Sans trace - CHAPITRE 7

 

Chapitre 7

Jeudi 9 octobre

Je me sens un peu décontenancée d’attendre le bus seule ce matin. C’est la première fois que je l’attends, sans aucun de mes frères.

Le voilà qui arrive enfin. D’habitude, Daniel s’assoie à la deuxième rangée de bancs pour rejoindre son ami. Mais aujourd’hui, son ami Nicolas reste seul sur son banc. Alors que je passe à côté de lui, il me regarde bizarrement. Il a bien dû voir aux nouvelles que son ami a disparu. Je ne m'arrête pas pour parler à ce jeune de secondaire un. Je vais m'asseoir à ma place habituelle, à gauche dans la rangée du milieu.

Contrairement à moi, Maverick n’a pas voulu retourner à l’école aujourd’hui. Il n’avait qu’un cours en avant-midi, mais il n’en avait pas la force, comme il dit. Moi, je ne voulais pas manquer une autre journée d’école. À quoi ça m’aurait servi de toute façon? J’ai déjà passé la journée d’hier à tourner à rond et à me morfondre. Il était hors de question que je vive ça un jour de plus. Je préfère m’occuper l’esprit. Attendre dans un coin que Daniel soit retrouvé n’aidera pas à faire avancer les choses. Je veux voir mes amis, je veux voir Nadia. En plus, il y a notre rencontre de théâtre à seize heures. Ça ne pourra que me faire du bien. Je pourrai enfin partager mes idées pour les costumes.

Mon autobus est dans les premiers à arriver, ce qui fait qu’il y a peu d’élèves dans les corridors. Après avoir rangé mon manteau dans ma case, je vois Bibiane arriver près de moi. Elle semble surprise de tomber sur moi.

- Oh… Salut Liz! Je ne savais pas que tu viendrais aujourd’hui.

- Ben oui, je suis venue.

- Est-ce que tu… comment tu vas?
 
Elle ne sait pas comment agir avec moi, je le vois bien.
 
- Merde! jure-t-elle avant que je n’aie le temps de lui répondre. Désolée, je suis vraiment conne de te dire ça.

- De me dire quoi? demandé-je, perplexe.

- De te demander comment tu vas. C’est con.

- Pourquoi ce serait con? C’est pas correct que quelqu’un s’informe sur comment je vais?

Son malaise commence à m’agacer.

- Non non! C’est pas ce que je voulais dire! C’est juste que, j’imagine que ça ne doit pas aller fort.

- En effet. Ça n’empêche pas que tu puisses me poser la question quand même. On est pas toujours obligé de répondre « oui » à la question « est-ce que ça va bien? ».

Bibiane finit par me sourire.

- T’as raison. Je recommence. Comment ça va?

- Ça ne va pas très bien, mais j’arrive à tenir le coup. Enfin, je crois.

Son sourire s’efface pour laisser place à une expression triste et pleine de compassion.

- Est-ce que vous avez une idée de ce qui a pu se passer?

Je hausse les épaules en signe d’impuissance.

- Aucune idée.

J’ai pas envie de m'étendre sur le sujet alors je décide plutôt de lui faire part de ce qui m’emballe depuis un moment ; mon idée pour le l’habillement de son personnage. Ça l’enchante immédiatement.

- J’adore! Par contre, je n’ai pas de jupe en jean.

- Il doit y en avoir une dans la garde-robe à costume. Sinon, ma mère en a une qu’elle ne porte plus. Elle serait peut-être trop grande pour toi, mais je pourrai te la raccourcir.

- T’es vraiment talentueuse.

Je me sens rougir. C’est vrai que je détiens quelques talents en couture.

Comme on a notre premier cours ensemble, on monte à la classe. La porte est verrouillée alors le groupe finit par se ramasser attroupé autour de la porte. Je ne sais pas si c’est moi qui hallucine, mais j’ai l’impression que tous les regards sont rivés sur moi.

Je vois Nadia au bout du corridor qui s’en vient. Je lui envoie la main. Lorsqu'elle me voit, elle accélère le pas.

- Salut! Je suis contente de te voir.

- Moi aussi! dis-je en laissant tomber mes cahiers pour la prendre dans mes bras.

Elle laisse tomber ses cahiers également. Ces derniers tombent sur les cuisses de Laura qui est assise par terre.

- Eille attention! se choque-t-elle. Vous avez pas fini de garrocher vos affaires?

- Oh désolée, s'excuse Nadia mal à l’aise.

Lorsque nous nous penchons pour ramasser nos cahiers, notre professeure arrive pour déverrouiller la porte.

- Bon matin tout le monde. Laura, lève-toi s'il-te-plait. Tu sais que vous n’avez pas le droit de vous asseoir dans le corridor.

Laura émet un grognement puis se lève.

Avant que je n’aie le temps d’entrer dans la classe, j'aperçois la directrice qui se fraie un chemin parmi les élèves. Elle s’arrête devant moi.

- Lisa?

- Euh… oui?

- Bonjour, me salut-elle. Je peux te parler deux minutes?

Je dois afficher une expression apeurée car elle me sourit chaleureusement avant de me dire :

- Ne t'en fais pas, il n’y a rien de grave. Je voudrais juste t’informer de quelque chose.

J’accorde un regard à mes amies pour leur indiquer que je vais les rejoindre en classe tout de suite après. Elles hochent la tête et entrent dans la classe.

La directrice m'entraîne un peu à l’écart. Elle prend un air plus sérieux, voire plus triste, avant de se mettre à parler.

-  Concernant la disparition de ton frère…

Je sens déjà mon coeur se serrer. Je me mets automatiquement en mode protection.

- On considère qu’il est important d’en parler au sain de l’école, poursuit-elle. Certains élèves se sentent perdus et déboussolés. On a tenu à organiser une assemblée pour en discuter. Elle aura lieu à la deuxième période, tout à l’heure. Elle nous permettra de faire une mise au point et montrer aux élèves qu’on peut les aider.

- C’est pas un peu tôt? dis-je inquiète. On est à peine le matin.

- Ça fait déjà plus de vingt-quatre heures qu’il a disparu, justifie-t-elle tristement. Plusieurs élèves ont déjà manifesté de la détresse. On ne pas continuer de garder ça sous silence.

J’avais oublié que j’avais sauté une journée d’école.

- Tout ça pour te dire que si tu ne veux pas assister à cette assemblée, c’est à ta discrétion.

Je hoche la tête. Je crois que je vais y aller. On parlera de mon frère. Je ne peux pas être absente.

Après lui avoir dit que j’y serai, je retourne en classe. Je rejoins Nadia et Bibiane qui m'ont réservé une place libre près d’elles. Je suis contente de commencer la journée avec un cours d’ECR. Ça ne me demandera pas trop d’effort.

Rebecca donne sa matière depuis maintenant une demi heure lorsque la directrice l'interrompt avec une annonce à l’intercom.

- Un moment d’attention s'il-vous-plaît. Une réunion aura lieu à l'auditorium, aujourd’hui, au début de la deuxième période. Tous les groupes sont priés d’être présents. Merci et bonne journée à tous.

Nadia se tourne vers moi.

- Tu crois que c’est à propos de Daniel? me chuchote-t-elle.

- Oui. C’est de ça que voulait me parler la directrice tantôt.

Mon amie écarquille les yeux.

- Es-tu correct avec ça?

- Je pense que oui, dis-je plus ou moins convaincu.

Lorsque le cours se termine, la masse étudiante se dirige vers l'auditorium. Bibiane nous quitte pour aller s'asseoir avec ses amis, la plupart, des acteurs qui jouent dans la pièce de théâtre. Je reste seule avec Nadia.

Tout le monde se tait devant l’arrivée de la directrice sur scène.

- Bonjour tout le monde, nous accueille-t-elle chaleureusement en parlant au micro. Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour parler de votre camarade de classe, Daniel Forand.

La nervosité monte en moi. La directrice expose une partie de mon drame personnel devant toute l’école. Je cache mon visage dans mes cheveux.

- Vous êtes probablement tous au courant que Daniel est porté disparu depuis mardi soir dernier…

Évidemment que je suis au courant. Les images de cette soirée refont surface dans mon esprit. Daniel près de moi dans la file à l’épicerie. Son départ, la dernière fois que je l’ai vu. Pourquoi l’ai-je laissé partir?

Pourquoi?

- Pour l’instant, on n’a aucune information. Votre camarade est peut-être en danger…

- C’est pas mon camarade, chuchote un gars de secondaire trois devant moi sur un ton moqueur. Je ne suis pas ami avec les enfants débiles.
Son ami s’esclaffe. Je leur lance des gros yeux, mais ils ne me voient pas puisque je suis derrière eux.

- …si vous avez des informations concernant Daniel, il est primordial de venir nous en parler, aux membres du personnel de l’école, ou bien à la police.

- C’est chiant, on s’en fout, se plaint le même petit con en avant.

Je me retiens pour ne pas pleurer de rage. J’aurais envie de lui arracher la tête.

- T’occupe pas d’eux, me chuchote Nadia en me prenant la main. C’est des imbéciles.  

J’essaie de suivre son sage conseil. Une fille vers la gauche se retourne vers moi. Elle me jette des coups d'œil furtifs, tentant d’être subtile, mais elle ne l’est pas du tout. C’est une petite école, tout le monde se connaît. Je porte déjà l’étiquette de la sœur du disparu.

J'arrive à peine à suivre le discours de la directrice.

- Si vous avez besoin de parler, venez nous voir…

- On s’en criss! continue le jeune stupide. Qu’est-ce que sa disparition peut ben nous foutre?

Je n’en peux plus. Impulsivement, je lui donne une claque derrière sa tête.

- Ouch! s’écrit-il en se tenant la tête.

Il se tourne vers moi, furieux.

- C’est quoi ton problème, criss de folle?

- Tu vas fermer ta gueule! grincé-je.
 
- Hey, t’es la sœur du perdu, constate-t-il en riant. C’est toi qui l’as séquestré? Tu l’as attaché dans ton sous-sol?

- Arrête! Ta gueule!

- Violente comme tu es, je paris que tu l’as tué aussi.

C’en est trop. Pour éviter que je lui arrache les cheveux de la tête, je me lève de mon siège et quitte la salle le plus vite possible. J’essaie de me frayer une place, mais la rangée est pleine. Je chuchote des « excusez-moi », des « pardons ». Je bouscule les jambes des gens qui sont assis. Ça commence à chuchoter derrière moi. Ce n’était finalement pas une bonne idée de venir ici. Avec mon départ précipité, mes dernières chances de passer inaperçu viennent de me glisser entre les doigts. Tout le monde sait que je suis Lisa Forand, la sœur de Daniel Forand, le disparu. La fille qui a vu son frère pour la dernière fois.

Quand j'arrive en dehors de la salle, j’arrive un peu mieux à respirer. Mais quel abruti, le petit con qui était devant moi. Comment il s’appelle déjà? Jonathan? Jérémy? Rah, on s’en fout. Qu’il aille au diable. Comment peut-il manquer autant de respect? Daniel ne mérite pas qu’on parle de lui de cette façon. Surtout que cet imbécile ne le connait même pas.

Respire Liz. Respire. Les cours recommenceront bientôt. Je pourrai me concentrer sur la matière que donnera mon professeur et j'aurai la tête tranquille. J’ai quel cours après, déjà?

- Liz!

Je me retourne. Nadia m’a suivie.

- Ça va?

- J’essaie de me calmer…

- Il est vraiment débile ce gars-là. Il voulait juste faire son intéressant. Rends-toi pas malade pour ça.

- Toute cette situation me rend malade, Nadia!

Son regard s’attriste, mais elle le garde plongé dans le mien.

- Je sais. Je te comprends. Moi aussi ça me rend folle. J’aimerais revenir à cette soirée, et changer les choses, mais c’est impossible.

Je réalise soudainement que Nadia vit à peu près la même chose que moi. Elle était présente elle aussi, ce soir-là.

- Nad! Je suis désolée. Je n’avais pas réalisé que c’était dûr pour toi aussi.

- Hein? Non, commence pas à t’inquiéter pour moi.

- Je suis sérieuse, Nadia. Je ne t’ai jamais demandé comment tu vivais avec ça.

- Arrête, c’est normal. T’as pas à prendre soin de moi. Il s’agit de TON frère.

Je ne sais pas pourquoi, mais l’envie de pleurer me monte à la gorge.

- Oui c’est dur, mais ce qui m'apaise c’est que je peux être là pour toi,  poursuit-elle. Du mieux que je peux.

- J’aimerais effacer tout ça, dis-je en retenant mal mes larmes.

Sans un mot, Nadia s’approche de moi et m'enlace. Je pleure un moment dans ses bras.

- Tu voudrais retourner chez toi? me demande-t-elle en s'éloignant doucement de moi.  

- Non, dis-je en essuyant mes larmes. Ça ne servirait à rien. Je ne veux pas prendre de retard dans mes cours. Puis j’ai envie de penser à autre chose. Ça me fait du bien de changer d’air.

- D’accord.

- Et j’ai hâte qu’on parle de costume ce soir, dis-je en pensant à notre rencontre de théâtre.

Nadia me sourit chaleureusement.

- J’ai hâte aussi.

Nous ne retournons pas dans l'auditorium. Nadia propose qu’on aille plutôt s’installer dans le local où aura lieu notre prochain cours. Mathématique, en l'occurrence. Installées au fond de la classe, nous attendons que la réunion se termine et que la classe nous rejoigne.

* * *

Lorsque Nadia et moi descendons dîner à la cafétéria, on tombe sur ma cousine Stéphanie.  

- Steph!

Aussitôt qu’elle me voit, elle se jette dans mes bras, comme une petite fille perdue dans une épicerie qui vient de retrouver sa mère. Je la serre fort contre moi.

- Ça va? lui demandé-je lorsqu’elle se défait de mon étreinte.

- Mouais… non. J’ai peur.

- Peur de quoi?

- Peur pour Dan.
 
Ah ben oui. Évidemment. Je suis bête.

- Maman a pleuré quand elle est revenue de chez vous, hier.

- Oh non. Dis-moi pas qu’on l’a déprimée encore plus?

- Ben non, dis-pas ça. C’est pas vous. C’est Daniel.

- En tout cas, Josée est fine d’être passée nous voir.

- J’aurais aimé venir aussi, mais j’étais à l’école.

- C’est mieux comme ça. Ce n’était pas la joie chez nous de toute façon.

Elle ne répond pas. Je me demande ce qui se passe dans sa tête. Comment se sent-elle réellement?

- Tu veux manger avec nous ce midi? lui proposé-je.

Elle regarde Nadia, comme pour chercher son approbation. Mon amie lui sourit.

- Okay, oui. J'aimerais ça.  

- Cool!

Arrivées à la table, Stéphanie s’installe à côté de moi. À mesure que les autres arrivent, je leur présente ma cousine. Tous la saluent gentiment. Les conversations bouillonnent autour de la table. Ça m’arrange. J’avais peur qu’on se mette à me poser des questions sur la disparition de Daniel.

- Maman m’a dit qu’ils n’ont toujours pas trouvé quelque chose qui pourrait indiquer ce qui s’est passé. Avez-vous du nouveau depuis ce matin?

Bon, quand c’est ma cousine, ça ne me dérange pas du tout.
- Non, dis-je, attristée. Maverick et notre père ont participé aux recherches hier et ça n’a rien donné.

Stéphanie garde une expression dépitée. Elle touche à peine à son repas.

- Hey, je suis là, okay? tenté-je de la rassurer en lui flattant le dos. Tu pourras toujours compter sur moi.

Elle me répond par un petit sourire puis continue de picosser son lunch avec sa fourchette.


Commentaires

  1. Ouf, quelle affaire ! J' ai hâte qu' on trouve un indice...

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