maladresses. Mais ces imperfections ont des répercussions sur Catherine. Ce qui n'aide pas, c'est que Catherine a cru que le mieux pour tout le monde était qu'elle devait retenir ses émotions négatives et faire constamment semblant que tout va bien. Je comprends parfaitement cette sensation. On croit souvent que c'est plus facile de tout ravaler et faire semblant qu'on va bien. Le problème est qu'on finit toujours par exploser et lorsque l'explosion surgit, ça ne se passe pas bien. C'est exactement de cette manière que Catherine fonctionne. Elle cache son mal-être identitaire, croyant que c'est le mieux pour elle et sa famille. Mais un moment donné, c'est trop pour elle et elle explose devant sa famille. Pour cette dernière, la crise de Catherine n'est absolument pas fondée.

On montre le désarroi de Catherine à travers des petites violences du quotidien. « Violence » n'est peut-être pas le bon mot mais l'auteure arrive à dépeindre des petits moments banals du quotidien qui ont un impact négatif sur Catherine. Comme par exemple, sa mère lui fait un compliment qui sonne sans le vouloir comme un reproche. Ou bien, quand personne ne partage son enthousiasme, cela la décourage et la fait se sentir délaissée. Dans ces situations, Catherine ne vit pas de grandes cruautés mais ce sont des petits éléments qui peuvent faire mal, à force d'être répétés.

Quand on est à fleur de peau, presque tout peut devenir une menace pour nous. C'est ce qui est vécu chez Catherine. On la comprend de se sentir délaissée, différente, moins bonne que sa sœur et avoir l'impression qu'elle vaut moins. Mais ses parents ne font rien de mal. Ils aiment Catherine autant que leur fille biologique. 

Au final, ce livre montre que le problème au sein de cette famille est que les parents ont tu la différence de Catherine dans le but de la traiter également. Cependant, il y a une différence entre l'égalité et l'équité. Puis ce qui finit par régler les différends entre Catherine et sa famille est la communication. Quand la jeune fille est calme, elle arrive à se confier à ses parents sur ce qu'elle ressent et dès lors, les choses peuvent commencer à aller mieux. J'aime particulièrement le moment en milieu de livre où Catherine dit à sa mère comment elle se sent et qu'elle spécifie que son unique but est de la mettre au courant sur ses sentiments. Dans cette scène, il n'a pas de reproches, juste des confessions pour que tout soit clair.

Puis à la fin, Catherine et ses parents ont une belle discussion à cœur ouvert. Tout au long de ma lecture, j'attendais cette discussion et la lire a été très satisfaisant. J'ai aimé voir les personnages être bienveillants et sincères les uns envers les autres, les voir reconnaître leurs erreurs et se rassurer sur l'amour qu'ils se portent. Que ce soit les parents envers Catherine ou l'inverse.

Les personnages secondaires jouent très bien leurs rôles. J'ai aimé la sous-intrigue autour de Joséphine, la meilleure amie. Elle apportait un parallèle pertinent avec l'histoire de Catherine. Joséphine est une bonne amie, qui ajoute beaucoup à l'histoire avec sa personnalité dynamique et ses bons conseils pour notre héroïne. 

En ce qui concerne Jonathan, j'ai levé les yeux quand Catherine l'a rencontré car je suis assez tannée que tous les personnages des romans Tabou vivent des amourettes. Par contre, dans Déracinée, je ne peux pas dire que cette relation n'apporte rien à l'histoire. Elle montre que Catherine a de la difficulté à gérer une vie normale car elle est prise par ses problèmes personnels concernant son adoption et son estime d'elle-même. J’apprécie que Jonathan ne prenne pas trop de place dans l'histoire. Il n'agit pas comme sauveur (fort heureusement), il est juste là pour appuyer les difficultés de Catherine à gérer sa vie à travers son tumulte émotionnel et à montrer sa peur de l'abandon, dû à son passé difficile. Puis les petits moments qu'ils passent ensemble sont assez mignons. Sans que ça prenne trop de place, ils partagent une belle complicité et s'échangent quelques lignes de dialogues agréables à suivre. 

Bien qu'elle n'apparaisse pas très souvent, Suzie reste un personnage fort de l’histoire. D’abord car c'est un peu elle qui déclenche le tout. Catherine est amenée à faire des recherches sur ses origines à cause de la photo d'elle et de Suzie. Catherine la contacte sur Facebook et ensuite, la femme impose des retrouvailles en allant rejoindre notre héroïne à son travail. Cette scène se situe dans les débuts du livre. Ça part en force car Suzie est très impactante. Elle déstabilise beaucoup Catherine. On voit que la tante ne se soucie guère de sa nièce et qu'elle a seulement voulu profiter d'elle. La scène est assez longue, elle donne le temps de faire ressentir le malaise qu'éprouve Catherine. De plus, elle lance le sujet du livre et fait en sorte qu'on a envie d'en savoir plus. On a envie de suivre Catherine dans son processus de recherche et dans sa quête identitaire.

Le seul point où j’aurais quelque chose à redire, concerne la rencontre entre Catherine et sa mère biologique. Pas que la scène ne soit pas bien écrite, au contraire. Je tiens d’ailleurs à dire que j'aime beaucoup ce passage. Il est fort en émotion et j'apprécie qu'on nous montre que de telles retrouvailles ne sont pas toujours aussi magiques que ce qu'on pourrait imaginer. L'intervenante dit justement à Catherine que les enfants adoptés ont tendance à idéaliser leurs parents biologiques. C'est un peu ce que fera Catherine, bien malgré elle et malgré les avertissements de l'intervenante. Kim, la mère biologique de Catherine, est assez décevante pour Catherine. Elle semble ne pas avoir d’intérêt pour sa fille biologique et c'est très déchirant pour le lecteur et pour Catherine. Mais c'est réaliste et c'est bon que le livre nous le montre. Finalement, ce qui m'a chicotée dans cette scène, c'est qu'au moment où l'on voit Kim pour la première fois, nous n'avons aucune description physique d'elle. Pourtant, je crois que ça aurait été nécessaire. Catherine n'a pas arrêté de comparer son apparence à celle de sa famille, à se demander si elle ressemblerait à sa mère biologique ou si sa mère ressemblerait à Suzie... Et aussitôt qu'on voit Kim pour la première fois, on ne fait aucune mention de son apparence. J'ai senti un manque dans l'histoire. Je me serais attendue à ce que Catherine l’analyse de la tête aux pieds, qu'elle se compare à elle et qu'elle fasse des constats. Je ne savais pas vraiment comment visualiser ce personnage, ce qui fait que je n'ai vu qu'une pâle copie de ce que j'avais imaginé pour Suzie. 

C'est à peu près tout ce que j'aurais à redire sur ce livre. Bon, si je dois chipoter un peu, Déracinée contient beaucoup de « toujours » et de « jamais ». Surtout des « jamais ». Je trouve qu'il y aurait eu moyen d'en enlever plusieurs, question de raffiner quelques phrases. Mais sinon, c'était très bien écrit. 

Selon moi, tous les parents devraient lire ce livre. Même ceux qui n'ont pas adopté. Ce que j'ai surtout retenu de Déracinée, c'est que les parents doivent s'adapter à l'enfant. L'idée de traiter ses enfants à égalité part d'une très belle intention, mais ce n'est pas la bonne méthode. Les frères et sœurs ne sont pas pareils, ce n'est donc pas une bonne idée de les traiter également. On le voit parfaitement dans Déracinée. Catherine ne pouvait pas être traitée de la même manière qu'Émilie tout simplement parce qu'elles sont différentes. Nier que Catherine est différente ne l'a pas aidée à s'intégrer, au contraire, cela lui a nui. Il faut s'adapter à ses enfants. Même si aucun enfant n'a été adopté, ils seront différents les uns des autres, c'est inévitable. 

J'ai beaucoup aimé ce roman. Je me suis fortement attachée à Catherine qui vit une crise identitaire importante. On ressent ses émotions avec elle. On aimerait l'aider, lui donner l'amour et l'attention dont elle aurait besoin. C'est beau de la voir cheminer et grandir au fil de l'histoire.

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