Sans trace - CHAPITRE 2
Chapitre 2
Lundi 6 octobre
Ça fait seulement deux heures que je suis revenue de l’école et il fait déjà noir. J’aime l’automne pour ses couleurs et sa température fraîche qui me permet de porter mes chandails de laine, mais si je pouvais supprimer un élément de cette saison, c’est la maudite noirceur qui arrive beaucoup trop tôt dans la soirée. J’aimerais mieux faire mes devoirs accompagnés de beaux rayons de soleil qui traversent la fenêtre de ma chambre.
La nouvelle routine scolaire est bien établie depuis un mois. Je suis à présent en secondaire quatre. Les professeurs n’ont cessé de nous rappeler que c’est l’année la plus importante. Je mets donc mon 200% dans mes travaux. Daniel s’est moqué de mes notes de cours qu’il juge « trop intenses ». Disons qu’il ne prend pas l’école autant au sérieux que moi. Il n’est qu’en secondaire un, c’est normal. Il recevra une douche froide quand il atteindra mon niveau. J’ai bien hâte de voir ça.
En effet, mon petit frère est enfin rendu au secondaire. Je crois qu’il s’adapte bien. On ne s’en parle pas beaucoup. Avec l’école et le théâtre, je suis principalement concentrée sur ma routine.
Maverick aussi a changé d’établissement scolaire. Il est au cégep maintenant. Il avait tellement hâte, il en a parlé tout l’été. « J’aurai ce cours-ci, il y aura ce cours-là »… Je ne pense pas qu’il soit déçu.
Il n’y a que moi dont le quotidien n’a pas beaucoup changé. Je sais, seulement, que les examens du ministère m'attendent à la fin de l’année. Mais je n’ai pas peur. Je me sens d’attaque.
- C’est prêt, crie ma mère à travers la maison.
Génial! Je commençais à avoir faim. Je laisse mes devoirs sur pause et je descends me mettre à table.
La famille s'assemble dans la cuisine comme si le chaudron était un aimant géant.
- Pousse-toi, fait Maverick en tassant Daniel pour avoir accès au comptoir.
- Pousse-toi toi-même.
- Les garçons, pas de chicane, intervient papa.
- Mais c’est pas juste, se plaint Daniel. Il est plus grand que moi.
Maverick esquisse un sourire moqueur alors qu’il remplit son assiette. Il se dirige ensuite vers la table non sans ébouriffer la tête de notre frère au passage.
- Rahh lâche-moi!
Alors que je remplis mon assiette, j’essaie de ramasser le plus d’olives possible parce que j’adore ça.
- Okay Liz arrête! s’insurge Daniel. Laisse-nous des olives.
Il faudra que je revoie pour la subtilité.
- Mais j’aime ça.
- T’es pas la seule.
Il en saisit une directement dans mon assiette avant de la porter à sa bouche.
- Ark enlève tes gros doigts sales de mon assiette.
- D'un, mes doigts ne sont pas gros. De deux, ils sont propres. De trois, tu t’en es trop pris alors je devais rééquilibrer le tout.
Ne sachant pas quoi répliquer, je lui lève gentiment le nez avant d’aller m'asseoir.
Une fois que nous sommes tous assis, on arrête soudainement de parler tellement on se régale. On dirait que maman lit dans mes pensées puisqu’elle coupe le silence en exprimant :
- Personne ne parle. J’en conclus que c’est bon.
- Non c’est vraiment dégueulasse, ironise Daniel qui visiblement, se délecte.
Je pouffe de rire.
- Eille! fait maman faussement offusquée.
- C’est très bon, Kristelle, la complimente papa.
- Merci mon amour. Hé Liz, fait-elle en se tournant vers moi. Finalement, allez-vous jouer Le malentendu d’Albert Camus?
- Non, dis-je sur un ton déçu. Chanelle préfère qu’on s’en tienne à des comédies. Mais anyway, cette pièce n’offrait pas assez de personnages pour le nombre d’acteurs qu’on a cette année.
Chanelle est notre professeure de théâtre. Je l’adore. Elle est passionnée, et sa personnalité est limite théâtrale. Même si elle porte un grand intérêt pour les pièces classiques, elle a décliné ma proposition sous prétexte que les élèves apprécieront plus des histoires de comédies plutôt que des drames. Elle n’a pas tort, mais ça me déçoit tout de même.
- Albert Camus! se moque Maverick. Je comprends qu’elle a refusé. C’est tellement plate.
- Tais-toi, Maverick, m’offusqué-je. Tu n’as jamais lu d’Albert Camus.
- Euh, oui! Je suis en train de lire L’étranger dans mon cours de français. C’est plate à mort.
- Inculte! C’est très bon L’étranger.
- T'as lu ça, toi? s’amuse papa sur un ton incrédule.
- Oui. Je l’ai pris à la bibliothèque l’année passée.
- Genre tu perds ton temps avec ce type de livre, ricane Maverick. Tu n’es même pas obligée de le lire et tu le fais quand même.
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise? Moi, ça m’intéresse.
- C’est qui Albert Camus? demande Daniel.
- C’est juste un vieil écrivain français, lui répond notre frère.
- Nous, on lit un livre de fantômes dans mon cours de français.
- Ta prof c’est Hélène?
- Oui.
Je souris en pensant à mes souvenirs de secondaire un. J’ai eu Hélène moi aussi et à ce que je vois, elle fait lire encore les mêmes romans.
- Je sais de quel livre tu parles, Dan. Je l’ai lu moi aussi, avec Hélène. C’était vraiment bon. Tu vas voir, la fin, c’est fou! On ne s'y attend pas.
- Hey! Dis-moi rien. Je suis juste à la moitié.
- Tu ne veux pas que je t’en dise un peu, l’agacé-je.
- Non! Pas de spoil.
- Tu ne veux pas que je te dise ce qu’on découvre sur le personnage de Fred…
- Arrête!! Tais-toi! Je veux rien savoir.
J’aime le voir paniquer de la sorte. Ça me fait rire. Je ne lui révélerai rien sur l’intrigue, mais ça m'amuse de le voir avoir peur d’être divulgaché. Je continue de jouer à la grande sœur fatigante.
- À la fin, on découvre…
- Ta gueule!!!
Il me donne un coup de pied en-dessous de la table. Ça me fait un peu mal sur le coup, mais j’en éclate de rire. Je l’ai vraiment fait sortir de ses gonds.
- Daniel! se choque papa. Reste poli.
- Mais c’est elle qui m’a provoqué!
- C’est correct, papa. C’est ma faute, je l’ai poussé à bout, dis-je sans toutefois perdre mon sourire moqueur.
Je remarque ma mère qui rit en silence derrière sa fourchette.
Après le souper, Maverick range toute la vaisselle sale dans le lave-vaisselle, puis je lave ensuite à la main les gros chaudrons qui n’y entrent pas. Je m’attends à ce que Daniel fasse sa part et qu’il essuie ce que je lave, mais je le vois courir jusqu’à l’étage.
- Hey, où tu vas? l’intercepté-je au moment où il atteint les marches.
J’ai presque l'air menaçante avec mon linge à vaisselle à la main, comme si je m'apprêtais à fouetter mon frère.
- Je vais prendre mon bain, explique-t-il.
- Tu dois essuyer la vaisselle.
- C'est bon, je le ferai après.
Je le regarde, sceptique, alors qu'il se remet en marche vers l'étage. Je suis certaine qu’il ne touchera pas à la vaisselle de la soirée.
Vers vingt-et-une heures, maman et moi regardons la télévision en pyjama.
- Qu’est-ce que tu fais, Olivier? demande-t-elle à mon père qui pitonne sur son téléphone dans la cuisine.
- J’envoie un courriel à Alain.
Alain est son collègue. Je ne lui ai jamais vu le visage, mais il m’arrive d’entendre son nom quelques fois.
- Après, tu as fini? Viens donc me rejoindre.
- Oui dans pas longtemps.
Quand papa dépose enfin son téléphone pour nous rejoindre au salon, je remarque que la vaisselle propre n’a pas bougé du comptoir. Sacré Daniel. Il faut vraiment tout lui répéter. Il est encore en haut. Il doit avoir oublié et il s’amuse dans sa chambre.
Je me lève pour aller lui dire. Ce n’est pas juste. Il prend tellement de temps que la vaisselle est rendue sèche. Moi, je me tape la job plate de la laver et lui n’aura qu’à la ranger. Je m'arrête de marcher puis je regarde autour de moi. Mes parents sont concentrés devant la télévision et mes frères sont en haut. Le regard fourbe, je me dirige vers la cuisine. Je mouille la guenille puis la tords au-dessus de la vaisselle. Voilà, il n’aura pas le choix de l’essuyer. Fière de mon coup, je repose le petit linge à sa place comme si de rien n’était.
- Bonne nuit, lancé-je à mes parents.
- Bonne nuit poussin, dit papa.
- Dors bien, ajoute maman.
Je leur accorde un dernier sourire puis je monte vers ma chambre. Comme je m’y attendais, quand je passe devant celle de Daniel, je le vois jouer avec la tablette familiale. Je passe ma tête dans le cadre de porte et je lui dis avec l’air le plus doux et innocent possible :
- Oublie pas la vaisselle.
Je lui envoie un baiser de la main et je rejoins ma chambre.
Merci Corinne , j' ai hâte de lire le chapitre suivant.
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