Sans trace - CHAPITRE 6

  

Chapitre 6

- Allô ma belle Liz, me salue ma tante avec un sourire triste.

Ma mère arrive derrière moi puis se jette directement dans les bras de sa sœur.

- Merci tellement d’être là.

- Mais c’est normal, voyons. Il n’y a pas de nouveau encore?

- Non. On ne comprend vraiment pas ce qui a pu lui arriver.

Ma mère invite sa sœur à entrer dans la maison.

- Tu veux quelque chose à boire?

Josée décline poliment puis les deux femmes s’installent sur la causeuse. Moi, je choisis le fauteuil individuel.

- Est-ce que tu tiens le coup? demande Josée à sa sœur.

- Difficilement. Ce qui m’aide à ne pas perdre les railles c’est Olivier et les enfants.

Maman m’adresse alors un petit sourire. Je le lui rends, heureuse de savoir que ma présence l’aide à tenir bon.

- Tu es vraiment forte, la soeur, la complimente ma tante. J’y pense chaque seconde depuis que je l’ai appris. Je t’avoue que je me sens chamboulée également.

- Tes enfants, comment ils vont? Comment ils ont réagi?

- Ils sont sur le choc, se désole-t-elle. Stéphanie, particulièrement, est bouleversée.
Pauvre Stéphanie. Son cousin a disparu. Son cousin qu’elle aime comme un meilleur ami, comme un frère. Je l’imagine toute triste et anxieuse.

- Est-ce qu’ils sont allés à l’école aujourd’hui? demandé-je à ma tante.

- Oui.

Sa réponse me déçoit. J’aurais aimé rejoindre Stéphanie et passer le reste de la journée avec elle.

Tante Josée regarde l’heure sur sa montre et nous demande d’emblée :

- Avez-vous dîné?

- Non, souffle ma mère. Je n’y ai même pas pensé.

- T’aimerais ça si je vous faisais un macaroni? La recette de maman.

- T’es pas obligée Josée.

- Voyons, c’est le moins que je puisse faire. Repose-toi, je m’occupe du dîner.

Maman ne réplique rien, mais je lis toute sa reconnaissance dans ses yeux fatigués. Ma tante se dirige vers la cuisine puis commence le repas, comme si elle était dans sa maison.

- Je vais t’aider, Josée, lui lancé-je.

Elle me sourit tendrement.

- Mais non, Liz. Je m’occupe de vous deux. Fais ce qui te ferait du bien.

- C’est t’aider qui me ferait du bien.

Tout pour penser à autre chose. J’ai besoin de m'activer, de faire une action concrète.

- D’accord, capitule-t-elle. Tu es bien gentille. Tu veux commencer par couper un céleri en cubes?
 
Tante Josée et moi nous mettons à la tâche. Pendant un instant, rien n’existe à part la préparation de ce macaroni. Je me sens bien en compagnie de ma tante. Sa présence maternelle m'apaise. Plus le repas avance, plus les odeurs me rappellent de bons souvenirs. C’est un plat que ma tante nous faisait quand j’étais enfant et qu’on allait chez elle. Mes frères et moi allions jouer dans son sous-sol avec Stéphanie et Killian. Je me rappelle une fois, je devais n'avoir que six ans, Maverick courait partout dans le sous-sol. Killian se tenait en équilibre sur une planche à roulettes et se prenait pour un planchiste professionnel. Daniel et Stéphanie jouaient dans leur coin. Moi, j’essayais de rattraper Maverick dans sa course.

Daniel était vraiment jeune à ce moment-là. Je le trouvais si mignon. Il ne parlait pas beaucoup encore. Il a pris un certain temps avant d’en être capable. Du coup, notre principal moyen de communication étaient les câlins.

- Comment tu te sens avec tout ça? me demande Josée en brassant la sauce.

- Assez mal, réponds-je la tête basse. Pour tout te dire, je me sens tellement coupable.

- Comment ça?

- Je l’ai laissé quitter l’épicerie et c’est la dernière fois qu’on l’a vu. Si je lui avais dit de rester avec moi, il serait encore là.

- Tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer, dit-elle en posant la cuillère. Avec des « si », on peut aller très loin, mais ça ne fait que nous détruire.

- Quand même, je ne peux pas m’empêcher de me dire que c’est de ma faute.

- Ce n’est pas de ta faute, Liz. C’est arrivé, c’est tout. C’est injuste, et il n’y a personne à blâmer.

Je n’arrive pas à la croire, mais je suis reconnaissante qu’elle me le dise. Je lui lance un sourire triste avant de mettre les macaronis dans l’eau bouillante.

Le repas maintenant prêt, tante Josée prépare deux assiettes.

- Celle-là est pour toi, me dit-elle chaleureusement.

- Merci!

- Merci à toi pour ton aide. Je vais aller porter l’autre à ta mère.

Alors qu’elle va rejoindre ma mère au salon, je m’installe à l'îlot pour manger mon dîner.

Ce macaroni goûte l’enfance.

* * *

Tante Josée est repartie chez elle en milieu d’après-midi. C’est peu de temps après que Maverick et mon père rentrent à la maison. Constatant leurs faces d’enterrement, je ne présage rien de bon.

- Alors? fait ma mère dès qu’ils posent les pieds à l’intérieur.

- On a absolument rien trouvé, déclare papa. Pas un seul indice, même pas un morceau de linge qui appartient à Daniel.

Aussitôt son manteau déposé dans la garde-robe, mon père va vers la cuisine pour se déboucher une bière. Il se laisse ensuite tomber sur le fauteuil et boit directement à la bouteille. J’ai l’impression que ce ne sera pas sa seule bière ce soir.

Maman soupire fort puis se met à marcher un peu partout dans le salon.

- À quoi ça ressemblait, les recherches? demandé-je aux deux hommes.

- On a cherché dans la forêt, me répond Maverick. On formait une ligne et on arpentait le terrain avec chacun un bâton.

Cette image me donne la chair de poule. Tous ces gens piquent le sol avec leurs bâtons espérant tomber sur… le cadavre de mon petit frère!

- C’est glauque.  

- C’est ce qu’il faut faire, me lance Maverick sur un ton de reproche. T’aurais pu venir.

Ses yeux sont durs envers moi. Je me sens fautive. Mais que s'attend-il de moi? Que je participe aux recherches aussi? Je ne m’en sens pas capable. Je détourne le regard pour éviter le sien.

- Je voulais te dire, Olivier, commence maman, monsieur Gélinas m'a appelée. Ils auraient besoin qu’on leur envoie une photo de Daniel pour les avis de recherche. On pourrait regarder ça tous ensemble.

- Oui, bien sûr. Maverick, dit-il en se tournant vers mon frère, tu peux aller chercher ton ordinateur? Tu as sûrement beaucoup de bonnes photos de Dan.

- Oui, j’y vais.
 
Mon frère part dans sa chambre et revient avec son portable. Nous passons en revue toutes les photographies qu’il a prises depuis qu’il a acheté son appareil photo, soit, ce printemps. On se remémore des tonnes de beaux souvenirs. La majorité de ces photos m’étaient inconnues. Mon frère est un excellent photographe. On passe en revue les photos qu’il a prises le 24 juin dernier. Contempler ces photos me rend nostalgique. J’aimerais revivre cette soirée où j’étais bien et que mon petit frère était parmi nous.

Notre choix s’arrête sur une photo où Daniel se tient sur une chaise longue devant la maison. Je me souviens, il s’était installé précisément là parce que ça lui permettait un accès direct à la table rempli de nourriture. Il pouvait donc s'empiffrer à sa guise. Maverick l’a capturé dans un plan qui descend jusqu’aux épaules. Daniel fixe directement l’objectif et sourit à pleines dents. Le voir aussi joyeux me donne envie de pleurer.

Maman se met à sangloter. Je ne suis pas la seule à qui le sourire de Daniel fait cet effet.

- Il est tellement beau sur celle-là, pleure–t-elle. Maverick, tu sais comment capturer l’essence des gens. Vous êtes d’accord pour qu’on prenne celle-ci?

Nous hochons tous la tête. Comme si nous allions nous effondrer en prononçant le moindre mot. Garder le silence est plus sécuritaire.

- Maverick, envoie-la-moi par courriel, je l'enverrai au policier, fait papa avant de se diriger vers son bureau.

Mon frère acquiesce d’un signe de tête. Il ferme son ordinateur et monte à sa chambre. Il ressent le besoin de se cacher pour envoyer un courriel ou quoi? Pourquoi mon frère et mon père sont-ils si distants?

- Je vais aller me coucher ma belle, m'informe maman en se levant difficilement de la causeuse. Je n’ai pas fermé l'œil une seconde la nuit dernière. Je suis vraiment exténuée.

- D’accord. J’espère que tu arriveras à dormir cette nuit.

- Merci. Mais sincèrement, j’ai beaucoup de misère à croire que j’y arriverai.

Elle monte à l’étage elle aussi.

Me voilà seule au milieu du salon. Tout est si froid et déprimant. Vivement le retour à l’école demain.

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