Sans trace - CHAPITRE 9

 

 

Chapitre 9


Enfin, cette journée d’école est terminée. Dans une demi-heure, c’est le théâtre. Nadia et moi allons nous asseoir devant la porte du local, qui est fermée. Luka vient rapidement nous rejoindre.

- Salut! dit-il en s'asseyant par terre. Vous avez passé une belle journée?

- Correct, dis-je.

Après trente minutes, Chanelle vient enfin nous déverrouiller le local.

- Bonjour tout le monde!

Aussitôt la porte ouverte, on se rue tous à l’intérieur.

- Liz, m'intercepte-t-elle. Je suis contente de te voir.

- J’allais pas manquer ça, dis-je avec complicité.

- J’aurais compris si tu n’étais pas venue, tu sais.

- Oui, mais je voulais venir. Je n’avais hâte qu’à ça. Ça me fait tellement plaisir.

Elle me sourit chaleureusement.

- Je suis heureuse de savoir que notre activité te fait du bien.

Je lui renvoie son sourire avant qu’elle nous appelle tous pour débuter la réunion.
 
- Ma belle gang! Je vous inviterais à vous tirer une bûche.

Tous s’assoient en cercle sur des chaises pliantes.

- Avant de commencer, lancé-je d’emblée, je voulais vous montrer une esquisse que j’ai faite pour la peinture.

J’ouvre mon cahier et montre à tout le monde les dessins que j’ai faits ce midi.

- Le fond sera noir et j’y peinturerai des cercles comme ça. Qu’est-ce que vous en dites?

- C’est parfait! approuve Chloé.

- C’est bon que tu aies fait ce dessin, ajoute Vincent. J’arrive mieux à m’imaginer de quoi ça aura l’air sur la scène.

Tous acquiesce d’un hochement de tête. Je suis vraiment contente qu’on apprécie mes idées. J’avais besoin d’un peu d’approbation.

- Alors tout le monde est d’accord si je m’occupe d’acheter de la peinture noir, rouge, orange et jaune? s’assure Chanelle.

Un « oui » général se fait entendre.

- Parfait. J’aurai ça pour mardi. On pourra commencer à peindre.

J’ai hâte à mardi prochain.

La discussion se poursuit concernant les éléments du décors. On conclut l’emplacement des objets ; le divan au milieu, le piano dans le coin à gauche, une fenêtre à droite, un foyer près de la porte…

- Je pourrai fabriquer le foyer, se propose Luka. Je suis un gars manuel.

- On sait ça, dit Chanelle avec complicité. On se rappelle très bien du bateau que tu as fabriqué l’année dernière.

Les yeux de Luka débordent de fierté. L’année passée, la pièce se déroulait sur un bateau de pirates. Luka s’était occupé de fabriquer les parois du bateau ainsi qu’un gigantesque mât qui bougeait pour donner l’illusion que le navire était en pleine mer houleuse. On l’avait aidé, bien sûr, mais le maître d'œuvre, c’était lui.

- Je vais t’aider pour le foyer, lui dit Nadia. J’aime construire moi aussi.

Mes deux amis se font un checks avec leurs points avant que Chanelle aborde un autre sujet.

- Avez-vous pensé à des idées pour les costumes?

- Oui! m'enthousiasmé-je.

- Ah ben oui c’est vrai, dit-elle. Tu penses à ça depuis mardi.

Mardi.

Le soir fatidique. Si seulement je pouvais effacer ce jour de mon existence.

- Depuis bien plus longtemps, dis-je avec le plus de joie possible pour cacher mon malaise.

Je fais part au groupe de mes idées pour le costume du personnage que jouera Bibiane. Tout le monde approuve même si on y apporte quelques modifications. Les autres se mettent à parler de leurs idées pour l'habillement des autres personnages. Je prends beaucoup de notes. Je tiens à m’occuper en grande partie de cet aspect de la pièce. Je saurai trouver tous ces vêtements et j’en fabriquerai au besoin.

Lorsque la réunion se termine, la légèreté qui m’avait saisie durant l’activité me quitte drastiquement. La déprime vient prendre la place en moi. Il y a deux jours, je me trouvais au même endroit, en train de ranger mes affaires, et je dévoilais à Nadia ma super idée d'aller manger une crème glacée avec elle. Idée que je n’aurais jamais dû proposer. Si j’avais fait comme d’habitude et j’avais appelé mon père pour qu’il vienne me chercher, personne ne serait allé en ville et Daniel serait à la maison en ce moment. Honteuse, j’aurais bien envie de quitter l’école et disparaître en ville.

Je texte finalement mon père pour l’avertir que je suis prête à ce qu'il vienne me chercher. Nadia et moi attendons nos parents, dehors.

- J’ai hâte de commencer à monter les décors, s'extasie mon amie.

Malgré mes tourments, la joie de mon amie est contagieuse. Alors je lui souris.

- Moi aussi.

La voiture de sa mère apparaît dans le stationnement. Ça me rappelle un mauvais souvenir assez récent. La dernière fois que j’ai vu la mère de Nadia venir chercher sa fille, c'était dans le stationnement de l'épicerie. L’endroit exact où Daniel a disparu, et ce, quelques minutes seulement après que je l’aie vu pour la dernière fois. Les policiers nous posaient des questions que je ne comprenais qu’à moitié. Ma mère se faisait un sang d’ancre. Mon père était une boule de colère. Et Maverick gardait en lui un bouillonnement d'émotions indéchiffrables.

Moi, je n’étais que l’ombre de moi-même.   

La voiture de mon père arrive.  

- Salut papa.

- Salut ma belle, dit-il en redémarrant. Comment s’est passé ta journée?

- Bien.

Je ne tiens pas à m’étendre sur la qualité de la journée que je viens de vivre. Même que je ne pense pas que mon père s’y intéresse sincèrement. Il veut juste être poli.

- On a rencontré l’enquêteur Gélinas ce soir.

- Ils ont trouvé Daniel? m’empressé-je de demander.

- Non...

- Ils ont trouvé des indices?

- Laisse-moi parler s’il-te-plait, Lisa.

Je me tais, mal à l’aise. Mon père poursuit.

- C’est bien le problème, avance-t-il, comme il n’y a pas d’indices, ils présument un enlèvement. Mais encore une fois, il n’y a pas vraiment de preuve, et encore moins de suspect.

- Autrement dit, il n’y a rien.

Il hausse les épaules, confirmant plus ou moins ma conclusion.

- Ils n’ont rien trouvé dans la forêt, dans les boisés… La seule information qu’ils ont, c’est une femme qui l’a vu marcher.

- C’est déjà ça! m’exclamé-je pleine d’espoir.

Je ne peux donc pas dire que Daniel a disparu dans le stationnement. Une femme l’a vu marcher un peu plus loin.

- Où elle l’a vu, exactement?  

- Au coin de la rue des Pins et de la Principale.

Alors seulement quelques pas après le stationnement de l’épicerie. Mais ça veut dire qu’il s’en allait vers le parc. Bon, il a toujours pu aller ailleurs et dériver de son chemin. Ça ne nous avance pas beaucoup.

Quand nous arrivons à la maison, je suis accueillie par une assiette froide sur le comptoir.

- Ton souper est près, m'indique papa.

- C’est gentil. Vous avez déjà mangé?

- Oui et non. Ton frère et moi avons mangé des restes. Ta mère n’avait pas faim. Elle est allée s’étendre. Je t’ai donné le reste des pâtes. Ça te va?

- Bien sûr que ça me va. Merci.

Il me grimace un sourire avant de monter à l’étage. L'endroit de prédilection où la famille se réfugie constamment à présent. Maverick se cache dans sa chambre. Ma mère somnole et pleure dans son lit. Et papa… je ne sais pas ce qu’il fait de ses journées. Avant, mes parents se collaient devant la télévision le soir. J’aimais avoir le choix de rester avec eux ou bien d’aller dans ma chambre. Maintenant, on dirait que ma seule option est de rester seule dans cette maison silencieuse.

En rinçant mon assiette après le souper, je me souviens que je dois appeler Nicolas pour qu’il me parle de ses problèmes avec Charlie. Comme j’ai le rez-de-chaussée à moi seule, je m’installe au salon pour faire mon appel.

La sonnerie sonne deux fois avant qu’une femme me réponde. Ce doit être sa mère.

- Oui allô?

- Bonjour. Est-ce que je pourrais parler à Nicolas?

- Oui, je te le passe.
Je l’entends appeler Nicolas au loin.

- Allô?

- Salut Nic. C’est Lisa. Est-ce que c’est le bon moment pour parler?

- Oui. Je vais juste aller dans ma chambre.

J’entends des pas puis une porte se fermer.

- Okay…

C’est à ce moment que je me dis que c’est à moi d'animer la conversation puisque c’est moi qui voulais lui parler. Mais j’avoue ne pas vraiment savoir comment la démarrer.

Bon, si je repars du début, à la base, je veux savoir ce que Nicolas connaît de Daniel que moi j’ignore. Puis est apparue Charlie qui semble intimider Nicolas. Et j’aimerais bien comprendre ce qui se cache derrière ce conflit pour que je puisse l’aider.

- Est-ce que ça fait longtemps que Charlie t’écoeure?

Je suis direct, mais à quoi ça sert de tourner en rond? J’entends Nicolas soupirer avant de me répondre.  

- Depuis le début de l’année.

- En as-tu parlé à un prof?

- Ça n'en vaut pas la peine. C’est pas si pire que ça et on ne souhaite pas que ça devienne pire.

- Qui ça, on?

Un moment de silence. Je crois bien qu’au fond de lui, il n’a pas envie de me révéler les détails de cette histoire.

- Daniel et moi.

- Quoi ??

D’un bond, je me lève du divan. Elle s’en prend à Daniel ?! Si j’avais su, je l’aurais défendu. Pourquoi il ne m'en a jamais parlé?

- Qu’est-ce qu’elle vous fait la salope? demandé-je en faisant les cent pas sur le tapis du salon

- Calme-toi. Elle fait juste nous insulter au passage et nous bousculer quelque fois. C’est gossant, mais c’est pas comme si elle nous frappait tous les jours comme une malade.

- Je ne vais pas me calmer. C’est pas anodin. C’est quoi son problème, au juste? Ça lui fait plaisir de s’en prendre à plus petits qu’elle?

- C’est un peu notre faute aussi.

- Dis pas ça. Vous ne méritez pas ça.

- Tu comprends pas. Au début de l’année scolaire, on a eu une shit avec elle.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé?

Il soupire avant de débuter son récit.

- Je ne sais pas si tu te rappelles, mais à la rentrée cette année, la cafétéria donnait des jus.

Je m’en rappelle très bien. Les madames de la cafétéria offraient à tous les élèves une boisson fruitée qui nous donnait l'impression d’être encore en vacances. Plusieurs sortes étaient offertes. J’en avais pris une à la mangue et aux framboises. C’était délicieux. Avec mes amis, nous sommes allés savourer notre jus au pied d’un arbre devant l’école.

- Qu’est-ce que ces jus ont à voir avec tout ça?

- On était une gang à boire et manger dans les estrades, dehors. Charlie était assise sur la marche juste devant nous. Daniel et moi on niaisait, pis on s’est mis à se bagarrer. On avait du fun, mais ça commençait à énerver les secondaires deux devant nous. Puis dans notre bataille, Daniel a fini par renverser l’entièreté de son jus sur Charlie.

- Ben là. Oui c’est poche, mais c’est pas grave.

- C’est sûr, mais au lieu de s'excuser, on a éclaté de rire et on est partis. Elle ne l’a jamais pris.

- Franchement, qu’elle en revienne.

- Elle n'était vraiment pas contente. Quand on est retombés sur elle, plus tard dans la journée, elle a empoigné Daniel et l'a poussé vraiment fort contre le mur. Elle était folle de rage. Il s'excusait, mais elle a répliqué que c'était facile d’avoir l’air désolé à présent. Après ça, elle a pris plaisir à nous intimider quand elle tombe sur nous.

Mon coeur se sert en imaginant cette scène. Je suis d’accord pour dire que Daniel a agit comme un débile, mais je n'accepte pas que quelqu’un le harcèle de la sorte. La prochaine fois que je tomberai sur Charlie…

- Nic… je suis vraiment désolée. C’est sûr que vous n’avez pas été très smatt avec elle mais là, elle exagère. C’est rendu de l’acharnement son affaire. Il faut que tu en parles à un prof.

- Non. Ça va être pire.

- Pourquoi tu dis ça?

- Elle va nous en vouloir encore plus.

- Mais justement, elle ne pourra plus vous faire de mal.

- T’es vraiment naïve. Tu penses qu’une petite discussion avec la directrice va faire en sorte qu’elle va nous lâcher?

- Oui, je le pense sincèrement.

- Laisse faire, Lisa. J’ai pas besoin que tu t’en mêles. Merci de m’avoir écouté, mais je ne veux pas d’aide.

- Franchement. Je ne vous comprends pas de vous laisser faire comme ça.

Je croyais Daniel plus malin.

- Il faudra que tu t’y fasses. Merci, ça va aller.

Il me raccroche au nez avant même que je puisse ajouter quoique ce soit. Je lance avec colère mon téléphone sur le divan. Puis je m’y assoie, en réfugiant mon visage dans mes mains.

J’ai de la misère à croire que Daniel ne nous ait jamais confié ça. Avait-il honte? Sentait-il qu’il le méritait alors il gardait tout pour lui? Je comprends qu’il puisse avoir peur que nos parents retournent le fer dans la plaie en lui faisant sentir que c’était un peu sa faute, vu qu’il avait été chien avec Charlie. Mais à moi, pourquoi il ne m’a rien dit? Il avait peur de passer pour un faible devant sa grande sœur? J'avoue que je l'aurais probablement chicané d’avoir ri de Charlie au lieu de l’aider, mais j’aurais clairement pris sa défense devant les attaques de cette fille. Je suis loin de cautionner toutes les actions de mon frère, mais je serai toujours là pour le défendre.

Si j’avais Charlie devant moi, je ne sais pas ce que je lui ferais. Cette fille est quand même costaude, pour une jeune de treize ans. Elle est plus petite que moi, mais elle est bien bâtie. Daniel et Nicolas ont l’air d’enfants à côté d’elle.

Cette fille doit cacher plusieurs démons en elle. Je crois que si j’avais été à sa place, j'aurais été en colère moi aussi. Mais je sens qu’elle avait besoin d’un souffre douleur et on lui en a servi un sur un plateau d’argent. Ou plutôt deux.

Il faut vraiment être dérangé pour avoir besoin de s’en prendre quotidiennement à des jeunes plus petits que soi. Si ça se trouve, Charlie est tellement folle qu’elle a kidnappé Daniel et elle le garde enfermé dans son placard.

Okay, je perds les pédales.

Charlie a des tendances faciles au harcèlement, mais elle n’est sûrement pas une criminelle. C’est juste une pauvre adolescente prise avec une trop grande colère et des problèmes psychologiques quelconques.

* * *


Quand je me couche ce soir, mon cerveau s'imagine toutes sortes de scénarios tous plus effrayants les uns que les autres. Je vois Charlie s’en prendre à Daniel. Elle le saisit par le col, l'insulte, le violente. Je ne sais pas pourquoi mon cerveau s'emballe comme ça. Et si Daniel voulait disparaître. Qu’il a volontairement disparu car il n’en pouvait plus d’aller à la même école que cette terreur.

Probablement que je me fais des histoires. Il est peu probable que Daniel ait fugué par peur, ou que Charlie s’en soit prise à lui.

Tout est possible, cependant. Il y a bien une explication quelque part.

Charlie ne s’en sortira pas aussi facilement. Elle verra bien que personne ne s'en prend à mon petit frère. Personne.

Je vais lui parler à cette pétasse.

Commentaires

  1. Merci Corinne, j' ai toujours hâte au chapitre suivant... grand -mere Hélène

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