Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 29

    

29. Leaves Out All The Rest
 

Juin

Le bal des finissants a été moins féérique que ce que j'avais imaginé enfant. Petite fille, je visualisais cette soirée comme étant digne d’un conte de fée. Aujourd’hui, je suis bien moins fleur bleue qu’à l’époque. Sans qu’elle soit à ce point mémorable, j’ai tout de même passé une belle soirée.

Le bal tire à sa fin ; il y a de moins en moins de monde dans le gymnase. Les jeunes sont si pressés de se rendre à l’après-bal. Mes amis vont se changer pour la suite des choses. Ils ressortent chacun leur tour des toilettes avec des habits confortables, jeans, t-shirt, etc. Moi j’ai encore ma robe. Je n’irai pas à l’après-bal. Arrivée à la maison, je me déshabillerai, mettrai mon pyjama et me coucherai aussitôt.

- Bon! s’écrit William en claquant ses mains. Prêtes à aller chercher Émile?

Contrairement à William, Émile n’était pas à notre bal puisque personne ne l’a invité comme cavalier. Mais il est invité à l’après-bal. Alors à la fin du bal, nous avions prévu nous rendre chez moi pour me reconduire et prendre Émile au passage.

- Ouiiiii, crie Rose. Ça va être le fun.

Nous quittons l’école en disant nos derniers adieux à ceux qui ont été nos professeurs.

Arrivant chez moi, tous débarquent de la voiture pour me raccompagner, ou plutôt pour aller chercher mon frère. Ce dernier ouvre la porte en nous voyant arriver devant la maison. J’entre et enlève mes souliers pendant que William dit fébrilement :

- T’es prêt Émile?

- En fait, allez-y sans moi, décline-t-il de manière inattendue. Je vais rester chez nous finalement. J’ai le goût de passer la soirée avec ma sœur.

Je regarde mon frère, surprise. Il se tourne vers moi et me sourit. Émue, je lui souris à mon tour.

- Hein? déplore William sans cacher sa déception. T’es ben poche.

- Ben là, renchérit Rose avec une mine déçue. D’abord Sarah, et toi non plus tu viens pas finalement…

Qu’elle arrête de faire semblant qu’elle veut de moi. Ma présence ne lui apporterait rien. Elle ne désire pas passer du temps avec moi, elle veut se faire croire qu’on est un groupe d’amis inébranlable. Plus elle est entourée et qu’elle a de l’attention, mieux elle se sent.

- Voyons, capotez pas, leur répond Émile avec désinvolture.

- Ben oui là, c’est pas grave, dédramatise Flavie toute souriante. On va avoir du fun pareil. Passez une belle soirée vous deux.

Elle s’approche de moi pour m’enlacer. Je la serre fort à mon tour. Cette marque d’affection me réchauffe le cœur. J’en ai terriblement manquée cette année.

- Bon ben anyway, il manquera pas de monde, lance William. Bye.

Et il part vers la voiture de Flavie, le bras entourant les épaules de Rose. Cette dernière se retourne sans me regarder. Je le vois bien que je ne suis plus grand chose pour elle. Notre amitié s’est déjà effritée. Une fois que nous irons au cégep, ce n’est qu’une question de temps avant que l’on n’ait plus de contacts. Je ne lui manquerai pas.

- Bon party, leur crie Émile.

- Merci, fait Flavie.

Elle se retourne à son tour, faisant aller ses clés de voiture dans sa main. Après avoir fermé la porte, mon frère m’avoue :

- Ça ne me tentait pas, à moi non plus, d’aller à ton après-bal.

- Tu aurais dû me le dire avant, me désolé-je. Dans ma tête, j’allais me coucher, je suis fatiguée.

- Oh! S’il-te-plaît Saga, me supplie-t-il. T’as pas envie qu’on se fasse une soirée film d’horreur avec des chips?

Sa proposition m'attendrit et est vraiment tentante. Je ne peux pas refuser. Je lui souris à pleine dents et lui réponds :

- J’avoue que oui, j’en ai envie.

- Génial! me fait-il tout content. Qu’est-ce que tu aurais le goût d’écouter?

- Hum… J’écouterais un film qu’on a vu quand on était jeunes…

- Genre, The Shining?

- Oh my god, oui!

- Parfait, conclut-il en riant. J’installe le film, tu sors les chips?

- Good!

J’étais fatiguée et prête à aller me coucher quand je suis sortie de la voiture mais maintenant, je suis bien réveillée. Ça me fait chaud au cœur que mon frère veuille passer du temps seul avec moi. Je dois avouer que je m’ennuyais de nos soirées films d’horreur.

Une fois le film commencé, nous nous amusons comme des enfants. Nous rions du mauvais doublage, on est captivés par l’ambiance du film. On analyse la mise en scène dans ses moindres détails. Même qu’à certains moments, Émile se lève pour imiter les mimiques des personnages. Ce qui me fait rire à chaque fois.

Cette soirée de complicité avec mon frère vaut mille fois mieux qu’un party d’après-bal. Après le film, nous montons nous coucher. Malgré ma lourde fatigue, je me sens le cœur léger, pour la première fois depuis des mois.

* * *


- Je vous ai entendu rire tard hier soir, me dit ma mère, le regard complice, au moment où je descends déjeuner.

- On t’a réveillée? m’inquiété-je.

- Non non, me rassure-t-elle. Je ne dormais pas quand tu es arrivée. Tu sais bien que je ne m’endors pas tant que mes enfants ne sont pas tous les deux à la maison.

Je révulse tendrement les yeux alors que je m’avance pour mettre deux gaufres dans le grille-pain.

- Alors, c’était bien ton bal? me demande-t-elle, fébrile.  

- Oui, c’était le fun, réponds-je avec enthousiasme. On a commencé avec un diaporama qui montrait plein de photos datant de tout le secondaire. Le souper était vraiment bon. On était assis par gangs d’amis. Il y a eu un quizz sur les élèves, les profs et ce qu’on a vécu en tant que groupe ces cinq dernières années. Après le souper, c’était surtout de la danse. On est aussi allés dehors courir dans l’herbe. Il faisait tellement noir, c’était cool. Flavie a enlevé ses talons et est restée nus pieds pendant toute la deuxième partie de la soirée. J’ai dansé un slow avec elle. Puis en rentrant, Émile et moi avons écouté The Shining.

- Oui, il m’a dit ça. Je suis contente que tu aies passé une belle soirée.

Je lui souris avant de sortir les gaufres qui sont prêtes.  

* * *


J’ai passé une tranquille et belle journée de vacances à la maison avec ma mère et mon frère. Nous n'avons rien fait de réellement spécial. J’ai joué à la Wii avec Émile, j’ai lu, écouté de la musique. Avec mes amis, dans notre conversation de groupe, nous avons partagé les photos que nous avons prises hier soir. Je les ai montrées à ma mère.

Après le souper, nous nous sommes tous les trois retrouvés au salon à discuter pendant des heures. Je ne sais pas d’où sort cette complicité. Peut-être que c’est dû aux vacances, à l'arrivée des temps chauds. Je crois notamment que depuis plusieurs semaines, ma mère n’est plus accaparée par son mystérieux dossier qui lui mettait tant de pression. Ça doit aider à rendre l’atmosphère plus conviviale. Et je dois admettre que de mon côté, je ne suis plus autant envahie par les émotions négatives.

Il est tard. Même après qu’Émile soit parti se coucher, ma mère et moi restons en bas en pleine discussion.

- Tu penses toujours travailler dans les relations d’aide? me demande-t-elle après que je lui aie parlé du programme de psycho.

- Je ne sais pas trop. J’aime beaucoup ce qui touche à ce domaine… J’ai envie d’aider les gens mais je ne sais pas si j’en serais capable.

- Je suis sûre que oui peanut, m’encourage-t-elle.

- Pour être honnête, je commence à penser que je voudrais peut-être devenir thanatologue.

Voilà, c’est dit. La thanatologie m’attire et je l’envisage réellement comme choix de carrière. Qui aurait cru que je serais appelée par ce métier atypique?

- C’est un beau projet, approuve ma mère, agréablement surprise. Et c’est original. C’est en travaillant chez Edgar Lavoie que cette idée t’es venue?

- Oui, m’exclamé-je passionnée. J’aime tellement ce qu’ils font là-bas et je pense que j'aimerais aider les gens en deuil. J’aurais vraiment eu besoin d'aide quand Mathias est mort alors je veux être là pour…
Je m'interromps un instant. Qu’est-ce que je suis en train de dire? J’ai peur que ma mère fasse comme cet hiver et qu’elle prenne mes sentiments à la légère.

- Ça t’a chamboulée ce qui s’est passé, remarque-t-elle.

Sa voix est douce et posée. Ma mère me regarde avec une tendresse dans les yeux que je n’avais pas vue depuis longtemps.

- Oui, avoué-je. Je me sens moins dévastée maintenant même si ça me trouble quand même encore. Mais ça me fait beaucoup de bien de parler avec Agathe.

- Peanut, je suis contente que tu sois allée chercher de l’aide. C’est très responsable de ta part. Je suis fière de toi.

- Merci maman.

J’aimerais dire à ma mère qu’elle m’a manquée durant cette épreuve. Je cherche cependant les bons mots. Je ne veux pas qu’elle me dise que je ne suis bonne que pour lui faire des reproches.

- J’aurais eu besoin d’en parler avec toi, finis-je enfin par confier. De m’ouvrir à toi, te dire comment je me sentais, d’user mon deuil si je peux dire. Mais je ne te sentais pas disponible. J’avais l’impression de te déranger quand je te parlais de la peine que ça me faisait.

Si elle savait à quel point « peine » est un si petit mot. Les yeux de ma mère deviennent tristes.

- Je sais peanut, se désole-t-elle. J’ai eu une grosse année moi aussi. Ce n’était pas simple à mon travail. Je peux parfois être enfermée dans mes tracas et ne pas toujours voir ce qui se passe. La prochaine fois, n'hésite pas à venir m’ouvrir si je suis renfermée sur moi-même.

- Alors c’est ma faute? me découragé-je. C’est moi qui aurais dû encore plus aller vers toi? Même si j’avais insisté, je ne me serais pas sentie plus accueillie.

Ça y est. Elle va me dire que c’est à moi de faire des efforts, d’arrêter de penser que tout m’est dû et que si je voulais de l’aide, je n’avais qu’à faire ma part. Me payer une psychologue toute seule venant de ma propre initiative n’est pas assez « faire ma part » à son goût peut-être?

- Non bien sûr, dit-elle la tête basse. Évidemment, ce n’est pas de ta faute…

Je la regarde, stupéfaite. Je ne m’attendais pas à cette réponse. Elle relève la tête plongeant ses iris droit dans les miens.

- Je suis désolée, Sarah. Désolée si je t’ai donné l’impression que tu ne pouvais pas me parler.

- Merci de me dire ça, soufflé-je, sentant les larmes me monter aux yeux. Pendant des mois j’ai tout gardé pour moi. J’avais l’impression que mon deuil était complètement illégitime.

Je sens les larmes couler sur mes joues.

- J’ai même encore tendance à croire que mes émotions étaient irrationnelles, sangloté-je.

Ma mère me fixe de son regard attristé et plein de compassion.

- Pendant tout ce temps, ajouté-je en pleurant de plus en plus, je pensais que j’étais déséquilibrée, que je ne méritais pas... Ça m’a tellement dévastée ce que Mathias a fait. Il me...

Je n’arrive plus à parler tellement je pleure. Je ne comprends pas cette montée émotive soudaine. Je ne me sentais pas triste il y a cinq secondes. Je ne peux plus continuer de parler. Mes pleurs deviennent démesurés et ils m’empêchent de dire tout ce que j’ai à dire. Je lutte fort contre mes sanglots mais je n’y arrive pas. Plus aucun mot ne veut sortir de ma bouche. Ça m’énerve, j’en ai trop à exprimer, trop de paroles que j’ai gardées pour moi trop longtemps et que je dois absolument confier à ma mère. Je n'arrive plus à glisser un seul mot. Je laisse finalement aller un sanglot énorme que je n’avais pas senti venir. Je couvre mon visage de mes mains. Je suis inarrêtable. Comme un coup de vent, ma mère se jette sur moi et me prend dans ses bras. Elle me berce pendant que je pleure ma vie entière. Je n’ai jamais autant pleuré de toute mon existence. Mon visage est complètement trempé, les cheveux sur le bord de mon visage sont tout imbibés de mes larmes. Je suis même en train de mouiller l’épaule de ma mère. Mais ça ne la dérange pas. Elle se contente de me donner tout l’amour et le réconfort qu’elle peut. Je sens ses mains me flatter chaleureusement le dos. Même seule dans ma chambre cette année je n'ai  pas pleuré de manière aussi intense.

Je pleure dans les bras de ma mère pendant plusieurs minutes. Mes sanglots deviennent tranquillement moins intenses. Les larmes finissent par arrêter de couler. Je m'éloigne doucement de l’étreinte de ma mère. Elle essuie mes larmes avec la manche de son chandail. Je me sens un peu mal à l’aise d’avoir été aussi fragile devant elle. Je ne me rappelle pas la dernière fois que j’ai pleuré dans ses bras. J’ai exposé une part de moi que je ne montre jamais. Je n’ai pas souvenir d’avoir déjà été aussi vulnérable. Par gêne, je garde le regard fixé sur mes cuisses. Je ne sens pourtant aucun jugement de la part de ma mère. Je ne la regarde pas dans les yeux mais de par ses gestes et sa présence maternelle, je me sens acceptée telle que je suis, même si elle ne dit pas un mot. Elle dégage une énergie rassurante et protectrice. Une main vient se poser sur ma tête. Elle me caresse délicatement les cheveux. Je la regarde enfin. Ses yeux sont des puits infinis de compassion et d’amour.

- Peanut, je suis sincèrement désolée de t’avoir laissée seule là-dedans. Je n’avais pas réalisé à quel point cette histoire a pu t’affecter.

J'esquisse un sourire triste puis me loge à nouveau dans ses bras. Elle me sert chaleureusement contre elle. Nous restons enlacées l’une contre l’autre pendant plusieurs minutes. Je resterais enveloppée dans ce réconfort maternel pour le restant de ma vie.   

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