Sans trace - CHAPITRE 5

  

Chapitre 5

Mercredi 8 octobre

Je me réveille en sursaut. Je suis dans mon lit. Qu’est-ce qui s’est passé? Ah oui! Les événements de la veille refont vite surface dans mon esprit. Daniel s’est volatilisé hier soir. Est-ce qu'il est revenu pendant que je dormais?

Je dévale l’escalier, espérant que Dan soit là. Qu’il soit enfin rentré en s'excusant d’être parti aussi subitement, ou de s’être endormi quelque part, ou qu’il se soit embarré dans une toilette publique...

Je débarque dans le salon, mais il n’y a aucune trace de mon frère. Toujours les mêmes regards inquiets et les gestes nerveux de la vieille. Je trouve ma mère assise au milieu du divan, le regard fixant un point au sol. Elle m’inquiète. Je me demande si elle est restée dans cette position toute la nuit. Probablement qu’elle n’a pas fermé l'œil une seconde.

- Maman…

Ma voix était inaudible, mais elle m’a tout de même entendue.  

- Est-ce que…

Je n’ai pas à terminer ma question, je connais déjà la réponse. Daniel n'est pas revenu pendant la nuit. Je sursaute lorsque j’entends cogner à la porte. Mon père apparait derrière moi. Il s’empresse d’aller ouvrir. Un homme lui fait face.

- Vous êtes Olivier Forand?

- Oui, c’est moi.

- Bonjour. Je me présente, sergent Marc Gélinas. Je suis responsable de l’enquête sur la disparition de votre fils.
Je ferme les yeux et soupire de détresse. Mon frère est officiellement porté disparu.

- Est-ce que je peux entrer?

- Oui, venez vous asseoir? Qu’est-ce que vous avez trouvé? demande sur le champ mon père.

- Rien pour l’instant, dit-il en s'asseyant au salon. Nos policiers ont cherché toute la nuit, tous les endroits où Daniel aurait pu se réfugier, avec les informations que vous avez données hier soir. Nous commençons aujourd'hui à interroger des personnes qui auraient pu voir Daniel hier soir ou cette nuit.

- Il est forcément quelque part? s'inquiète mon père. Vous pensez quoi? Il a été kidnappé?

- Pour l’instant, on ne peut pas l’affirmer de source sûre. Pensez-vous que Daniel aurait pu fuguer?

- Vous êtes pas sérieux? On ne fugue pas avec rien sur soi! Il était sans argent, sans rien. Il ne faisait qu’une petite sortie avec son frère et sa sœur.

- Il aurait pu aller chez quelqu’un.

- Je ne crois pas qu’il ait fugué, ajouté-je. Quand il est parti, il se dirigeait clairement vers le parc.

- C’est toi la dernière à l’avoir vu?

- Oui.

- Peux-tu m’en dire plus sur la façon dont il t’a quittée?

- Ben… Il trouvait le temps long à la caisse alors je lui ai dit qu’il pouvait aller au parc rejoindre notre frère et mon amie. Quand il est parti, il avait vraiment l’air d’un gars qui allait au parc.

L'enquêteur prend des notes avant de me poser une autre question.

- Penses-tu qu’il aurait pu changer sa destination sur un coup de tête?

- Pour aller où?

- N’importe où. Chez un ami peut-être.

Je réfléchis à ce qui aurait poussé Daniel à dévier de son chemin. A-t-il des amis qui habitent à proximité? Maverick sort de son mutisme pour répondre à ma place.

-  Ce n’est pas complètement impossible qu’il ait décidé d’aller ailleurs. Daniel est assez tête en l’air.

Mon frère marque un point. Mais Daniel aurait fini par venir nous retrouver. Il ne serait pas resté introuvable une nuit entière. Il n’a que douze ans.   

- Il aurait pu se rendre chez quelqu’un à votre avis? demande l'enquêteur à toute la famille.

- Steph et Killian habitent près du parc, soulève Maverick. Il aurait pu aller voir Steph.

- Stéphanie est sa cousine, spécifie mon père pour le policier.

- Mais ma sœur m’aurait appelée si Daniel s’était rendu chez elle, conteste ma mère.

- Mais il aurait pu se passer quelque chose en chemin, reprend Marc.

- Alors vous reconnaissez qu’il ait pu se faire kidnapper? renchérit mon père.

- Tout est possible à ce stade. C'est vous deux qui étiez avec lui hier soir, n'est-ce pas? demande-t-il en nous pointant mon frère et moi.

Nous hochons la tête.

- Vous avez dit qu’il y avait une autre personne avec vous, non?

- Oui, ma meilleure amie.

- Comment s’appelle-t-elle?

- Nadia. Nadia Leclerc.

Il prend le nom de mon amie en note.

- Qu’est-ce que vous vous souvenez d'avoir vu ce soir-là? Voiture, gens?...

J’écarquille les yeux, nerveuse. Comment veut-il que je me souvienne en détail de ce qui a défilé devant mes yeux hier soir? J’essaie tout de même d’y penser

- Je me rappelle juste que c'était une soirée vraiment tranquille, fini-je par répondre. Le genre de soirée où les gens ne veulent pas sortir parce qu’il fait froid et noir. La file était longue à l’épicerie, mais c’est le seul moment où j’ai vraiment vu des gens.

- Bien. On ira voir les caméras de surveillance. As-tu quand même croisé du monde dans la rue?

- Une ou deux personnes, mais c’est trop flou. Je ne me suis pas attardée sur elles.

- Des voitures?
 
- Oui, quelques-unes sont passées près de nous une fois de temps en temps, mais je ne pourrais même pas dire leurs couleurs.

L'enquêteur poursuit son interrogatoire. Il me demande de décrire le trajet que j’ai emprunté avec Daniel, du parc à l’épicerie. Il interroge ensuite Maverick pour avoir sa version des faits.

* * *

Couchée sur mon lit, à fixer le plafond, j'attends que Nadia réponde à mon texto. Après le départ du sergent, je me suis réfugiée dans ma chambre pour donner des nouvelles à mon amie. Je lui avais promis hier soir de la mettre au courant. Je l’ai avertie notamment que l’enquêteur passera chez elle ce soir pour lui poser des questions.

Je fais glisser nerveusement mon cellulaire à travers mes doigts. Je me demande pourquoi elle ne m'a pas encore répondu. À l’école, l’heure du dîner se termine dans pas longtemps. A-t-elle parlé de ce qui s’est passé? Est-ce que toute l’école est déjà au courant que Daniel manque à l’appel?

Tout à l’heure, mon père est parti avec Maverick faire des recherches. Plusieurs personnes se sont portées volontaires pour y participer.. Ils sont des dizaines à faire une battue dans la forêt près du parc. Peut-être que Daniel sera trouvé là. Il se pourrait qu’il ait été kidnappé sur le chemin du parc. Qu’il aurait été violé, tué, et laissé tomber comme un déchet dans la forêt. Je grimace de douleur en m’imaginant cette possibilité. Mon petit Daniel. Qu’est-ce qu’il a bien pu lui arriver?

La sonnerie de mon téléphone coupe brutalement mes pensées lugubres. C’est Nadia.

- Allô, soufflé-je en décrochant.

- Hey, je viens de voir ton message. Puis j’ai vu Daniel passer aux nouvelles. Ils ne l’ont toujours pas retrouvé?!

- Aux nouvelles?

- Dans le journal, sur Facebook. Mon dieu, comment tu te sens? me demande-t-elle de sa voix à la fois douce et inquiète.

- Bof, pas top. Je me sens tellement tendue.

Je me passe une main sur le visage. En fait, j’ai l’impression que je vais devenir folle.

- Ouin, je comprends. C’est atroce ce qui se passe. Je suis tellement désolée, Lizi.

- C’est pas de ta faute.

- Ça n’empêche pas que la situation me désole quand même.

- J’avoue.

- Hum, tu m’as dit que l’enquêteur voulait me voir. Il pense que j’ai quelque chose à me reprocher dans cette histoire?

- Ben non, dis-je, un petit sourire aux lèvres. Rien à voir. Il veut seulement avoir ta version des faits. Peut-être que tu as vu une auto, une personne ou je ne sais quoi qui pourra aider à retrouver Daniel.

- Oh ben oui. Je suis nouille. Je pense que j’écoute trop de films policiers alors quand tu as dit « enquêteur », j’ai eu le réflexe d’avoir peur.

- Ha ha! T’inquiète, je comprends. Moi-même j’ai l’impression d’être dans un film.

- C’est vrai! Imagine, on va retrouver ton frère dans l’upside down, comme dans Stranger Things.

- Oh mon dieu, j’espère tellement qu’il n’est pas là.
Non rigolons légèrement. Parler avec Nadia me fait du bien. Ça m'apaise un peu. Une chance qu’elle est là.

- Il faut que je te laisse, m’annonce-t-elle. La cloche va bientôt sonner.

- Okay. On s’écrit.

- C’est sûr. Bye!

Je raccroche. Me revoilà seule avec mes angoisses. Pour éviter qu’elles me grugent davantage, je descends rejoindre ma mère. Je la retrouve assise sur le divan, en train de pleurer. J’ai mal au cœur de voir ma maman dans cet état. Je me sens tellement coupable.

- Maman, je suis désolée…

Elle me remarque, debout, plantée droit dans l’entrée du salon.

- Mais désolée de quoi, ma belle? m'interroge-t-elle en essuyant tant bien que mal ses larmes.

Je ne sais pas si c’est de la voir pleurer qui me bouleverse à ce point ou mon sentiment de culpabilité qui prend de l’ampleur, mais je me mets aussitôt à sangloter.

- Désolée d’avoir perdu Daniel.

- Oh Liz! Ce n’est pas de ta faute.

Ses mots réconfortants ne font qu’empirer mes pleurs. Elle a tort. Je devais m’assurer de la sécurité de Daniel et j’ai failli à ma responsabilité. J’ai négligé mon petit frère.

- Lizi! Viens là, ma belle, m’invite maman en me tendant ses bras.

Je ne me fais pas prier. Je rejoins ma mère sur le divan et me réfugie contre elle. Nous pleurons ensemble un bon moment.

- Tu n’as rien à te reprocher, me dit-elle en me flattant les cheveux.

- C’est pas vrai, déploré-je entre deux sanglots. J’aurais pas… dû le laisser par… tir.

- Ne dis pas ça. Tu n’as rien fait de mal. Daniel a douze ans, pas huit. Tu ne l’as pas traité comme un bébé et je suis certaine qu’il en était reconnaissant.

- Tu crois? dis-je en reniflant.

Je la regarde. Ses yeux sont brillants de tristesse, mais elle arrive à me renvoyer un sourire réconfortant.

- Bien sûr, me rassure-t-elle en déplaçant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

- Je ne pense pas que papa pense la même chose. Il m’évite depuis…

Trop honteuse, je n’arrive pas à terminer ma phrase.

- Ton père est comme ça avec nous trois, en ce moment.

La sonnette de porte coupe notre conversation. Je m’empresse d’aller ouvrir. C’est peut-être Daniel qui revient. Ou bien Marc Gélinas qui vient nous annoncer qu’ils l’ont retrouvé. J’ouvre la porte avec ferveur pour finalement tomber sur ma tante Josée. Cette douche froide me ramène à la réalité. Si Daniel revenait subitement, il n’aurait pas sonné. Il est chez lui. Il serait tout simplement entré. Je me sens stupide.

Commentaires

  1. Ça prendrait Hercule Poirot pour le retrouver, de Hélène G.

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