Sans trace - CHAPITRE 12
Chapitre 12
Samedi 11 octobre
En sortant du lit ce matin, je réalise qu’on est le premier samedi à vivre sans Daniel.
Comme tous les samedis matins, je trouve mes parents assis à l'îlot pour boire leur café. D’habitude, ils sont en grande conversation. Je me suis toujours demandée ce qu’ils avaient autant à se dire le matin. À croire qu’ils vivaient de grosses aventures pendant la nuit qu’ils ressentent le besoin de se partager au réveil. Peut-être qu’ils se racontent leurs rêves.
Ce matin, par contre, leurs échanges sont moins enflammés qu’à l'accoutumé. Ils chuchotent presque. J’ai le mauvais pressentiment qu’ils veulent me cacher quelque chose.
- Allô poussin, me salue maman lorsqu’elle me voit.
Elle est assise face à mon père, les jambes repliées. Elle tient sa tasse de café à deux mains comme si elle mourait de froid. Mon père me sourit en guise de bon matin. C’est étrange. On dirait que son sourire date d’une vie antérieure.
Je les salue avant d’aller m'asseoir au salon. Ils se sont arrêtés de parler. Ça m’agace. S’ils voulaient donner l’impression de parler contre moi, c’est tout à fait réussi.
Chaque samedi matin, je retrouve Daniel dans le salon en train de regarder un film. Il se lève très tôt, autour de sept heures. Lorsque vient mon tour de me lever, je le rejoins dans son visionnement. Heureusement qu’il écoute tout le temps des films qu’on connait sinon, j'écouterais toujours des demi films. La semaine dernière, il écoutait Mon frère l’ours. J’étais arrivée tout juste au moment de la révélation autour de la maman ours. Ça m’avait fait pleurer sur le champ alors que j'étais debout depuis seulement cinq minutes. Tu parles d'un début de journée! Daniel s'était moqué de moi. On avait le temps de finir le film bien avant que Maverick ne se lève enfin. Nous sommes presque sur le point de dîner quand il descend, en pyjama et le visage endormi.
Ce matin, le salon est vide et la télé est éteinte. Ça me décontenance beaucoup, je dois l’avouer. Daniel laisse un grand vide dans la maison. Je me demande quel film il aurait écouté ce matin.
En remontant pour aller m'habiller, je tombe sur Maverick qui vient tout juste de se lever.
- Hey, bien dormi?
- Pas vraiment, dit-il en baillant.
Il part s’enfermer dans la salle de bain.
Un samedi matin sans Daniel, c’est vraiment ennuyant. S’il était là, après notre film, on serait sûrement allés jouer à Lilo et Stitch ou bien à Histoire de jouets, ou au film qu’on viendrait juste d’écouter. Oui, jouer. Il a douze ans et moi quinze, et on joue. Ce que j’aime avec Daniel, c’est qu’on ne s’est jamais obligés à vieillir. On est restés le frère et la soeur enfants qui s’amusent ensemble.
Depuis qu’il est né, j’ai plus de proximité avec lui qu’avec Maverick. Même que mes contacts physiques sont surtout avec Daniel. On se colle très souvent, on s’agace, on se donne des câlins à toutes les occasions, je le chatouille… Avec mon grand frère, notre amour se manifeste autrement. On ne se touche que très rarement. On s’agace aussi, mais de manière verbale. On a tendance à se lancer des petites répliques gentiment assassines. Rien de bien violent, mais on adore.
Lorsque Maverick sort de la salle de bain, il s’arrête et me regarde les sourcils froncés.
- Qu’est-ce que tu fais, plantée au milieu du corridor?
Je me réveille enfin. En effet, qu’est-ce que je fais plantée là? Je ne sais vraiment plus quoi faire de ma peau.
- Euh, rien. Je réfléchissais.
Sans répondre, il reprend sa route vers le rez-de-chaussée.
En temps normal, il se serait gentiment moqué de moi. Ces derniers temps, ses blagues se font très rares. Maverick est tellement distant et quand il me parle, il le fait avec une froideur qui me blesse, je dois l’admettre.
Je bouge enfin pour aller m’habiller, puis sortir mes documents d’études en vue de l’examen de mathématiques. Il est lundi, alors il faut vraiment que je m’y mette.
Je n’arrive pas à me concentrer. Je commence à comprendre Maverick. Comment puis-je étudier un vulgaire examen de maths alors que Daniel est peut-être en danger, ou bien mort? S’il était là, je ne pourrais pas mieux me concentrer parce que je le connais, il viendrait me déranger. Mais au moins, je le saurais en sécurité et il m’aiderait à sortir de l'ennui.
Le nombre de fois où il entre dans ma chambre sans frapper. Chaque fois, ça me met en rogne. Cependant, je dois avouer que je ressens un manque maintenant que ça n’arrive plus. La dernière fois, ça fait exactement une semaine. C’était samedi passé.
- Liz! Tu sais pas quoi… a-t-il crié en ouvrant ma porte par surprise.
- Sibole Daniel! Ça fait mille fois que je te dis de frapper avant d’entrer.
Il m’a regardée avec sa petite mine de chien battu.
- Mais il faut trop que…
- Avant, tu recommences.
- Quoi?
- Sors, et recommence.
Après m'avoir lancé une expression ahurie des plus mignonnes, il a tourné les talons et est sorti en fermant la porte. Une seconde plus tard, il a cogné trois coups.
- Oui? ai-je demandé sur un ton faussement innocent.
- C'est moi, a-t-il dit derrière la porte.
- Moi qui?
Je rigolais en silence, l’imaginant exaspéré par mes conditions.
- C’est papa, a-t-il répliqué d’une voix grave.
- Ha ha! Tu peux entrer.
Daniel, c’est mon petit frère, mon bébé. Ma relation avec lui est différente d'avec Maverick. Mon grand frère est plutôt du genre protecteur, presque garde du corps. Oui, il fait exprès de m'énerver, mais je sais qu’il me défendrait contre vents et marées. Je suis sa petite sœur, sa petite protégée. Il est pareil avec Daniel, notre petit dernier. Avec mon frère cadet, je suis un peu comme une enfant. On joue ensemble, on s’amuse, on s’agace.
La sonnerie de mon téléphone interrompt mon étude plus ou moins efficace. C’est Nadia.
- Hey!
- Salut! me dit-elle. Bibiane et Simon sont chez moi. Tu as envie qu’on aille marcher au marais toutes les quatre?
- Oui! J’adorerais.
Prendre une marche en plein air avec mes amies, c’est précisément ce qu’il me faut. Puis ça fait longtemps que j’ai vu Simon. Il est un acteur dans la pièce. Je le croise quelquefois entre les cours, mais il se tient principalement avec sa gang de gars.
- C’est bien ce que je me disais, dit-elle un sourire dans la voix. Ça va nous faire du bien de passer du temps ensemble, sans que ce soit à l’école.
Elle sait que j’ai besoin de sortir de la maison. Je l’adore.
- Je suis tout à fait d’accord. Je vais demander à mon père s’il peut me reconduire.
- Okay cool!
Sans raccrocher, je descends, le téléphone à la main.
- Nadia m’invite à aller marcher au marais, leur annoncé-je lorsque j’arrive face à eux, dans la cuisine. Sa mère va nous y reconduire.
Mes parents se partagent un air inquiet. Qu’est-ce qui se passe encore?
- Avec ce qui se passe avec Daniel, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, désapprouve papa.
- Quoi?! Pourquoi?
Il ne va pas m'interdire ça? Hier, ils me chicanaient parce que je suis sortie sans leur dire. Maintenant que je les préviens, ils me disent non. Ça m’enrage.
- Ça peut être dangereux, explique-t-il. Deux jeunes adolescentes qui marchent dans la nature, vous n’êtes pas à l’abri du danger.
- Franchement, c’est le marais. Les kidnappeurs ne se tiennent pas là. Puis Bibiane et Simon seront là aussi.
- Même à ça. C’est non, Liz.
- Je ne vais quand même pas rester enfermée à la maison jusqu’à ce que Daniel revienne. Je veux vivre.
- Vivre? me reproche Maverick. Parce que toi t'arrives à vivre avec ce qui se passe?
- J’essaie au moins, voyons! Je ne vais pas retenir ma respiration en attendant que Daniel réapparaisse. Oui, je veux vivre. Et je ne vais pas m'excuser pour ça.
- C’est ça. Continue d’être dans le déni.
Comment peut-il me dire un truc pareil? Non, je ne suis pas dans le déni. J'y pense tout le temps. Chaque minute, je me repasse le fil de cette soirée dans la tête. Chaque minute, je revois Daniel passer les portes de l’épicerie. Chaque minute, je suis hantée par cette dernière image que j’ai de lui. Si j’avais su, je ne l’aurais pas laissé partir.
Mon grand frère me lance un dernier regard rempli de jugement avant de monter s’enfermer dans sa chambre. Encore. Parfait. Qu’il y reste. C’est tout ce qu’il sait faire, se tourmenter et faire comme si la terre avait cessé de tourner. Il n’a pas le droit de m’en vouloir parce que moi j’arrive encore à aller à l’école et à m’investir dans mon activité parascolaire. Ce n’est pas pour autant que je me fous de la disparition de Daniel. Évidemment que je ne m’en fous pas. Je ne suis pas insensible. Daniel est mon petit frère à moi aussi. Je l’ai perdu moi aussi. Mais je ne suis pas comme Maverick. Je ne peux pas me contenter de ne rien faire. Je dois continuer ma vie. Attendre, plantée là, que Daniel revienne m’est insupportable. Maverick m’en veut de continuer à vivre, mais je ne peux pas faire autrement. Sinon ce serait m’enfoncer plus profondément dans ces tourments.
Que lui est-il arrivé en sortant de l’épicerie? Il s’est fait kidnapper? Séquestrer? Tuer? Violer? NON. Arrête de penser à ça, Liz. Arrête.
- C’est non, Liz, conclut papa. Mais si tu veux aller chez Nadia, ça me fera plaisir de t’y conduire. Tant que vous ne sortez pas.
- C’est ridicule! m’emporté-je.
- Change de ton, sinon tu ne sors pas du tout.
Je fulmine encore plus mais je me retiens pour ne pas exploser. Hors de question qu’il m'empêche d’aller chez Nadia.
Nadia!
Elle est encore au bout du fil.
- Nad? dis-je en reprenant le téléphone.
- J’ai tout entendu. C’est poche.
La honte.
- Ouin…
Je m'éloigne de mes parents pour parler à mon amie.
- Mais en effet, tu peux venir chez moi. On restera à la maison.
- Okay
- Good. On t’attend.
- D’accord. À tantôt.
- À tantôt.
Je raccroche. Je me retourne. Papa me regarde.
- Et puis?
- Tu veux bien me reconduire chez Nadia?
- Avec plaisir. Je te préfère en sécurité dans une maison.
Sa surprotection m'énerve. Je lui grommelle un merci avant d’aller chercher mes affaires pour être prête à partir.
- C’est bien ce que je me disais, dit-elle un sourire dans la voix. Ça va nous faire du bien de passer du temps ensemble, sans que ce soit à l’école.
Elle sait que j’ai besoin de sortir de la maison. Je l’adore.
- Je suis tout à fait d’accord. Je vais demander à mon père s’il peut me reconduire.
- Okay cool!
Sans raccrocher, je descends, le téléphone à la main.
- Nadia m’invite à aller marcher au marais, leur annoncé-je lorsque j’arrive face à eux, dans la cuisine. Sa mère va nous y reconduire.
Mes parents se partagent un air inquiet. Qu’est-ce qui se passe encore?
- Avec ce qui se passe avec Daniel, je ne pense pas que ce soit une bonne idée, désapprouve papa.
- Quoi?! Pourquoi?
Il ne va pas m'interdire ça? Hier, ils me chicanaient parce que je suis sortie sans leur dire. Maintenant que je les préviens, ils me disent non. Ça m’enrage.
- Ça peut être dangereux, explique-t-il. Deux jeunes adolescentes qui marchent dans la nature, vous n’êtes pas à l’abri du danger.
- Franchement, c’est le marais. Les kidnappeurs ne se tiennent pas là. Puis Bibiane et Simon seront là aussi.
- Même à ça. C’est non, Liz.
- Je ne vais quand même pas rester enfermée à la maison jusqu’à ce que Daniel revienne. Je veux vivre.
- Vivre? me reproche Maverick. Parce que toi t'arrives à vivre avec ce qui se passe?
- J’essaie au moins, voyons! Je ne vais pas retenir ma respiration en attendant que Daniel réapparaisse. Oui, je veux vivre. Et je ne vais pas m'excuser pour ça.
- C’est ça. Continue d’être dans le déni.
Comment peut-il me dire un truc pareil? Non, je ne suis pas dans le déni. J'y pense tout le temps. Chaque minute, je me repasse le fil de cette soirée dans la tête. Chaque minute, je revois Daniel passer les portes de l’épicerie. Chaque minute, je suis hantée par cette dernière image que j’ai de lui. Si j’avais su, je ne l’aurais pas laissé partir.
Mon grand frère me lance un dernier regard rempli de jugement avant de monter s’enfermer dans sa chambre. Encore. Parfait. Qu’il y reste. C’est tout ce qu’il sait faire, se tourmenter et faire comme si la terre avait cessé de tourner. Il n’a pas le droit de m’en vouloir parce que moi j’arrive encore à aller à l’école et à m’investir dans mon activité parascolaire. Ce n’est pas pour autant que je me fous de la disparition de Daniel. Évidemment que je ne m’en fous pas. Je ne suis pas insensible. Daniel est mon petit frère à moi aussi. Je l’ai perdu moi aussi. Mais je ne suis pas comme Maverick. Je ne peux pas me contenter de ne rien faire. Je dois continuer ma vie. Attendre, plantée là, que Daniel revienne m’est insupportable. Maverick m’en veut de continuer à vivre, mais je ne peux pas faire autrement. Sinon ce serait m’enfoncer plus profondément dans ces tourments.
Que lui est-il arrivé en sortant de l’épicerie? Il s’est fait kidnapper? Séquestrer? Tuer? Violer? NON. Arrête de penser à ça, Liz. Arrête.
- C’est non, Liz, conclut papa. Mais si tu veux aller chez Nadia, ça me fera plaisir de t’y conduire. Tant que vous ne sortez pas.
- C’est ridicule! m’emporté-je.
- Change de ton, sinon tu ne sors pas du tout.
Je fulmine encore plus mais je me retiens pour ne pas exploser. Hors de question qu’il m'empêche d’aller chez Nadia.
Nadia!
Elle est encore au bout du fil.
- Nad? dis-je en reprenant le téléphone.
- J’ai tout entendu. C’est poche.
La honte.
- Ouin…
Je m'éloigne de mes parents pour parler à mon amie.
- Mais en effet, tu peux venir chez moi. On restera à la maison.
- Okay
- Good. On t’attend.
- D’accord. À tantôt.
- À tantôt.
Je raccroche. Je me retourne. Papa me regarde.
- Et puis?
- Tu veux bien me reconduire chez Nadia?
- Avec plaisir. Je te préfère en sécurité dans une maison.
Sa surprotection m'énerve. Je lui grommelle un merci avant d’aller chercher mes affaires pour être prête à partir.
* * *
- Salut! m’accueille Nadia lorsqu’elle m’ouvre la porte.
Comme promis, papa est gentiment venu me reconduire. Je sentais bien qu’il essayait de me faire comprendre son point de vue.
- Tu verras, quand tu auras des enfants, tu seras tout aussi protectrice. Et je ne souhaite pas d’en perdre un, parce qu’il n’y a rien de pire…
C’était comme ça tout le trajet. Je hochais la tête et répondais des « mhm » de temps à autre. Je me sens ingrate, mais je n’ai pas la force de me mettre à la place de mon père. Oui, je sais que c’est dûr pour lui, mais ça l’est pour tout le monde. J’essaie déjà de ne pas me noyer dans ma propre angoisse et ma culpabilité. Toute mon énergie est contenue là-dedans.
Toutefois, me trouver face au doux visage de Nadia arrive déjà à affecter positivement mon humeur. Je lui souris sans effort.
- Allô!
De l’entrée, j'aperçois Bibiane et Simon assis au salon.
- Hey Liz! fait Bibiane en se mettant debout sur le divan.
- Descends de là, la gronde Nadia. Si ma mère te voit, elle va te bannir de chez nous.
Bibiane esquisse une moue déçue avant de redescendre. Je rigole.
- Tu peux déposer ton manteau là.
Nadia me pointe une chaise. J’y laisse ma veste avant de suivre mon amie jusqu’au salon.
- Qu’est-ce que vous voulez faire? demandé-je en m'asseyant sur la causeuse.
- Je ne sais pas, répond Nadia. Je n’y ai pas pensé. T’avais envie de quelque chose en particulier?
- J’avais envie de sortir, mais mon père ne veut pas, rabroué-je.
- Comment ça? demande Simon.
- À cause de mon frère. Il s’imagine que je vais disparaître moi aussi.
Un froid s’installe dans la pièce. Je crois que le sujet « frère disparu » ne met pas tout le monde à l’aise.
- Tu peux toujours trouver le moyen de t’amuser, lance Bibiane qui ne se laisse pas démonter par le malaise. On pourrait aller dehors.
- Et respecter les limites du terrain, ajoute Nadia en me faisant un clin d'œil.
- Si je les dépasse, je vais me désintégrer.
On pouffe de rire, puis on se lance vers la cour arrière.
Il n’y a pas grand chose à faire en ce jour nuageux d’automne. Mais comme Nadia possède encore sa balançoire d’enfant, on s'y rend tous machinalement.
- Pas palpitant comme glissoire, commente Simon après avoir glissé.
- On est rendus un peu grands pour ça, dit Nadia.
- Ou un peu gros, la corrige Bibiane qui essaie de s'asseoir sur une balançoire. J’ai de trop grosses fesses, ça n’entre pas.
- Ha! ha! moi je rentre encore, me vanté-je.
Afin de prouver mes paroles, je m’installe à côté de Bibiane.
- De justesse, mais quand même.
- On le sait, toi avec ta taille de guêpe.
L’après-midi se poursuit et j’ai l’impression d’avoir une vie normale. On s’amuse tous les quatre sur l’herbe jaune. Nadia grimpe dans le gros arbre au bord de son terrain. On l’encourage dans sa montée. On lui crie des encouragements.
- Vous voulez pas y aller? propose Simon.
- Oh non, déclinée-je. Je ne voudrais surtout pas déchirer mes collants.
Je me vois mal monter dans un arbre en jupe.
Quand Nadia redescend, nous décidons de rentrer.
Durant les heures qui suivent, on se met à discuter de la pièce de théâtre. Bibi et Simon ont un gros monologue à la scène 5 et ils ont décidé de nous faire une démonstration. Ça m’a beaucoup inspirée. J’avais déjà imaginé l’habillement de Bibiane, mais je n'avais aucune idée pour Simon. À le voir jouer, ça me permet de sentir la vibe de son personnage et savoir quel serait le style vestimentaire qui lui conviendrait. Comme il a un jeu très posé, et même froid, je le vois habillé super chic, en noir. Un beau style veston, cravate. J’en discuterai avec Chanelle, mardi.
- Ça ne marche pas, s'interrompt Bibiane dans son jeu.
- De quoi tu parles? demandé-je.
- C’est écrit que je montre le revolver, mais je le sors d’où, au juste? Ça fait trois minutes que je suis entrée en scène et je n'ai pas de revolver sur moi.
- Tu le sortiras de ta brassière, suggéré-je.
Mes trois amis pouffent de rire.
- Quoi?
- Ben oui! Ça fait un bon effet de surprise et c’est super drôle. Moi je dis que tu devrais faire ça.
- Okay, accepte-elle amusée.
La répétition se poursuit.
Vers treize heures, Bibiane et Simon repartent chez eux. Je me retrouve alors seule dans le salon avec Nadia. L'atmosphère change tout à coup. On dirait que plus il y a de monde dans une pièce, plus je me sens bien. Moins il y a de monde, plus je déprime. Comme si l'absence des gens permettait à ma déprime de combler l’espace.
Pendant que je m'amusais avec mes amis, est-ce que Daniel se faisait violenter? Si ça se trouve, il était toujours vivant et il est mort précisément cet après-midi.
Mon cœur commence à s’agiter.
- Es-tu correct?
Nadia remarque mon malaise.
- Je suis désolée, je… je repense à Daniel.
- Ben là, c’est normal. Tu as envie d’en parler? Ou tu préfères pas?...
- Je ne sais pas, Nadia. Tu vas me prendre pour une folle, mais je ne sais pas ce que je veux. J’en veux à ma famille de ne pas parler, et en même temps, je fais tout pour moi-même me changer les idées et penser à autre chose. Je ne suis pas logique.
- Mais c’est pas logique ce que tu vis. C’est pas normal. Évidemment que tu es dans tous tes états.
- Ouin, peut-être.
- Écoute, on va faire ce qui te dit, okay? Si tu veux te confier, vas-y, je vais t’écouter. Mais si tu as envie qu’on fasse complètement autre chose et qui n’a rien à voir avec Daniel, on le fera.
Elle est gentille Nadia, mais je ne sais pas ce qui me tente. Je ne me comprends plus.
Je m’amusais tantôt. J’aimerais que ça continue, mais soudainement, je n’y arrive plus. Comme si je ne pouvais pas être heureuse trop longtemps, comme si je n’en avais pas le droit, parce que Daniel est disparu.
Pourquoi la police ne l'a toujours pas retrouvé? Même si elle n’a aucun suspect, Daniel a tout de même pu être kidnappé. Le kidnappeur en question a juste beaucoup de talent pour cacher ses traces, ou bien il a eu beaucoup de chance.
Mais qui aurait pu enlever Daniel? Un fou qui passait par là? Et pour faire quoi? Ceux qui kidnappent des jeunes, ils ne le font pas sans raison. Si Daniel a été enlevé, c’est certainement par un pédophile qui veut abuser de lui. J'imagine mon frère, seul le soir, sur la route vers le parc. Un malade en voiture l’a remarqué. En voyant un jeune pré-adolescent, petit et sans défense, il a dû s’arrêter, l’embarquer de force dans sa voiture et l'amener chez lui. Daniel est assez chétif. Même en se débattant, il n’aurait pas été de taille devant un homme aux mauvaises intentions.
J’en ai mal au cœur juste à y penser. Comment les policiers le retrouveront s’il est prisonnier dans un sous-sol? Ils ne peuvent quand même pas fouiller toutes les maisons de la ville. Et si le fou avait amené Daniel dans une autre ville? Nos chances de le retrouver seraient impossibles! Dans la série Fugueuse, Fanny avait été amenée à Toronto et séquestrée par la suite. Si elle n’avait pas eu accès à une fenêtre, personne ne l’aurait vue. Peut-être que Daniel s’est retrouvé dans une autre ville, voir un autre pays, enfermé dans un endroit où il lui est impossible de se faire voir, ni même de s’échapper.
Je sens mon pouls s'accélérer. L’angoisse me saisit. Si c'est le cas, mon frère est peut-être en train de subir des souffrances inimaginables et il n’y aura personne pour le sauver!
- Liz?
- Quoi?!
Nadia m’a fait sursauter.
- À quoi tu penses?
Devrais-je lui dire à quoi je pense?
- À toutes les possibilités les plus atroces.
Si Daniel est encore vivant, c’est qu’il a été enlevé par quelqu’un. Mais si jamais on le retrouve, dans quel état reviendra-t-il à la maison? S’il a passé tous ces jours séquestré, violenté, abusé, il sera complètement démoli. Daniel est peut-être dans un sous-sol en train de se faire violer.
Mon petit frère sera de retour à la maison, mais avec un stress post-traumatique intense. C’est inévitable. Il ne sera plus le même. Je ne pourrai pas supporter de le voir comme ça. Pauvre chou. Sa vie sera complètement brisée. Il aura besoin d’aide psychiatrique, d’un psychiatre pour se sortir de ce lourd traumatisme. Daniel qui est si plein d’énergie et drôle, il sera à présent éteint.
- Tu veux me les partager?
Si je les partage avec Nadia, j’ai peur qu’elles deviennent trop réelles. Pour l’instant, ça reste dans ma tête. Mais si je les exprime à haute voix, elles pourraient devenir des théories plausibles.
Toutes ces pensées m'épuisent. Je me laisse choire sur le divan en poussant le plus gros soupir de ma vie. Nadia s’assoie près de moi, me donnant une invitation silencieuse à me confier.
- Je commence à me dire qu’il est peut-être encore vivant, commencé-je sans regarder mon amie.
- Mais c’est génial. Qu’est-ce qui te fait sentir ça?
- C’est pas génial. S’il est vivant, il est clairement séquestré quelque part. Sinon, il reviendrait.
Je tourne la tête vers elle. Mon amie me fixe, le regard inquiet.
- J’avoue que vue de même…
- Et pour quelle raison un jeune de douze ans se ferait enlever? Pour lui faire du mal! Il n’y a que cette possibilité. Oui, il serait encore en vie, mais même si on le trouve et qu’on le ramène à la maison, le mal sera fait. S’il se fait agresser et violer, il sera brisé à jamais! Une épreuve comme celle-là, c’est tellement destructeur. C’est inhumain! J’ai déjà lu sur les traumatismes et ces gens deviennent... Il... il ne serait plus que l’ombre de lui-même. Et il pourrait même en venir au suicide!...
- Okay, calme-toi Liz, tente de me rassurer Nadia. Ça ne sert à rien de se faire de tels scénarios. Il n’est peut-être rien arrivé de tout ça à ton frère.
J’essaie de me calmer sur les conseils de mon amie. Je frôlais l’hyperventilation. Elle a bien fait de me couper. J'inspire et expire fort.
- J’ai tellement peur, Nad.
- Je sais, se désole-t-elle. Je t’avoue que je ne sais pas quoi te dire.
- Pas besoin de me dire quelque chose. Juste ta présence et ta compassion, et le fait que tu ne me juges pas, c’est parfait.
Elle sourit.
- Okay. Viens dans mes bras.
C’est à mon tour de sourire. Je me glisse dans ses bras ouverts. Ils se referment sur moi, me donnant une sensation de chaleur et un sentiment de sécurité.
Nous ne parlons pas pendant plusieurs minutes.
Tu réussis à nous faire ressentir l’angoisse que vit Liz. 😢
RépondreSupprimer