Sans trace - CHAPITRE 13

  

Chapitre 13

Samedi 11 octobre

En milieu d’après-midi, la mère de Nadia m’a proposé de me reconduire chez moi. J'ai accepté volontiers. Je n’aurais pas voulu une autre balade en voiture avec mon père. L'atmosphère avec lui est beaucoup trop tendue. Ça ne fait que me rendre plus anxieuse que je ne le suis déjà.

En entrant à la maison, je suis accueillie par un salon vide. Maverick doit encore broyer du noir dans sa chambre. Maman est probablement à l’étage également. La voiture de papa ne se trouve pas dans l’allée, alors je n’ai aucune idée où il est passé. Puis, il y a Daniel dont, bien sûr, j’ignore l’emplacement également. Je me laisse tomber sur le divan. La table basse devant moi est remplie d’avis de recherche que ma mère a fait imprimer. Sur la photo, Daniel regarde l’objectif, tout sourire. C’est comme s’il me regardait droit dans les yeux.

Sibole, t’es où, Dan? Arrête de sourire comme ça, c’est pas drôle. Dis-moi t’es où?

Ne supportant plus cette photo, je me lève et fais les cent pas dans le salon. Cette attente est insupportable. Une véritable torture.

Pourquoi ne suis-je pas restée chez Nadia jusqu’à la fin de l’après-midi? Je ne suis pas mieux à la maison.

Il me prend l’envie de crier dans mon oreiller. Je monte à l’étage pour me réfugier dans ma chambre. En chemin vers mon refuge, je passe devant la chambre de mon grand frère. Sa porte est toujours fermée. Comme il n’y a aucun son, je cogne deux coups.

- Maverick?

- Quoi?

Son ton était dur mais entendre sa voix me rassure.

- Je voulais juste être sûre que t’es correct.

- Ben oui, je suis correct.

Il a parlé plus doucement cette fois. J’avance de trois pas puis reste figée devant la chambre de Daniel. Je finis par me placer sur le pas de la porte et je remarque ma mère qui s’est endormie sur le lit simple de mon frère. Je sens mes muscles se détendre à cette vue. J’ai l’impression que c’est la première fois que ma mère dort paisiblement depuis la disparition de Daniel. Son visage est doux et détendu. La voir dans cet état me donne un léger sentiment d’apaisement. Ses yeux s’ouvrent. Merde, je l’ai réveillée?

- Liz, tout va bien?

- Oui, oui, rendors-toi.

Je crois bien que c’est peine perdue. Sortant du sommeil, elle s'assoit lentement, puis passe ses mains sur son visage.

- Ton père…

- Il est parti. Je ne sais pas où il est.

- C’est correct. Il m’a dit qu’il avait une réunion avec Alain.

Elle frotte ses yeux endormis. J’ai le sentiment de l’avoir dérangée durant le seul temps où elle peut avoir l’esprit en paix. Lorsqu’elle descend pour probablement se faire un café, mon frère sort de sa chambre. Il s'immobilise en me voyant.

- Qu’est-ce que tu fais? Ça commence à être une habitude pour toi de faire la statue dans le corridor.

Je ne sais pas s’il tentait de me faire une blague ou bien si c’était un reproche. Son ton était neutre et froid. Je n’arrive pas à saisir mon frère. Je me demande s’il est toujours fâché contre moi? M’en veut-il parce que je suis allée m’amuser avec mes amis? Est-ce qu’il me déteste parce que je continue de vivre alors que Daniel a disparu par ma faute?

Comme je ne réponds pas, Maverick bouge enfin pour aller en bas.

- Maverick, attends.

- Quoi? fait-il en se retournant vers moi.

Ça ne peut pas continuer comme ça. Cette tension entre lui et moi. Je n’en peux plus. Je veux retrouver mon frère blagueur. Celui qui aime s’amuser, me taquiner. Celui qui n’est pas une masse de colère renfermée sur elle-même.

- Maverick, je ne te reconnais plus. Depuis ce soir-là, tu te renfermes sur toi-même. Tu sembles constamment en colère. J’ai l’impression que… Je m'inquiète pour toi et… Est-ce que tu…

J'appréhende énormément cette question. J’inspire un bon coup et je me lance :

- Est-ce que tu m’en veux pour ce qui est arrivé?

Voilà, la question est posée. Si la réponse est positive, je ne sais pas je pourrai l’encaisser. Maverick me fixe. Ses yeux sont grand ouverts. J’y lis de la surprise, de la douleur.

- Mon dieu Liz, non je ne t’en veux pas.

J’expire un bon coup. Un énorme poids se libère de sur mes épaules. Maverick ne m’en tient pas rancune.

- Alors, tu ne crois pas que je sois responsable?
 
Je chuchotais presque. J’ai besoin d’être rassurée. Mais poser ces questions confronte ma culpabilité, ce qui est assez douloureux.

- Pas du tout. Non en fait… c’est moi le fautif dans cette histoire.

- Quoi? Mais pourquoi tu dis ça?

- C’est moi qui l'ai amené en ville.

Je ne suis donc pas la seule à ressentir cette culpabilité. Maverick aussi se torture l’esprit.

- Et alors? essayé-je de le rassurer. Ça n’a rien à voir.

- J’arrête pas de me repasser en boucle ce que tu m’as dit ce soir-là quand tu nous as rejoints au parc.

- Qu’est-ce que je t’ai dit?

- Je t’avais reproché d’avoir laissé Daniel partir seul de l’épicerie et tu t’es défendue en me disant que c’était moi qui l'avait amené, alors que c’était à moi de le surveiller. Ou quelque chose comme ça…

- Maverick! m’exclamé-je horrifiée. Mon but n'était tellement pas de te faire sentir mal…

- Je sais, me rassure-t-il. Mais tu avais raison de me dire ça. Je t’ai accusée, mais c’est moi qui ai amené Daniel en ville. Alors que tout ce que tu faisais était de passer un moment relaxe avec ta meilleure amie. Tu n’avais pas demandé à passer la soirée avec tes frères et je nous ai imposés à toi et Nadia. Et voilà le résultat.

- Arrête. Ça me fait toujours plaisir d'être avec vous. Bon, j’avoue que vous m’énervez des fois, vous êtes mes frères quand même, dis-je le petit sourire aux lèvres. Mais on passait un très beau moment tous les quatre. J’aime être avec vous deux. Je vous adore. Vous êtes les personnes les plus importantes de ma vie.

- Vraiment?

- Ben oui. Pas toi?

- Question piège. Si je ne te dis pas que tu es la personne la plus importante de ma vie, tu vas me raser les cheveux dans mon sommeil?

- Attends-toi à pire!

Nous rions. Ça me fait chaud au coeur, ce moment de complicité.

- Sincèrement, sans niaiser, c’est vrai que vous êtes les personnes les plus importantes de ma vie, affirme-t-il. Je suis votre grand frère. Je ferais n’importe quoi pour vous deux.

Touchée par sa déclaration, je m’avance pour me réfugier dans ses bras. Il semble surpris par mon geste. Son corps est tendu, mais il finit doucement par se détendre. Il referme ses bras contre moi.

Quand il se défait de mon étreinte, on s’accorde un dernier sourire complice avant de descendre les marches. En arrivant en bas, on tombe sur papa qui rentre à la maison au même moment, tandis que maman parle au téléphone dans le salon.

- Oui. Justement, Olivier arrive à l’instant. Et les enfants viennent de descendre. Je vais leur en parler. Ils seront contents… Oui… À plus… Je t’aime.

- À qui tu parlais? demande Maverick.

- Pourquoi on va être contents? ajouté-je.

- Josée nous invite à souper ce soir.
 
- Oh génial! m'exclamé-je. C’est trop gentil. Ça va nous faire du bien.

- Je pense pas pouvoir y aller, annonce papa.

- Comment ça? s’insurge presque maman.

- J’ai pris beaucoup de retard au travail. Je crois que le mieux serait que je reste ce soir pour rattraper ce que j’ai manqué.

- Tu ne crois pas que ça te ferait du bien de changer d’air un peu? essaie-t-elle de le convaincre.

Papa ne répond pas. Je vois qu’il est pris dans ses pensées, probablement à peser le pour et le contre.

- Allez! Ça va te faire du bien. Et à moi aussi. J’ai besoin de passer du temps avec toi. Les enfants aussi d’ailleurs. Ils ne te voient pas beaucoup ces derniers temps.

Papa pose alors les yeux sur Maverick et moi. J’ai de la difficulté à déchiffrer son regard. Est-il triste, désolé?...

- D'accord, finit-il par concéder. Je travaillerai demain.

Maman lui sourit, reconnaissante. Elle le prend par les épaules et l’embrasse. Malgré cette tendresse qu’elle lui offre, papa reste tendu, le regard absent.

Vivement ce soir chez tante Josée.

Commentaires

  1. Une chance qu’ils sont une famille qui s’aime et se respecte.

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