Sans trace - CHAPITRE 17
Chapitre 17
Lundi 13 octobre
Je fais mes devoirs à mon bureau, accompagnée de Stéphanie qui s’est installée sur mon lit. Elle m’a affirmé qu’elle avait de nombreux exercices de français à faire dans son cahier mais depuis deux heures, elle est toujours à la même page. La concentration n’est pas au rendez-vous à ce que je peux constater. Moi, je suis en plein devoir d’histoire, et je dois dire que ça me plait bien. J’adore en apprendre sur notre passé.
- Je vais aux toilettes, m'informe ma cousine en se levant de mon lit.
Je hoche la tête et continue mes exercices.
Après avoir terminé la troisième page de questions, je me rends compte que ça fait un moment que Stéphanie est partie à la salle de bain. Je me lève pour voir si tout va bien.
En chemin dans le corridor, je tombe sur ma cousine. Elle est entrée dans la chambre de Daniel. Elle joue avec une de ses figurines de Super Mario, posées sur sa commode. Elle sursaute lorsqu’elle m'aperçoit.
- Euh… je voulais juste… euh…
- C’est correct, relaxe, la rassuré-je.
Elle prend la figurine dans ses mains et s'assit sur le lit. Je l’imite.
- On jouait souvent avec ça quand on était plus jeunes.
- C’est vrai. Vous étiez toujours dans sa chambre.
- Et on jouait avec sa piste de course, ajoute-elle en pointant le jouet en question.
Nous observons la chambre en silence. Ce lieu doit ramener plein de souvenirs dans la tête de Stéphanie. Je ne suis pas entrée dans cette chambre depuis que Dan n’est plus là. Je ne saurais dire pourquoi. Peut-être que j’avais trop peur de ressentir son absence. De la ressentir encore plus intensément en me retrouvant seule dans ses affaires. Je ne dois pas être normale car visiblement, se trouver ici fait du bien à Steph. Je la soupçonne presque d’avoir voulu venir chez moi pour cette seule raison.
- Ça me donne l’impression qu’il est encore là, affirme-t-elle soudainement.
- Tu crois que c'est le cas, pour de vrai? Je veux dire… qu’il est encore vivant?
- Je crois que oui, dit-elle en baissant la tête, comme si sa réponse était honteuse.
Stéphanie croit qu’il est encore en vie. Maverick croit qu’il est mort. Moi, je ne sais plus quoi penser. Mais s’il est encore vivant, où est-il? Chez Paul Bergeron? Je n'ose pas demander à Stéphanie ce qu’elle en pense.
On en a eu du plaisir dans cette chambre. Au dernier anniversaire de Daniel, quand il a eu douze ans, j’ai voulu me venger de toutes ces fois où il était entré abruptement dans ma chambre sans frapper. Le matin de ses douze ans, tout de suite après que je me sois levée, je me suis jetée dans sa chambre. Sans même allumer la lumière, j’ai sauté sur son lit et lui ai crié :
- Joyeux anniversaire Danieeeeeel!
Je n’arrêtais pas de sauter sur ses couvertures. Le pauvre, c’était le réveil le plus brutal de sa vie.
- Je te déteste, avait-il marmonné.
- Ben non, tu m’aaaaaaimes!
À ce moment-là, maman est passée devant la porte. Vêtue de sa robe de chambre, elle nous regardait, amusée.
- C’est tout un réveil ça, a-t-elle commenté.
- Debout le frère!
J’ai enfoncé le clou en allant ouvrir les rideaux. Le soleil était d’une aveuglance destructrice.
- Câliss, a-t-il blasphémé en cachant ses yeux à l'aide de son bras.
- Daniel! s’est indignée maman. Surveille ton langage.
- Mais vous êtes tous contre moi ce matin!
J’ai éclaté de rire.
- Ça t'apprendra à entrer dans ma chambre sans frapper. Bonne fête petit frère d’amour.
Je lui ai donné un bisou sur la tempe et l’ai laissé seul dans sa chambre à se remettre de ses émotions.
Je remarque que ma cousine a les yeux plein d’eau. Oh non, ça me fait mal de la voir dans cet état.
- Je suis là, Steph, tenté-je de la rassurer en la serrant contre moi.
Elle se blottie dans mes bras.
- T’es ma cousine préférée.
- Bah! je suis ta seule cousine, ris-je.
- Ben non! Mon père a une sœur qui a une fille. Mais elle est plate et elle a vingt-cinq ans.
- Ah ben merci, je suis flattée.
Elle me sourit à travers ses larmes, mais elle redevient rapidement maussade.
- Je suis désolée, Liz. Je ne voulais pas pleurer.
- Pourquoi tu es désolée. Tu as le droit de pleurer, voyons. Surtout avec moi, tu n’as pas à te cacher.
- Ouais, mais je me sens mal.
- Pourquoi? Tu te sens mal de quoi, au juste?
- De me faire consoler par toi. Je suis ridicule. Je me fais consoler par la soeur de Daniel. J’ai honte.
Je repense soudainement à ce que m’avait dit Émilie. Perdre un frère, c’est pire que de perdre un cousin. Elle affirmait que la disparition de Daniel était plus douloureuse pour moi que pour Stéphanie car il est mon frère, et pour elle, « seulement » un cousin. Est-ce qu’elle serait aller dire la même chose à Steph? Elle aurait eu du culot! Steph n’a pas à avoir honte d’être bouleversée. Elle et Daniel sont comme frère et soeur.
- C’est quelqu’un qui t’a fait cette remarque?
- Non non. Je me dis ça à moi-même…
Je ne sais pas si elle me ment. Dans tous les cas, elle diminue ce qu’elle vit et ça me blesse.
- Steph, tu as le droit d’être bouleversée par ce qui se passe avec Daniel, okay?
- Mouais…
- Je ne veux pas que tu penses que c’est moins pire pour toi que pour moi. C’est dur pour tout le monde et tu as le droit de me partager ta peine. Je VEUX que tu me partages ta peine.
- Vraiment?
- Ben oui.
- Pourquoi?
- Parce que je t’aime.
J’aime ma cousine et je veux qu’elle aille bien. Et ça me fait me sentir moins seule dans ma détresse si elle me partage la sienne. Et si je peux l’aider, j’arrêterai de me sentir inutile…
Ma mère attire aussitôt notre attention en cognant deux petits coups sur le cadre de porte.
- Le souper est prêt, nous annonce-t-elle.
Son expression change rapidement lorsqu'elle voit le visage de ma cousine.
- Stéphanie, ça ne va pas?
- Non, non, dit-elle en essuyant ses larmes et en forçant un sourire. Ça va.
- On va le retrouver, affirme maman, se voulant encourageante.
Oui, mais on va le retrouver mort.
Je garde cette pensée morose pour moi-même. Je ne veux pas rendre la situation plus décourageante qu’elle ne l’est déjà.
- Vous avez faim les filles? J’ai fait du spaghetti.
- Oui, je sais, lui dis-je. Ça sent bon jusqu’ici.
- Merci Lizou. Vous viendrez quand vous serez prêtes.
Elle sort de la chambre.
- On peut y aller, me sourit Stéphanie une fois remise de ses émotions.
Nous mangeons tous les cinq à table. Comme à son habitude, ma mère brise le silence en partant une discussion.
- Comment ça va à l’école? demande-t-elle à sa nièce.
- Ça va quand même bien. Je me suis fait des amies dès l’entrée scolaire alors c’est cool.
- Mathilde et Camille? demandé-je.
- Oui. On est tout le temps ensemble depuis le premier jour.
- C’est super ça, s'exclame maman. Liz avait pris du temps à se faire des amies en secondaire un.
- Maman…
Elle ne va tout de même pas revenir sur cette période de ma vie? La honte.
- C’est pas grave, ma belle. C’est normal.
- Faut dire qu’entrer au secondaire dans la même classe que Daniel, ça m’a aidée, nous apprend Stéphanie. On a affronté le groupe ensemble et on s’est vite rapprochés de certaines personnes.
Je souris en les imaginant dans la classe ensemble. Daniel n’est pas de nature timide. Ça ne m'étonne pas qu’il ait réussi à se faire des amis rapidement. Je l’envie sur ce point. Je ne suis pas timide mais je ne suis pas nécessairement du style à m’imposer aux autres.
- C’est le fun ça, affirme papa dans un petit sourire nostalgique. Je suis content pour vous deux. Pour Liz, c’est le théâtre qui l’a aidée.
- Ça, c’est vrai, confirmé-je. C’est là que j’ai rencontré mes vrais amis. Et surtout Nadia.
- Es-tu dans une activité parascolaire, Stéphanie? demande maman.
- Non, mais je vais peut-être m’inscrire en badminton l’année prochaine.
- Quand je vais partir au cégep dans deux ans, ça serait le fun que tu prennes la relève dans l’équipe du plateau, dis-je en lui faisant un clin d'œil.
- Bof, c’est pas trop mon genre, grimace-t-elle. Je préfère entrer dans une activité sportive.
- C’est tout un sport faire partie de l’équipe du plateau. On est dans la construction.
- Tu demanderas à Dan de prendre la relève.
Elle perd vite son sourire en réalisant la portée de ses paroles. Il est fort probable que Daniel ne puisse plus faire quoi que ce soit. Comme prise de honte, elle fixe son repas et mange en silence. Je maudis ce satané malaise qui a décidé de s’inviter subitement à notre table.
- Tu pourras t'inscrire au théâtre quand tu seras au cégep, me propose Maverick. J’ai rencontré la troupe l’autre fois et ils sont pas mal smatt.
- Je vais sûrement faire ça, réponds-je le sourire complice.
- Oui, je sais, lui dis-je. Ça sent bon jusqu’ici.
- Merci Lizou. Vous viendrez quand vous serez prêtes.
Elle sort de la chambre.
- On peut y aller, me sourit Stéphanie une fois remise de ses émotions.
Nous mangeons tous les cinq à table. Comme à son habitude, ma mère brise le silence en partant une discussion.
- Comment ça va à l’école? demande-t-elle à sa nièce.
- Ça va quand même bien. Je me suis fait des amies dès l’entrée scolaire alors c’est cool.
- Mathilde et Camille? demandé-je.
- Oui. On est tout le temps ensemble depuis le premier jour.
- C’est super ça, s'exclame maman. Liz avait pris du temps à se faire des amies en secondaire un.
- Maman…
Elle ne va tout de même pas revenir sur cette période de ma vie? La honte.
- C’est pas grave, ma belle. C’est normal.
- Faut dire qu’entrer au secondaire dans la même classe que Daniel, ça m’a aidée, nous apprend Stéphanie. On a affronté le groupe ensemble et on s’est vite rapprochés de certaines personnes.
Je souris en les imaginant dans la classe ensemble. Daniel n’est pas de nature timide. Ça ne m'étonne pas qu’il ait réussi à se faire des amis rapidement. Je l’envie sur ce point. Je ne suis pas timide mais je ne suis pas nécessairement du style à m’imposer aux autres.
- C’est le fun ça, affirme papa dans un petit sourire nostalgique. Je suis content pour vous deux. Pour Liz, c’est le théâtre qui l’a aidée.
- Ça, c’est vrai, confirmé-je. C’est là que j’ai rencontré mes vrais amis. Et surtout Nadia.
- Es-tu dans une activité parascolaire, Stéphanie? demande maman.
- Non, mais je vais peut-être m’inscrire en badminton l’année prochaine.
- Quand je vais partir au cégep dans deux ans, ça serait le fun que tu prennes la relève dans l’équipe du plateau, dis-je en lui faisant un clin d'œil.
- Bof, c’est pas trop mon genre, grimace-t-elle. Je préfère entrer dans une activité sportive.
- C’est tout un sport faire partie de l’équipe du plateau. On est dans la construction.
- Tu demanderas à Dan de prendre la relève.
Elle perd vite son sourire en réalisant la portée de ses paroles. Il est fort probable que Daniel ne puisse plus faire quoi que ce soit. Comme prise de honte, elle fixe son repas et mange en silence. Je maudis ce satané malaise qui a décidé de s’inviter subitement à notre table.
- Tu pourras t'inscrire au théâtre quand tu seras au cégep, me propose Maverick. J’ai rencontré la troupe l’autre fois et ils sont pas mal smatt.
- Je vais sûrement faire ça, réponds-je le sourire complice.
Je le remercie du regard pour avoir brisé le silence malaisant. La discussion se poursuit sur tout ce que le cégep offre comme cours et activités. Ça me donne hâte de me rendre à la même place que mon frère. Je crois que je me verrais bien en arts visuels.
Après le souper, tante Josée passe chercher Stéphanie. Maintenant qu’elle est partie, ça redevient vide dans la maison. D’autant plus que sa présence amenait la famille à faire la conversion. Maintenant que nous n'avons plus d'invités, ça bavarde beaucoup moins.
Papa est retourné dans son bureau et maman est directement allée se coucher. Je ne crois pas qu’elle dorme mais je la sais très fatiguée. Il n’est pas très tard. On pourrait croire le contraire puisque le soleil se couche très tôt à l'automne, mais il est à peine dix-neuf heures quarante-cinq.
Assise seule au milieu du salon, j’essaie de me concentrer sur la lecture du roman qu’il faut lire pour le cours de français. C’est l’histoire d’un homme condamné à mort parce qu’il a tué une femme. Comment la peine de mort peut-elle encore exister? C’est certain que si j’apprenais que Daniel a été tué par un homme, je vouerais une haine considérable à cette personne. Mais certainement pas au point de souhaiter sa mort. Combattre les actes inhumains par des actes inhumains, c’est d’un paradoxe ridicule. La peine de mort, c’est dégueulasse.
Est-ce que Daniel a été tué par quelqu’un et son cadavre gît quelque part? Cette idée me sert le cœur. Il serait seul, à attendre qu’on le trouve.
Ça fait six jours qu’il a disparu. À ce stade, c’est évident qu’il est arrivé quelque chose de grave. S’il est encore en vie, il est séquestré contre son gré car jamais il nous aurait laissés sans nouvelles aussi longtemps. Ce n’est pas son genre de disparaître de la sorte. Daniel n’est pas un jeune qui sort souvent, et quand il n’est pas à la maison, on sait où il est. Malgré ses airs de petite canaille, Dan est un garçon sage.
Je sais qu’il lui est arrivé quelque chose, mais quoi, ça je n'en sais rien. Cette situation a le dont de m’angoisser. Est-ce qu'il a souffert? Ou bien est-il actuellement en train de souffrir? Que pensent mes parents et Maverick? Je me demande si tout le monde est persuadé que Daniel est mort mais que personne n’ose le dire à haute voix. J’aimerais leur tirer les vers du nez pour savoir ce qui se passe dans leurs têtes torturées. On devrait bien pouvoir partager ce qu’on pense, non? Mais mon père est devenu froid depuis la disparition. Ma mère se trouve dans un constant état larmoyant. Lui parler de tout ça risquerait de l'anéantir encore plus qu’elle ne l’est déjà. Maverick est enfermé sur lui-même. Arriverais-je à discuter de ce lourd sujet avec lui? Notre relation s’est améliorée depuis notre discussion de l’autre fois, mais j’ai peur de le brusquer. En même temps, il m’accusait de ne pas assez m'investir et d’être dans le déni. S’il pouvait voir à quel point il a tort.
Il ne m’est plus possible de rester seule dans ce silence. J’ai besoin de parler avec ma famille.
Je choisis mon frère.
Je monte à l’étage et me jette sur la porte de chambre de Maverick, qui est encore fermée. Je frappe trois coups avec mon poing.
- Quoi?
- C’est moi, est-ce que je peux entrer?
- Oui.
J’ouvre la porte et me mets à faire les cent pas dans la chambre. Maverick me regarde, assis à son bureau. Je crois l’avoir interrompu pendant ses devoirs.
- Ça va, Liz? voyant que la réponse évidente est non.
- Je vais devenir folle.
Une expression de tristesse s’esquisse sur son visage. Il se lève et s’approche de moi.
- Je te comprends. Je ressens la même chose. J’y pense tout le temps.
- Moi aussi!! Tu t’imagines quoi, toi?
- Qu’est-ce que tu veux dire?
- Ça va faire une semaine demain! Qu’est-ce que tu penses qui lui est arrivé?
- J’en sais rien. Il y a le présumé coupable…
- Je sais! Avec ça, j'imagine plein de choses. Ça me fait tellement peur.
- Eille, fait attention, m'avertit-il en flattant délicatement mes bras. Rends-toi pas malade avec ça.
- Parce que t’arrives à pas te rendre malade, toi?
Il baisse la tête, comme fautif.
- Non, moi aussi j'imagine toutes sortes d’affaires.
- Tu crois qu’il a été kidnappé?
Il repose ses yeux dans les miens.
- D’un côté, je commence à croire que oui. De l’autre, je me dis que c’est assez improbable. On n’est pas dans un film.
- Oui mais Paul…
- Il n’a peut-être rien fait.
- Mais peut-être que oui. C’est des trucs qui peuvent arriver pour de vrai.
- Mais pas chez nous! Pas dans notre petite ville!
- Justement. Comme dans les films. Un beau cliché.
Il me lance un sourire en coin.
- T’es conne.
Je lui souris à mon tour. Ça fait du bien. Le sourire de mon frère me manquait. Il est beau comme ça. Il le perd vite cependant.
- Toi tu penses qu’il a été kidnappé? me relance-t-il.
- Je crois que oui. Peut-être parce que je me dis que c’est la seule possibilité qui fait qu’il pourrait être encore vivant.
- Je n’avais pas pensé à ça. Mais en même temps, s’il est encore en vie et captif chez un malade, dieu sait les horreurs qu’il peut endurer. J’ai pas envie d’imaginer ça.
- Je sais, déploré-je sur le bord des larmes. C’est exactement ce que je me dis. Sibole, il n’y a aucun moyen pour que ça finisse bien!
Je sens Maverick sur le point de pleurer, lui aussi. Peut-être pour me réconforter ou pour cacher ses larmes, il me prend dans ses bras. Je suis un peu surprise par son geste, mais je l'apprécie grandement. J’en profite, j’enroule à mon tour mes bras autour de lui.
Ça fait deux câlins en deux jours qu’on se donne. On commence à se rapprocher.
- Je n’en peux plus, déplore-t-il en se séparant de moi. Ça fait deux heures que je suis assis à mon bureau mais il n’y a rien qui avance. Je n’y arrive pas.
- Arrête alors.
- Je ne peux pas négliger mes cours, Liz. Le cégep c’est pas comme le secondaire. J’ai du travail par-dessus la tête, mais c’est trop dur. Je ne peux plus rien faire. C’est comme si plus rien n’avait de sens, tu comprends? Comment je peux suivre des putains de cours de philo, étudier pour des examens et faire des rédactions, sortir avec mes amis, alors que Daniel a disparu?
- Je comprends ce que tu veux dire mais tu ne peux pas te mettre à ne plus rien faire du tout. Ce n’est pas sain. Moi, ce qui m’aide, c’est de me tenir avec la gang à l’école et au théâtre. Ça me permet de me sentir en vie, normale.
- Ben, c’est ça, moi je ne peux pas me sentir en vie.
- Ça va te détruire si tu ne te donnes pas ce droit, m’attristé-je.
- La vie n’a juste plus de sens. Elle ne peut pas continuer banalement comme si de rien n’était. La vie s’est arrêtée. Elle s’est arrêtée quand Daniel a disparu.
- Moi, c’est le contraire, je me noie dans mes travaux scolaires. Je dois sortir, me remplir la tête. Comme ça, j’évite de m’enfoncer dans mes angoisses.
Maverick se laisse tomber sur son lit.
- Au début, je t’en voulais de continuer ta vie. C’était débile de ma part. Dans le fond, c’est toi qui vis cette situation le plus sainement. Tu t’empêches de sombrer.
- Bof, ce n’est qu’un mécanisme de défense. Je ne suis pas mieux que toi. Moi, je t’en voulais de te renfermer.
- Dans le fond, on vit ça différemment et on n’a pas à se juger.
Après le souper, tante Josée passe chercher Stéphanie. Maintenant qu’elle est partie, ça redevient vide dans la maison. D’autant plus que sa présence amenait la famille à faire la conversion. Maintenant que nous n'avons plus d'invités, ça bavarde beaucoup moins.
Papa est retourné dans son bureau et maman est directement allée se coucher. Je ne crois pas qu’elle dorme mais je la sais très fatiguée. Il n’est pas très tard. On pourrait croire le contraire puisque le soleil se couche très tôt à l'automne, mais il est à peine dix-neuf heures quarante-cinq.
Assise seule au milieu du salon, j’essaie de me concentrer sur la lecture du roman qu’il faut lire pour le cours de français. C’est l’histoire d’un homme condamné à mort parce qu’il a tué une femme. Comment la peine de mort peut-elle encore exister? C’est certain que si j’apprenais que Daniel a été tué par un homme, je vouerais une haine considérable à cette personne. Mais certainement pas au point de souhaiter sa mort. Combattre les actes inhumains par des actes inhumains, c’est d’un paradoxe ridicule. La peine de mort, c’est dégueulasse.
Est-ce que Daniel a été tué par quelqu’un et son cadavre gît quelque part? Cette idée me sert le cœur. Il serait seul, à attendre qu’on le trouve.
Ça fait six jours qu’il a disparu. À ce stade, c’est évident qu’il est arrivé quelque chose de grave. S’il est encore en vie, il est séquestré contre son gré car jamais il nous aurait laissés sans nouvelles aussi longtemps. Ce n’est pas son genre de disparaître de la sorte. Daniel n’est pas un jeune qui sort souvent, et quand il n’est pas à la maison, on sait où il est. Malgré ses airs de petite canaille, Dan est un garçon sage.
Je sais qu’il lui est arrivé quelque chose, mais quoi, ça je n'en sais rien. Cette situation a le dont de m’angoisser. Est-ce qu'il a souffert? Ou bien est-il actuellement en train de souffrir? Que pensent mes parents et Maverick? Je me demande si tout le monde est persuadé que Daniel est mort mais que personne n’ose le dire à haute voix. J’aimerais leur tirer les vers du nez pour savoir ce qui se passe dans leurs têtes torturées. On devrait bien pouvoir partager ce qu’on pense, non? Mais mon père est devenu froid depuis la disparition. Ma mère se trouve dans un constant état larmoyant. Lui parler de tout ça risquerait de l'anéantir encore plus qu’elle ne l’est déjà. Maverick est enfermé sur lui-même. Arriverais-je à discuter de ce lourd sujet avec lui? Notre relation s’est améliorée depuis notre discussion de l’autre fois, mais j’ai peur de le brusquer. En même temps, il m’accusait de ne pas assez m'investir et d’être dans le déni. S’il pouvait voir à quel point il a tort.
Il ne m’est plus possible de rester seule dans ce silence. J’ai besoin de parler avec ma famille.
Je choisis mon frère.
Je monte à l’étage et me jette sur la porte de chambre de Maverick, qui est encore fermée. Je frappe trois coups avec mon poing.
- Quoi?
- C’est moi, est-ce que je peux entrer?
- Oui.
J’ouvre la porte et me mets à faire les cent pas dans la chambre. Maverick me regarde, assis à son bureau. Je crois l’avoir interrompu pendant ses devoirs.
- Ça va, Liz? voyant que la réponse évidente est non.
- Je vais devenir folle.
Une expression de tristesse s’esquisse sur son visage. Il se lève et s’approche de moi.
- Je te comprends. Je ressens la même chose. J’y pense tout le temps.
- Moi aussi!! Tu t’imagines quoi, toi?
- Qu’est-ce que tu veux dire?
- Ça va faire une semaine demain! Qu’est-ce que tu penses qui lui est arrivé?
- J’en sais rien. Il y a le présumé coupable…
- Je sais! Avec ça, j'imagine plein de choses. Ça me fait tellement peur.
- Eille, fait attention, m'avertit-il en flattant délicatement mes bras. Rends-toi pas malade avec ça.
- Parce que t’arrives à pas te rendre malade, toi?
Il baisse la tête, comme fautif.
- Non, moi aussi j'imagine toutes sortes d’affaires.
- Tu crois qu’il a été kidnappé?
Il repose ses yeux dans les miens.
- D’un côté, je commence à croire que oui. De l’autre, je me dis que c’est assez improbable. On n’est pas dans un film.
- Oui mais Paul…
- Il n’a peut-être rien fait.
- Mais peut-être que oui. C’est des trucs qui peuvent arriver pour de vrai.
- Mais pas chez nous! Pas dans notre petite ville!
- Justement. Comme dans les films. Un beau cliché.
Il me lance un sourire en coin.
- T’es conne.
Je lui souris à mon tour. Ça fait du bien. Le sourire de mon frère me manquait. Il est beau comme ça. Il le perd vite cependant.
- Toi tu penses qu’il a été kidnappé? me relance-t-il.
- Je crois que oui. Peut-être parce que je me dis que c’est la seule possibilité qui fait qu’il pourrait être encore vivant.
- Je n’avais pas pensé à ça. Mais en même temps, s’il est encore en vie et captif chez un malade, dieu sait les horreurs qu’il peut endurer. J’ai pas envie d’imaginer ça.
- Je sais, déploré-je sur le bord des larmes. C’est exactement ce que je me dis. Sibole, il n’y a aucun moyen pour que ça finisse bien!
Je sens Maverick sur le point de pleurer, lui aussi. Peut-être pour me réconforter ou pour cacher ses larmes, il me prend dans ses bras. Je suis un peu surprise par son geste, mais je l'apprécie grandement. J’en profite, j’enroule à mon tour mes bras autour de lui.
Ça fait deux câlins en deux jours qu’on se donne. On commence à se rapprocher.
- Je n’en peux plus, déplore-t-il en se séparant de moi. Ça fait deux heures que je suis assis à mon bureau mais il n’y a rien qui avance. Je n’y arrive pas.
- Arrête alors.
- Je ne peux pas négliger mes cours, Liz. Le cégep c’est pas comme le secondaire. J’ai du travail par-dessus la tête, mais c’est trop dur. Je ne peux plus rien faire. C’est comme si plus rien n’avait de sens, tu comprends? Comment je peux suivre des putains de cours de philo, étudier pour des examens et faire des rédactions, sortir avec mes amis, alors que Daniel a disparu?
- Je comprends ce que tu veux dire mais tu ne peux pas te mettre à ne plus rien faire du tout. Ce n’est pas sain. Moi, ce qui m’aide, c’est de me tenir avec la gang à l’école et au théâtre. Ça me permet de me sentir en vie, normale.
- Ben, c’est ça, moi je ne peux pas me sentir en vie.
- Ça va te détruire si tu ne te donnes pas ce droit, m’attristé-je.
- La vie n’a juste plus de sens. Elle ne peut pas continuer banalement comme si de rien n’était. La vie s’est arrêtée. Elle s’est arrêtée quand Daniel a disparu.
- Moi, c’est le contraire, je me noie dans mes travaux scolaires. Je dois sortir, me remplir la tête. Comme ça, j’évite de m’enfoncer dans mes angoisses.
Maverick se laisse tomber sur son lit.
- Au début, je t’en voulais de continuer ta vie. C’était débile de ma part. Dans le fond, c’est toi qui vis cette situation le plus sainement. Tu t’empêches de sombrer.
- Bof, ce n’est qu’un mécanisme de défense. Je ne suis pas mieux que toi. Moi, je t’en voulais de te renfermer.
- Dans le fond, on vit ça différemment et on n’a pas à se juger.
- Exact. C’est déjà assez dur de même.
- Oui! Je préfère qu’on soit là l’un pour l’autre.
- Moi aussi.
Je le rejoins sur son lit et je laisse tomber ma tête sur son épaule.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant? lance-t-il.
- Je pourrais faire tes devoirs. Tu n'arrives pas à les faire et moi je dois absolument m’occuper l’esprit.
- L’idée du siècle, ironise-t-il un sourire dans la voix.
- Sérieusement, fais une pause. Il est vingt heures. Tu joues pas ta vie avec ce DEC.
- Ouin, je ne sais plus trop. Je ferais quoi sinon?
- On peut commencer par aller dehors. S’aérer l'esprit ne peut pas nous faire de mal.
Même s’il fait noir et qu’il fait froid, mon frère et moi nous nous habillons chaudement et allons nous asseoir sur la terrasse derrière la maison. J’en viens à lui parler de notre pièce de théâtre. Je lui fais part du scénario qui m'enchante et qui m’inspire de nombreuses idées pour les décors et la mise en scène. Des couleurs qu’on a utilisées, des meubles, du piano qui sera sur scène!
- J’ai vraiment hâte de la voir cette pièce, s’enchante-t-il.
- Moi aussi j’ai hâte que tu vois ça.
Le temps d’une discussion, j’ai pu me remplir la tête de ce qui me passionne le plus au monde, et permis à Maverick de décrocher de ses idées noires.
Au moment où je vais me coucher, je reçois un message de tante Josée.
{Salut ma belle! J’ai retrouvé ces photos et je me suis dis que vous seriez contents de les avoir xxx}
Elle m’a envoyé trois photos qui datent de trois Noëls différents. Depuis que mon frère est né, nous fêtons Noël chaque année chez tante Josée et oncle Philippe. Le 25 décembre, la sœur de ma mère et sa famille nous attendent vers seize heures. Les adultes ont du fun entre eux dans la cuisine tandis que les cinq cousins et cousines jouent ensemble à travers la maison. Sur la première photo que m’a envoyée Josée, nous sommes les cinq enfants, assis à une petite table au sous-sol à jouer à Uno. Ce jeu est une tradition à Noël. Aussitôt arrivés, nous allons directement nous installer pour jouer à ce jeu de cartes. Plusieurs guerres ont eu lieu autour de cette table. Dans la famille, on joue à Uno violemment.
La photo est tout de même un peu récente. Je crois que c’était l’an passé. On me voit de face, les yeux rivés sur mes cartes. Je suis entourée de Killian et Maverick. Daniel est face à moi et Stéphanie est assise sur le côté. Sur l’autre photo, nous sommes tous les cinq assis à la table de la salle à manger. Nos assiettes étaient bien entamées. On peut voir Maverick au bout de la table, avec un sourire forcé, visiblement très mal à l’aise de se faire prendre en photo. Mon frère adore prendre les gens en photos mais quand l’appareil est tourné vers lui, il déteste ça. Il est situé entre Stéphanie et moi qui affichons notre plus beau sourire. Au premier plan sont assis Daniel et Killian qui ont tellement l’air défoncés. J’éclate de rire en voyant leurs visages, les yeux à moitié fermés et Killian qui en plus, est en train de manger. Ils ne sont vraiment pas à leur avantage, c’est hilarant. La troisième photo est un peu plus vieille. C’est Daniel et moi, seuls, au bout de la table. Je crois qu’on avait douze et neuf ans. On sourit, contents d’avoir obtenu le bout de la table. Je me rappelle très bien de ce moment. On s’était dit : « On s’assoit à côté!!! » Et on avait rapidement pris place sur les deux chaises du bout. On avait, effectivement, pris beaucoup d’avance car, comme on peut le voir sur la photo, toutes les autres places sont vides.
Est-ce que Daniel sera parmi nous à Noël, cette année? Je ne peux m’imaginer cette fête sans lui. Aura-t-on seulement eu des réponses à ce moment-là?
- Oui! Je préfère qu’on soit là l’un pour l’autre.
- Moi aussi.
Je le rejoins sur son lit et je laisse tomber ma tête sur son épaule.
- Qu’est-ce qu’on fait maintenant? lance-t-il.
- Je pourrais faire tes devoirs. Tu n'arrives pas à les faire et moi je dois absolument m’occuper l’esprit.
- L’idée du siècle, ironise-t-il un sourire dans la voix.
- Sérieusement, fais une pause. Il est vingt heures. Tu joues pas ta vie avec ce DEC.
- Ouin, je ne sais plus trop. Je ferais quoi sinon?
- On peut commencer par aller dehors. S’aérer l'esprit ne peut pas nous faire de mal.
Même s’il fait noir et qu’il fait froid, mon frère et moi nous nous habillons chaudement et allons nous asseoir sur la terrasse derrière la maison. J’en viens à lui parler de notre pièce de théâtre. Je lui fais part du scénario qui m'enchante et qui m’inspire de nombreuses idées pour les décors et la mise en scène. Des couleurs qu’on a utilisées, des meubles, du piano qui sera sur scène!
- J’ai vraiment hâte de la voir cette pièce, s’enchante-t-il.
- Moi aussi j’ai hâte que tu vois ça.
Le temps d’une discussion, j’ai pu me remplir la tête de ce qui me passionne le plus au monde, et permis à Maverick de décrocher de ses idées noires.
Au moment où je vais me coucher, je reçois un message de tante Josée.
{Salut ma belle! J’ai retrouvé ces photos et je me suis dis que vous seriez contents de les avoir xxx}
Elle m’a envoyé trois photos qui datent de trois Noëls différents. Depuis que mon frère est né, nous fêtons Noël chaque année chez tante Josée et oncle Philippe. Le 25 décembre, la sœur de ma mère et sa famille nous attendent vers seize heures. Les adultes ont du fun entre eux dans la cuisine tandis que les cinq cousins et cousines jouent ensemble à travers la maison. Sur la première photo que m’a envoyée Josée, nous sommes les cinq enfants, assis à une petite table au sous-sol à jouer à Uno. Ce jeu est une tradition à Noël. Aussitôt arrivés, nous allons directement nous installer pour jouer à ce jeu de cartes. Plusieurs guerres ont eu lieu autour de cette table. Dans la famille, on joue à Uno violemment.
La photo est tout de même un peu récente. Je crois que c’était l’an passé. On me voit de face, les yeux rivés sur mes cartes. Je suis entourée de Killian et Maverick. Daniel est face à moi et Stéphanie est assise sur le côté. Sur l’autre photo, nous sommes tous les cinq assis à la table de la salle à manger. Nos assiettes étaient bien entamées. On peut voir Maverick au bout de la table, avec un sourire forcé, visiblement très mal à l’aise de se faire prendre en photo. Mon frère adore prendre les gens en photos mais quand l’appareil est tourné vers lui, il déteste ça. Il est situé entre Stéphanie et moi qui affichons notre plus beau sourire. Au premier plan sont assis Daniel et Killian qui ont tellement l’air défoncés. J’éclate de rire en voyant leurs visages, les yeux à moitié fermés et Killian qui en plus, est en train de manger. Ils ne sont vraiment pas à leur avantage, c’est hilarant. La troisième photo est un peu plus vieille. C’est Daniel et moi, seuls, au bout de la table. Je crois qu’on avait douze et neuf ans. On sourit, contents d’avoir obtenu le bout de la table. Je me rappelle très bien de ce moment. On s’était dit : « On s’assoit à côté!!! » Et on avait rapidement pris place sur les deux chaises du bout. On avait, effectivement, pris beaucoup d’avance car, comme on peut le voir sur la photo, toutes les autres places sont vides.
Est-ce que Daniel sera parmi nous à Noël, cette année? Je ne peux m’imaginer cette fête sans lui. Aura-t-on seulement eu des réponses à ce moment-là?
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