Sans trace - CHAPITRE 11
Chapitre 11
En débarquant de l’autobus ce soir, je décide de ne pas tout de suite me rendre vers la maison. J’ai besoin d’aller marcher en ville, d’aller sur le lieu où Daniel a disparu. Sincèrement, je ne sais pas ce que je vais y chercher exactement, mais je ressens le besoin d’y aller.
Quand j’arrive à l’épicerie, tout me semble normal. Je ne ressens rien de spécial. Ni de négatif, ni de positif. Le stationnement est bien rempli. En fin de journée, autour de seize heures, c'est l’heure de pointe. Les gens viennent faire leurs provisions après le travail pour être prêts avant l’heure du souper. Un homme transporte trois gros sacs qui semblent bien lourds. Une femme entre à toute vitesse. Ça bouge beaucoup.
Une famille ressort avec son panier. Un jeune enfant d’environ deux ans est assis dans le panier tandis qu’une petite fille gambade à côté. Une belle famille normale, sans problème et sans tracas. Je les envie. Je voudrais aller voir ces parents et leur dire de bien veiller sur leurs enfants car ils pourraient leur être enlevés sans préavis, ni explications.
Je m’avance vers les grandes fenêtres qui laissent voir les nombreuses caisses. Les files sont longues, les caissières sont débordées. J’essaie de voir si la fille qui travaillait le soir de la disparition est là. Mais autre chose attire mon attention. Mon sang ne fait qu’un tour quand je remarque l’avis de recherche de mon frère dans l’une de ces vitres.
Daniel…
Je passe ma main sur la feuille. Sur la photo, il me renvoie son plus beau sourire.
- Vas-tu rester là longtemps?
Hein, quoi? Je me retourne, une femme avec un panier me regarde avec impatience.
- Allô? Tu me laisses passer?
- Euh…. oui, oui. Désolée.
Je me tasse pour qu’elle puisse se frayer un chemin. Elle semble si pressée qu’elle ne me remercie pas. Son attitude réussit à diminuer mon moral déjà très faible. J’en profite pour quitter l’épicerie. Je refais le chemin vers le parc. Celui que j’ai parcouru toute seule en pensant que Daniel allait m’attendre à destination avec Maverick et Nadia. Je regarde partout autour de moi. Comme si Daniel pouvait être caché quelque part sur ce chemin. Comme si j’allais tomber sur lui, subitement.
Je marche vraiment lentement. J’essaie de m'approprier le lieu. Il y a une petite ruelle sur mon chemin qui mène jusqu’à la rivière. Les ruelles, c’est toujours louches. Si ça se trouve, un fou en est sorti et a empoigné Daniel. J’imagine la scène comme dans un film policier. Le gars l’aurait surpris par-derrière en lui mettant une main sur la bouche. Il l’aurait emmené au fond de la ruelle pour lui faire subir toutes sortes d’atrocités.
C’est vraiment cliché comme scénario. Ça ne s’est certainement pas passé comme ça. J’avance tout de même dans la ruelle. De jour, ce lieu n’a pas grand chose d’épeurant. J’arrive au bout après seulement quelques pas. De l’autre côté de la clôture, la rivière défile devant moi. Je la vois d’ici se déverser dans le lac.
Des souvenirs de l’été dernier me reviennent à l’esprit. Le soir de la Saint-Jean, nous sommes allés nous baigner tout habillés. On dirait que ce moment date d’une époque lointaine, alors que c’était pourtant il n’y a que quatre mois. On était heureux, Daniel était avec nous. Ça faisait seulement trois jours qu’il avait terminé le primaire. Je crois bien qu'il était encore un enfant heureux et innocent. Il n'était pas tout suite rendu à faire sa place dans le monde des grands ni à subir cette prétentieuse de Charlie. Je rebrousse chemin pour continuer mon trajet vers le parc.
Lorsque j'y arrive, je me repose sur un banc. Je me sens fatiguée. Pas seulement à cause de cette marche qui était assez longue, mais surtout fatiguée mentalement. Toutes ces inquiétudes et incompréhensions grugent mon énergie. J’aimerais pouvoir arrêter de penser et de m’inquiéter. Si je pouvais mettre mon cerveau à off, seulement pour une journée, ça me permettrait de recharger mes batteries un peu. Même la nuit, je n’arrive plus à me reposer. Le souvenir de mes rêves s’efface chaque matin, mais les sensations restent en mémoire. Je me réveille stressée, anxieuse. Comme si j’avais passé à travers un million d'épreuves pendant la nuit. Je sais cependant que je rêve à Daniel. J’ai son visage dans mon esprit quand je me lève, toujours accompagné d’une sensation d’angoisse, de culpabilité, ou même de panique.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise au parc, mais après un moment, je décide de rentrer.
Quand je referme la porte derrière moi, je n’ai même pas le temps d’enlever mon manteau qu’on me crie après.
- Lisa!!!
La voix de ma mère était paniquée. Et elle m'a appelée Lisa. Qu'est-ce qui se passe? Mes parents apparaissent subitement dans l'entrée.
- T’étais où? me chicane mon père.
- En ville, dis-je, me sentant bousculée. Voyons qu’est-ce que vous avez?
- Qu’est-ce qu’on a? s’emporte-t-il. Tu t’imagines ce que tu nous as fait vivre?
Ce que je leur ai fait vivre? Pourquoi s’emportent-ils de la sorte?
- T’as vu l’heure? fait ma mère. On était sur le bord d’appeler la police.
La police? Ils sont vraiment rendus à cran. Ç’a le dont de m’agacer.
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise au parc, mais après un moment, je décide de rentrer.
Quand je referme la porte derrière moi, je n’ai même pas le temps d’enlever mon manteau qu’on me crie après.
- Lisa!!!
La voix de ma mère était paniquée. Et elle m'a appelée Lisa. Qu'est-ce qui se passe? Mes parents apparaissent subitement dans l'entrée.
- T’étais où? me chicane mon père.
- En ville, dis-je, me sentant bousculée. Voyons qu’est-ce que vous avez?
- Qu’est-ce qu’on a? s’emporte-t-il. Tu t’imagines ce que tu nous as fait vivre?
Ce que je leur ai fait vivre? Pourquoi s’emportent-ils de la sorte?
- T’as vu l’heure? fait ma mère. On était sur le bord d’appeler la police.
La police? Ils sont vraiment rendus à cran. Ç’a le dont de m’agacer.
- Ben voyons, il n’est pas tard. C’est même pas encore l’heure du souper.
- Quand tu débarques du bus, tu arrives à seize heures quarante-cinq, avance papa. Ça fait une heure que tu devrais être là.
- Vous calculez mon horaire, maintenant??? Franchement c’est poussé votre affaire. Je suis juste allée marcher un peu. J’ai rien fait d'épouvantable.
- Pis répondre à tes messages, ça t’a pas tenté?
Merde, mon cellulaire. Je l’avais fermé pendant les cours. J’avais oublié de le rallumer. Ce n’est tout de même pas une raison pour s’inquiéter au moindre minuscule petit imprévu. Leur réaction est trop exagérée.
- Mon cellulaire était fermé.
- T’aurais pu l’ouvrir.
- J’y ai pas pensé! m’impatienté-je. J’avais besoin d’air, c’est pas correct?
- Ce qui n’est pas correct, c’est de disparaître sans prévenir. Avec ce qui se passe, tu aurais dû penser à nous.
- Non mais c’est débile! C’est pas parce que Daniel a disparu que je vais me faire kidnapper par des malades qui font du trafic humains.
- Lâche ton petit ton méprisant, crache mon père.
Trop en colère de me faire accueillir par des reproches, je n’écoute pas mon père et je continue sur la défensive.
- Si Daniel revient à la maison, vous allez lui crier dessus aussi?
- Oh, je vois que tu ne sais pas c’est quoi crier. SI TU VEUX QUE JE CRIE BEN JE VAIS LE FAIRE.
En effet, là il crie réellement. Je la comprends maintenant sa nuance entre parler fort et crier. C’est la première fois qu’il me chicane aussi fort. Je me sens honteuse, blessée, mais je ne veux rien laisser paraître. Je ne trouve cependant rien à répliquer, alors je file tout droit me cacher dans ma chambre.
- Hey, où tu vas?
- M’enfermer pour ma SÉCURITÉ! lancé-je en me retournant furtivement.
Je monte les escaliers à toute vitesse sans prendre le temps de déchiffrer ce que me renvoie la grosse voix colérique de mon père. Je claque la porte de ma chambre puis je m’effondre sur mon lit. Tout relâche. J’éclate en sanglots. Pourquoi cette chicane? C’est déjà assez difficile comme ça.
J’en veux à Daniel d’être disparu. Je m’en veux de l'avoir laissé partir. J’en veux à Maverick de nous avoir rejoints avec Daniel ce soir-là. Si les gars étaient restés à la maison, rien de tout cela ne serait arrivé. Mais non! Il a fallu qu’ils viennent nous déranger, Nadia et moi. Ils ne pouvaient pas nous laisser tranquilles! Daniel la voulait sa putain de crème glacée. J’espère qu’il l’a appréciée parce qu’elle lui a coûté sa vie. Bravo Daniel! Et si maman ne nous avait jamais demandé de faire ses stupides commissions à neuf heures du soir, aussi. Elles ne pouvaient pas attendre le lendemain? Non! Elle a préféré profiter de ses enfants, les déranger lors d’une sortie pour qu’ils fassent son épicerie à sa place. Si elle ne nous avait jamais demandé ça, nous serions restés au parc et je n’aurais jamais perdu Daniel de vue. C’est de SA FAUTE. Ils ont leur part de responsabilité dans cette histoire et c’est moi qui écope. Ça m’enrage! C’est difficile pour moi aussi et ils se permettent de me chicaner alors que je ne fais absolument rien de mal. J’ai bien le droit de marcher dehors, franchement!
Je n’aime pas faire face à mes parents après une dispute. La honte me pousse à me terrer dans ma chambre et à espérer disparaître.
Disparaître.
- Quand tu débarques du bus, tu arrives à seize heures quarante-cinq, avance papa. Ça fait une heure que tu devrais être là.
- Vous calculez mon horaire, maintenant??? Franchement c’est poussé votre affaire. Je suis juste allée marcher un peu. J’ai rien fait d'épouvantable.
- Pis répondre à tes messages, ça t’a pas tenté?
Merde, mon cellulaire. Je l’avais fermé pendant les cours. J’avais oublié de le rallumer. Ce n’est tout de même pas une raison pour s’inquiéter au moindre minuscule petit imprévu. Leur réaction est trop exagérée.
- Mon cellulaire était fermé.
- T’aurais pu l’ouvrir.
- J’y ai pas pensé! m’impatienté-je. J’avais besoin d’air, c’est pas correct?
- Ce qui n’est pas correct, c’est de disparaître sans prévenir. Avec ce qui se passe, tu aurais dû penser à nous.
- Non mais c’est débile! C’est pas parce que Daniel a disparu que je vais me faire kidnapper par des malades qui font du trafic humains.
- Lâche ton petit ton méprisant, crache mon père.
Trop en colère de me faire accueillir par des reproches, je n’écoute pas mon père et je continue sur la défensive.
- Si Daniel revient à la maison, vous allez lui crier dessus aussi?
- Oh, je vois que tu ne sais pas c’est quoi crier. SI TU VEUX QUE JE CRIE BEN JE VAIS LE FAIRE.
En effet, là il crie réellement. Je la comprends maintenant sa nuance entre parler fort et crier. C’est la première fois qu’il me chicane aussi fort. Je me sens honteuse, blessée, mais je ne veux rien laisser paraître. Je ne trouve cependant rien à répliquer, alors je file tout droit me cacher dans ma chambre.
- Hey, où tu vas?
- M’enfermer pour ma SÉCURITÉ! lancé-je en me retournant furtivement.
Je monte les escaliers à toute vitesse sans prendre le temps de déchiffrer ce que me renvoie la grosse voix colérique de mon père. Je claque la porte de ma chambre puis je m’effondre sur mon lit. Tout relâche. J’éclate en sanglots. Pourquoi cette chicane? C’est déjà assez difficile comme ça.
J’en veux à Daniel d’être disparu. Je m’en veux de l'avoir laissé partir. J’en veux à Maverick de nous avoir rejoints avec Daniel ce soir-là. Si les gars étaient restés à la maison, rien de tout cela ne serait arrivé. Mais non! Il a fallu qu’ils viennent nous déranger, Nadia et moi. Ils ne pouvaient pas nous laisser tranquilles! Daniel la voulait sa putain de crème glacée. J’espère qu’il l’a appréciée parce qu’elle lui a coûté sa vie. Bravo Daniel! Et si maman ne nous avait jamais demandé de faire ses stupides commissions à neuf heures du soir, aussi. Elles ne pouvaient pas attendre le lendemain? Non! Elle a préféré profiter de ses enfants, les déranger lors d’une sortie pour qu’ils fassent son épicerie à sa place. Si elle ne nous avait jamais demandé ça, nous serions restés au parc et je n’aurais jamais perdu Daniel de vue. C’est de SA FAUTE. Ils ont leur part de responsabilité dans cette histoire et c’est moi qui écope. Ça m’enrage! C’est difficile pour moi aussi et ils se permettent de me chicaner alors que je ne fais absolument rien de mal. J’ai bien le droit de marcher dehors, franchement!
Je n’aime pas faire face à mes parents après une dispute. La honte me pousse à me terrer dans ma chambre et à espérer disparaître.
Disparaître.
C’est peut-être moi qui aurais dû disparaître. À quoi je sers dans cette crise? Je ne fais rien pour aider ma famille. Je ne fais rien de concret pour aider à retrouver Daniel. Je n’apporte aucun soutien à mes parents, ni à mon frère. Tout ce que je sais faire, c’est les inquiéter et leur crier dessus. Et cerise sur le sunday, c’est de ma faute tout ce qui arrive. Daniel ne serait pas disparu si j’avais agi de manière responsable avec lui.
Si c'était moi qui avais disparu, je n’aurais pas à endurer cette crise familiale. Je n’aurais pas à me faire chicaner pour rien. Je me sens déjà coupable pour mon frère, mes parents enfoncent le clou en me culpabilisant d’être rentrer UN PEU TROP TARD. Faudrait-il que je disparaisse réellement pour qu’ils soient plus indulgents à mon égard?
Si c'était moi qui avais disparu, je n’aurais pas à endurer cette crise familiale. Je n’aurais pas à me faire chicaner pour rien. Je me sens déjà coupable pour mon frère, mes parents enfoncent le clou en me culpabilisant d’être rentrer UN PEU TROP TARD. Faudrait-il que je disparaisse réellement pour qu’ils soient plus indulgents à mon égard?
* * *
Après deux heures à broyer du noir dans ma chambre, je me vois dans l’obligation de descendre car les odeurs du souper réveillent mon appétit.
Je m'assois à la table sans regarder personne. Je concède tout de même que ma mère a fait le souper, ce que j’apprécie énormément. Surtout en ce moment. Alors en me préparant une assiette, je souffle un faible :
- Merci pour le souper maman.
- Ça me fait plaisir.
Je ne la regarde toujours pas, mais au ton de sa voix, la colère semble passée.
- Liz, commence mon père sur une intonation calme, mais qui indique sa volonté de revenir sur la dispute, ce qu’il faut comprendre, c’est que tu dois nous informer quand tu n'entres pas tout de suite à la maison.
- Okay.
- Tu sais, c’est dur ce que nous vivons.
- Évidemment, dis-je en le regardant enfin. Pour moi aussi c’est dûr.
Ses yeux fixent les miens. Je ne sens pas vraiment de colère. Plutôt, une tension.
- Alors tu comprends notre point de vue.
Oui, je le comprends. Mais je n’ai pas du tout apprécié leur réaction névrosée quand je suis entrée à la maison.
- Ben oui.
Il hoche la tête, relativement satisfait de notre conversation.
Après le souper, je fais la vaisselle avec Maverick qui n’a pas placé un mot de tout le repas. Mes parents en profitent pour se détendre (du mieux qu’ils peuvent) devant la télévision. Honnêtement, je ne suis même pas sûre qu'ils écoutent réellement ce qui joue devant eux. Ils sont là, écrasés sur le divan, à fixer l’écran d’un regard vide.
- Sérieux, c’était pas brillant ton affaire tantôt.
Je laisse violemment tomber dans l'évier le couvercle que je lave.
- Tu me niaises là? craché-je à mon frère folle de rage. Tu dis rien de la soirée et quand tu ouvres ta gueule, c’est pour me faire la morale.
- Okay okay, je m'excuse. Tu as raison. Je suis vraiment sur les nerfs. Je suis en colère contre tout et tout le monde.
- Je comprends le feeling, dis-je en le pardonnant presque. Je me sens pareil.
- T’avais juste cinq minutes de retard et ils commençaient déjà à s’inquiéter.
Je révulse les yeux, découragée.
- Ils sont vraiment incroyables.
- J'essayais de les calmer, mais tu n’arrivais toujours pas alors la panique montait de plus en plus. Ce n’était pas vivable. Plus je leur disais de ne pas s’en faire, plus ils s’en faisaient. On s’est chicanés à cause de ça.
- Comment ça?
- Je leur reprochais leur angoisse démesurée et papa ne l’a pas pris. On s’est pogné. Quand tu es arrivée, je me suis mis à t’en vouloir parce que tu revenais comme si de rien n’était et si tu étais rentrée à l’heure habituelle, papa et moi, on ne se serait pas chicanés.
- Maverick, je suis désolée. Mais ce n’est pas mon problème si vous vous chicanez.
- On ne se serait pas chicanés si tu avais agi en responsable.
Agi en responsable.
Je n’y arrive pas, il faut croire. J’ai merdé avec Daniel, j’ai merdé ce soir. Je déteste quand Maverick me fait la morale, qu’il me renvoie mes défauts qui foutent en l’air la vie de la famille. Mais j'essaie cette fois-ci de ne pas péter les plombs, ni de tomber dans la déprime.
- Vous êtes quand même maîtres de vos actions, défendé-je. Tu ne peux pas mettre la responsabilité de votre chicane sur mon dos.
- Je sais, concède-t-il la tête basse. C’est pour ça que je ne voulais pas te montrer ma colère. Et aussi pour éviter une autre chicane, mais là j’ai pas été délicat avec toi. Je suis désolé.
- En même temps, il fallait que ça sorte. C’est pas sorti de la bonne manière, mais je suis vraiment mal placé pour te le reprocher.
Il me sourit faiblement.
Une fois la vaisselle lavée, je vide l’eau de levier et Maverick range le dernier chaudron. Sans prendre le temps de jeter un œil à mes parents affaissés dans le salon, je monte directement dans ma chambre. Il faudrait que j’étudie pour mon examen de mathématiques, mais je suis loin d'avoir la tête à ça. Je me sens comme si un épais nuage était posé au-dessus de ma tête. Tout le monde est à fleur de peau à la maison. Une seule parole ou même une respiration mal placée peut créer des flammèches entre nous.
Je me déteste. Je m’en veux de ne pas être meilleure que ça. Je voudrais ne pas rendre mes parents plus inquiets et en colère. Je voudrais mieux m’entendre avec Maverick.
Je voudrais que Daniel n'ait jamais disparu.
Je sors mon téléphone. Ayant besoin de ma meilleure amie, j'appelle Nadia. Elle répond après seulement une sonnerie.
- Salut Liz!
- Allô. Est-ce que je te dérange?
- Non, pas du tout. Est-ce que ça va?
- Non. J’avais besoin de te parler.
- Qu’est-ce qui se passe? me demande-t-elle la voix trahissant son inquiétude.
Je soupire avant de me lancer dans mon récit.
- En débarquant du bus, je suis allée marcher en ville. J’avais vraiment besoin de m'aérer l’esprit et d’être seule. J’étais tellement dans ma bulle que je ne pensais à rien. Ben… pas que je pensais à rien, j’avais le cerveau en ébullition, mais le monde extérieur n'existait plus. Du coup, avec tout ça, je suis rentrée plus tard à la maison et mes parents me sont tombés dessus.
- Ils étaient inquiets.
- C’est pas une raison pour me chier sur la tête, m’emporté-je.
- C’est pas ce que je dis. Leur petit dernier est porté disparu depuis des jours. On ne sait pas ce qui est arrivé. Il aurait pu t’arriver la même chose.
- Ça m’étonnerait.
- Pour un parent, c’est dur de ne pas penser à ça. Mais prends le pas mal, Liz. Tout le monde est super tendu avec ce qui arrive. Ils ne peuvent pas toujours réagir adéquatement. C’est pas de ta faute.
- Mouais, peut-être que oui, en fait. J’aurais dû les prévenir. En temps normal, ils n'auraient pas bronché pour une heure de retard.
- Mais avec ce que vous vivez, c’est différent.
- C’est pour ça que j’aurais dû penser les prévenir.
- Ben tu n’y as pas pensé et tu n’as pas à te flageller pour ça. Toi aussi t’es toute chamboulée. Tu l’as dit toi-même, le monde extérieur n’existait plus à ce moment-là. On n'est pas dans notre état normal. Ni toi, ni Maverick, ni tes parents. Et c’est normal.
- C’est normal qu’on ne soit pas dans notre état normal? dis-je, amusée.
- Exact, affirme-t-elle un sourire dans la voix.
- D’accord, je prends ça en note.
Notre rire s'estompe doucement avant de laisser place au silence. Nadia est toujours là pour moi, depuis le début. Elle m’écoute, elle me soutient. Mais je me doute que la situation ne doit pas être évidente pour elle non plus.
- Toi, comment ça va? finis-je par lui demander?
- Ça va bien, répond-t-elle presque automatiquement.
- Nadia. Tu n’es pas obligée de tout le temps avoir l’air forte et parfaite avec moi.
Elle ne répond pas.
- Nadia?
- Je suis là.
- Tu peux me parler tu sais.
Elle commence à pleurer à l'autre bout du fil. J’ai mal de la savoir en peine
- Je suis désolée, pleure-t-elle.
- Mais non. Tu n’as pas à être désolée. Dis-moi ce qui se passe.
- Je ne sais pas trop ce qui se passe, sanglote-t-elle. Je me sens mal pour toi et je suis tellement inquiète. Tu sais que je l’aime ton frère et ça me bouleverse qu’il soit disparu comme ça. Je me repasse sans cesse le fil de cette soirée dans ma tête. Je le revois partir avec toi pour l’épicerie et je m’en veux d’être restée au parc sans rien faire.
- Nadia, tu n’as pas à t’en vouloir. C’est avec moi qu’il était.
- Je sais, mais j'aimerais tellement changer les événements.
- Moi aussi. Nadia, ton inquiétude me touche. Mais ne te rends pas malade pour moi.
Ses yeux fixent les miens. Je ne sens pas vraiment de colère. Plutôt, une tension.
- Alors tu comprends notre point de vue.
Oui, je le comprends. Mais je n’ai pas du tout apprécié leur réaction névrosée quand je suis entrée à la maison.
- Ben oui.
Il hoche la tête, relativement satisfait de notre conversation.
Après le souper, je fais la vaisselle avec Maverick qui n’a pas placé un mot de tout le repas. Mes parents en profitent pour se détendre (du mieux qu’ils peuvent) devant la télévision. Honnêtement, je ne suis même pas sûre qu'ils écoutent réellement ce qui joue devant eux. Ils sont là, écrasés sur le divan, à fixer l’écran d’un regard vide.
- Sérieux, c’était pas brillant ton affaire tantôt.
Je laisse violemment tomber dans l'évier le couvercle que je lave.
- Tu me niaises là? craché-je à mon frère folle de rage. Tu dis rien de la soirée et quand tu ouvres ta gueule, c’est pour me faire la morale.
- Okay okay, je m'excuse. Tu as raison. Je suis vraiment sur les nerfs. Je suis en colère contre tout et tout le monde.
- Je comprends le feeling, dis-je en le pardonnant presque. Je me sens pareil.
- T’avais juste cinq minutes de retard et ils commençaient déjà à s’inquiéter.
Je révulse les yeux, découragée.
- Ils sont vraiment incroyables.
- J'essayais de les calmer, mais tu n’arrivais toujours pas alors la panique montait de plus en plus. Ce n’était pas vivable. Plus je leur disais de ne pas s’en faire, plus ils s’en faisaient. On s’est chicanés à cause de ça.
- Comment ça?
- Je leur reprochais leur angoisse démesurée et papa ne l’a pas pris. On s’est pogné. Quand tu es arrivée, je me suis mis à t’en vouloir parce que tu revenais comme si de rien n’était et si tu étais rentrée à l’heure habituelle, papa et moi, on ne se serait pas chicanés.
- Maverick, je suis désolée. Mais ce n’est pas mon problème si vous vous chicanez.
- On ne se serait pas chicanés si tu avais agi en responsable.
Agi en responsable.
Je n’y arrive pas, il faut croire. J’ai merdé avec Daniel, j’ai merdé ce soir. Je déteste quand Maverick me fait la morale, qu’il me renvoie mes défauts qui foutent en l’air la vie de la famille. Mais j'essaie cette fois-ci de ne pas péter les plombs, ni de tomber dans la déprime.
- Vous êtes quand même maîtres de vos actions, défendé-je. Tu ne peux pas mettre la responsabilité de votre chicane sur mon dos.
- Je sais, concède-t-il la tête basse. C’est pour ça que je ne voulais pas te montrer ma colère. Et aussi pour éviter une autre chicane, mais là j’ai pas été délicat avec toi. Je suis désolé.
- En même temps, il fallait que ça sorte. C’est pas sorti de la bonne manière, mais je suis vraiment mal placé pour te le reprocher.
Il me sourit faiblement.
Une fois la vaisselle lavée, je vide l’eau de levier et Maverick range le dernier chaudron. Sans prendre le temps de jeter un œil à mes parents affaissés dans le salon, je monte directement dans ma chambre. Il faudrait que j’étudie pour mon examen de mathématiques, mais je suis loin d'avoir la tête à ça. Je me sens comme si un épais nuage était posé au-dessus de ma tête. Tout le monde est à fleur de peau à la maison. Une seule parole ou même une respiration mal placée peut créer des flammèches entre nous.
Je me déteste. Je m’en veux de ne pas être meilleure que ça. Je voudrais ne pas rendre mes parents plus inquiets et en colère. Je voudrais mieux m’entendre avec Maverick.
Je voudrais que Daniel n'ait jamais disparu.
Je sors mon téléphone. Ayant besoin de ma meilleure amie, j'appelle Nadia. Elle répond après seulement une sonnerie.
- Salut Liz!
- Allô. Est-ce que je te dérange?
- Non, pas du tout. Est-ce que ça va?
- Non. J’avais besoin de te parler.
- Qu’est-ce qui se passe? me demande-t-elle la voix trahissant son inquiétude.
Je soupire avant de me lancer dans mon récit.
- En débarquant du bus, je suis allée marcher en ville. J’avais vraiment besoin de m'aérer l’esprit et d’être seule. J’étais tellement dans ma bulle que je ne pensais à rien. Ben… pas que je pensais à rien, j’avais le cerveau en ébullition, mais le monde extérieur n'existait plus. Du coup, avec tout ça, je suis rentrée plus tard à la maison et mes parents me sont tombés dessus.
- Ils étaient inquiets.
- C’est pas une raison pour me chier sur la tête, m’emporté-je.
- C’est pas ce que je dis. Leur petit dernier est porté disparu depuis des jours. On ne sait pas ce qui est arrivé. Il aurait pu t’arriver la même chose.
- Ça m’étonnerait.
- Pour un parent, c’est dur de ne pas penser à ça. Mais prends le pas mal, Liz. Tout le monde est super tendu avec ce qui arrive. Ils ne peuvent pas toujours réagir adéquatement. C’est pas de ta faute.
- Mouais, peut-être que oui, en fait. J’aurais dû les prévenir. En temps normal, ils n'auraient pas bronché pour une heure de retard.
- Mais avec ce que vous vivez, c’est différent.
- C’est pour ça que j’aurais dû penser les prévenir.
- Ben tu n’y as pas pensé et tu n’as pas à te flageller pour ça. Toi aussi t’es toute chamboulée. Tu l’as dit toi-même, le monde extérieur n’existait plus à ce moment-là. On n'est pas dans notre état normal. Ni toi, ni Maverick, ni tes parents. Et c’est normal.
- C’est normal qu’on ne soit pas dans notre état normal? dis-je, amusée.
- Exact, affirme-t-elle un sourire dans la voix.
- D’accord, je prends ça en note.
Notre rire s'estompe doucement avant de laisser place au silence. Nadia est toujours là pour moi, depuis le début. Elle m’écoute, elle me soutient. Mais je me doute que la situation ne doit pas être évidente pour elle non plus.
- Toi, comment ça va? finis-je par lui demander?
- Ça va bien, répond-t-elle presque automatiquement.
- Nadia. Tu n’es pas obligée de tout le temps avoir l’air forte et parfaite avec moi.
Elle ne répond pas.
- Nadia?
- Je suis là.
- Tu peux me parler tu sais.
Elle commence à pleurer à l'autre bout du fil. J’ai mal de la savoir en peine
- Je suis désolée, pleure-t-elle.
- Mais non. Tu n’as pas à être désolée. Dis-moi ce qui se passe.
- Je ne sais pas trop ce qui se passe, sanglote-t-elle. Je me sens mal pour toi et je suis tellement inquiète. Tu sais que je l’aime ton frère et ça me bouleverse qu’il soit disparu comme ça. Je me repasse sans cesse le fil de cette soirée dans ma tête. Je le revois partir avec toi pour l’épicerie et je m’en veux d’être restée au parc sans rien faire.
- Nadia, tu n’as pas à t’en vouloir. C’est avec moi qu’il était.
- Je sais, mais j'aimerais tellement changer les événements.
- Moi aussi. Nadia, ton inquiétude me touche. Mais ne te rends pas malade pour moi.
- Je n’y peux rien. Tu es ma meilleure amie.
- T’es tellement sweet.
Elle se met à rire à travers ses larmes.
- Toi aussi.
Elle soupire fort avant d’ajouter :
- J’espère qu’ils retrouveront bientôt Daniel.
- Tu sais ce qui me fait peur, Nad?
- Quoi?
- Je sais que d'habitude, les disparus sont retrouvés dans les heures, voire les jours qui suivent leur disparition. Oui, oui, j’ai fait des recherches.
Elle rit discrètement, mais me laisse poursuivre.
- Mais là, ça fait trois jours. Et si Daniel faisait partie de ces disparus qu'on ne retrouve jamais!
- Mais non, ils vont le retrouver.
- Mais si? Peut-être que ça restera un mystère pour toute la vie. J’aurais quatre-vingts ans et je ne saurai toujours pas ce qui lui est arrivé.
- Ce sont des cas vraiment rares. Je sais que pour l’instant, on nage dans un total inconnu, mais ils vont retrouver ton frère. J’en suis certaine.
- Si tu le dis, affirmé-je plus ou moins convaincue.
- Mets-en que je le dis.
Elle réussit à me tirer un sourire.
- T’es tellement sweet.
Elle se met à rire à travers ses larmes.
- Toi aussi.
Elle soupire fort avant d’ajouter :
- J’espère qu’ils retrouveront bientôt Daniel.
- Tu sais ce qui me fait peur, Nad?
- Quoi?
- Je sais que d'habitude, les disparus sont retrouvés dans les heures, voire les jours qui suivent leur disparition. Oui, oui, j’ai fait des recherches.
Elle rit discrètement, mais me laisse poursuivre.
- Mais là, ça fait trois jours. Et si Daniel faisait partie de ces disparus qu'on ne retrouve jamais!
- Mais non, ils vont le retrouver.
- Mais si? Peut-être que ça restera un mystère pour toute la vie. J’aurais quatre-vingts ans et je ne saurai toujours pas ce qui lui est arrivé.
- Ce sont des cas vraiment rares. Je sais que pour l’instant, on nage dans un total inconnu, mais ils vont retrouver ton frère. J’en suis certaine.
- Si tu le dis, affirmé-je plus ou moins convaincue.
- Mets-en que je le dis.
Elle réussit à me tirer un sourire.
- Je t’aime, Nad.
- Je t’aime aussi.
- Tu peux m’appeler n’importe quand.
- Toi aussi.
- Je sais, rigolé-je. C’est exactement ce que j’ai fait.
- Ha! ha! c’est vrai. Tu vas être correct?
- Je crois. Et toi?
- Ça devrait.
- Dac. Bonne nuit.
Elle me renvoie mon « bonne nuit » avant de raccrocher.
Je sors de ma chambre prendre ma douche. Je veux me laver de toutes les mauvaises énergies qui m'entourent et qui me hantent depuis trois jours.
Une fois propre, je me sens toujours aussi sale. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Je n’ai pas envie de retrouver ma famille en bas. Mes parents me font peur avec leurs regards ternes et vides, et j’aurais l’impression de les déranger. Je sens que je les ai profondément déçus. Ma présence serait de trop.
J’entre dans ma chambre sans l’intention d’en sortir, du moins, pour la soirée, et pour la nuit. Je mets mes écouteurs dans mes oreilles et je fais jouer de la musique qui reflète le mieux possible ce que je ressens. De la musique déprimante, comme me dirait Daniel. Qu’il aille au diable avec ses commentaires méprisants. Je ne sentirais pas le besoin de purger ma déprime avec cette musique s’il n’avait pas disparu de manière aussi irresponsable.
Je déprime parce qu’il nous a laissés en plan. Je déprime parce que mes parents sont tellement sur les nerfs, comme si ça pouvait nous aider en ce moment. Je déprime parce que je me sens si éloignée de Maverick.
Dans un monde idéal, j’irais dormir chez Nadia. Une soirée pyjamas avec ma meilleure amie, je crois que ce serait la seule chose qui me ferait du bien en ce moment. Je me verrais bien sortir en douce de chez moi et me réfugier chez elle pour la nuit. Je resterais cachée dans sa chambre pour toujours, à l'abri de la crise familiale. Dans cette situation, ce serait à mon tour d’être déclarée disparue.
- Je t’aime aussi.
- Tu peux m’appeler n’importe quand.
- Toi aussi.
- Je sais, rigolé-je. C’est exactement ce que j’ai fait.
- Ha! ha! c’est vrai. Tu vas être correct?
- Je crois. Et toi?
- Ça devrait.
- Dac. Bonne nuit.
Elle me renvoie mon « bonne nuit » avant de raccrocher.
Je sors de ma chambre prendre ma douche. Je veux me laver de toutes les mauvaises énergies qui m'entourent et qui me hantent depuis trois jours.
Une fois propre, je me sens toujours aussi sale. Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Je n’ai pas envie de retrouver ma famille en bas. Mes parents me font peur avec leurs regards ternes et vides, et j’aurais l’impression de les déranger. Je sens que je les ai profondément déçus. Ma présence serait de trop.
J’entre dans ma chambre sans l’intention d’en sortir, du moins, pour la soirée, et pour la nuit. Je mets mes écouteurs dans mes oreilles et je fais jouer de la musique qui reflète le mieux possible ce que je ressens. De la musique déprimante, comme me dirait Daniel. Qu’il aille au diable avec ses commentaires méprisants. Je ne sentirais pas le besoin de purger ma déprime avec cette musique s’il n’avait pas disparu de manière aussi irresponsable.
Je déprime parce qu’il nous a laissés en plan. Je déprime parce que mes parents sont tellement sur les nerfs, comme si ça pouvait nous aider en ce moment. Je déprime parce que je me sens si éloignée de Maverick.
Dans un monde idéal, j’irais dormir chez Nadia. Une soirée pyjamas avec ma meilleure amie, je crois que ce serait la seule chose qui me ferait du bien en ce moment. Je me verrais bien sortir en douce de chez moi et me réfugier chez elle pour la nuit. Je resterais cachée dans sa chambre pour toujours, à l'abri de la crise familiale. Dans cette situation, ce serait à mon tour d’être déclarée disparue.
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