Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 28

    

 28. Gone To Soon

Mai 


J’apporte mon matériel en bas puisqu’il ne me reste que le sous-sol à faire. Maxence et Jérôme s’y trouvent. Ils sont en train de faire je ne sais quoi après un cercueil.

- Qu’est-ce que vous faites, leur demandé-je en déposant l’aspirateur par terre et mes guenilles sur la petite table.

- Il y a un truc à visser au niveau du couvercle, me répond Maxence.

- Je vais chercher un tournevis, informe Jérôme avant de fouiller dans un ramassis d’objets derrière lui.

Pendant que je commence l’époussetage, j’observe le cercueil et me décide enfin à leur poser cette question qui me trotte dans la tête depuis un moment.

- Est-ce que vous vous êtes déjà couchés dans un cercueil?

Maxence lève les yeux vers moi. Il m’adresse un petit sourire de canaille et me répond :

- D’après toi?

Je ris. C’est donc l’évidence même. Tous mes collègues ont déjà testé un cercueil. Il faudra bien qu’un jour j’essaie ça moi aussi.

- C’est à quelle heure déjà la première exposition aujourd’hui? demande Jérôme à Maxence tout en rafistolant le cercueil.

- Onze heures trente.

Je serai malheureusement déjà partie à cette heure. J’aurais bien aimé voir un peu l’exposition.

Mes collègues sont si passionnés par leur métier. C’est beau à voir. Et Maxence prend tellement bien soin des corps sur lesquels il travaille. Je pense que je resterais toute la journée pour les observer et apprendre de leur métier.

En me dirigeant vers la sortie à la fin de mon quart de travail, j’entends pleurer dans la pièce où on accueille les clients. La voix de la cliente en pleurs me parvient.

- Que suis-je censée faire avec mes filles? Elles ont perdu leur père. Qu’est-ce que je peux bien dire pour soulager leur peine?

- Le meilleur moyen c’est de leur faire savoir que vous êtes là, conseille Annick sous un ton calme, rempli de douceur et d’empathie. Le mieux est de vivre cette épreuve ensemble, toutes les trois. De parler, d'exprimer votre peine et de vous rappeler les bons souvenirs...

J’admire la capacité d’Annick à trouver les mots justes. J’aimerais tant être comme elle.

Après quelques secondes à me perdre dans mon esprit, j’entends Annick qui s'apprête à reconduire la cliente vers la sortie.

Je me cache derrière le mur de peur qu’elles pensent que j’étais là pour les espionner. La femme sort du complexe funéraire et Annick se retourne contre la porte. Elle pousse un gros soupir et se frotte le visage à deux mains. Elle a l’air bouleversée. Je m'avance vers elle.

- Ça va Annick?

Elle sursaute et lève la tête vers moi. Un sourire qui se veut rassurant se dessine sur son visage.

- Oui oui, t’en fais pas. C’est juste que... c’est pas toujours évident.

- Je comprends. Travailler avec des gens tristes à longueur de journée, ça doit rentrer dedans des fois.

- D’habitude je suis plus forte que ça mais j’ai perdu mon père l’année dernière alors parfois je suis un peu secouée. Mais je me ressaisis vite.

- Oh, je suis désolée pour ton père.

- Merci, me sourit-elle.

- Ça va aller? m’assuré-je.

- Bien sûr.

En effet, comme elle dit, elle semble se ressaisir vite.

- Bon, alors je te souhaite une bonne fin de journée, dis-je en la saluant.

- À toi aussi, me répond-elle chaleureusement.

Elle me laisse passer pour que je puisse sortir.

Il faut avoir des nerfs d'acier pour faire ce métier. Je trouve qu’Annick est une femme forte et admirable même si elle peut être ébranlée par ce qu’elle voit dans son travail. Même les femmes comme Annick peuvent avoir des moments de faiblesse mais je ne trouve pas que ça la rend faible pour autant. Bien au contraire. Ça ne la rend que plus humaine.

* * *

Le soir au couché, la seule image qui se colle à mon esprit est celle de Mathias, pendu au bout d’une corde. J’en ai marre d’être tourmentée de la sorte.

Sors de ma tête Mathias! Comment as-tu pu faire ça? C’est trop glauque.

Cette fois, au lieu de refouler mon angoisse, j’essaie de comprendre ce que je ressens. Où se trouve cette sensation désagréable? Au niveau de la poitrine? Au cœur? Je place ma main là où je pense ressentir cette masse oppressante. Si quelqu’un me voyait me tripoter de la sorte… Heureusement que je suis seule dans le noir de ma chambre. J’ai l’air de me toucher les seins.

C’est dur à dire. Ce sentiment de terreur qui m'envahit semble prendre la forme d’un boulet qui se consume au niveau de ma poitrine. Je prends quelques minutes pour une petite séance de cohérence cardiaque.

Je t’aime Mathias. Je ne veux pas me souvenir de toi de cette façon. Je veux revoir mon meilleur ami, le garçon lumineux avec qui je jouais.

* * *

Je commence à bien connaître Agathe. Elle va me demander comment je vais dans trois, deux, un...

- Comment vas-tu?

Et voilà.

- En général, ça va. Mais ça m’arrive encore de voir Mathias… Tu sais…

Pourquoi je suis incapable de dire le mot? En parler fait tellement mal.

- Ça t'arrive souvent?

- Moins souvent qu’avant. Il y a eu un temps où ça me le faisait plusieurs fois par jour mais là c’est moins pire.

- C’est à quelle fréquence maintenant?

Je réfléchis pour lui donner une réponse la plus exacte possible. Est-ce que j’y pense toutes les semaines? Je crois bien que oui.

- Je dirais toutes les semaines, mais pas tous les jours.

- Et qu’est-ce que ça te fait de me le dire?

- Je t’avouerais que je ne suis pas dans une position très confortable, mais tu accueilles toujours bien ce que je te confis donc, ça va. Mais puisqu’on discute justement de ce sujet, je suis en ce moment en train de me battre sans cesse contre cette image.

Je me force à fixer des points à travers le bureau d’Agathe pour ne pas laisser mon imagination former la scène de suicide de Mathias. Je me concentre sur les carreaux de la fenêtre. J’ai constamment peur que cette affreuse image s’impose concrètement dans mon esprit. Surtout qu’Agathe est là à me fixer.  Il est hors de question que je vive un malaise psychologique à la merci d’un regard si perçant, aussi bienveillant soit-il. Je serais foncièrement mal à l’aise d’être à ce point vulnérable devant quelqu’un.

- Elle n’arrête pas de s’imposer et je n’arrête pas de la rechasser, précisé-je.
 
Agathe a l’air désolée. Je le vois dans ses yeux.

- Qu’est-ce que ça te fait affectivement quand tu chasses ces images qui s’imposent?

- C’est un genre de combat interne. Je finis par le gagner, d’une certaine façon. C’est comme tourner le dos à une image qu’on ne veut pas voir. On ne la voit plus mais par contre, on la sait toujours là, derrière nous. Et cette image finit tôt ou tard par revenir de face. Et le processus se répète.

Ma psychologue ouvre grand les yeux. Je pense qu’elle aime ma métaphore.

- C’est comme quand je vois ce genre de scène à la télé, poursuis-je. Mais là c’est pire parce que ça concerne quelqu’un que je connais et c’est arrivé pour vrai.

- En effet, confirme-t-elle, navrée. Est-ce que ça serait juste de dire que tu te sens prisonnière?

- Peut-être.

- Te juges-tu encore beaucoup? Te sens-tu encore… névrosée? C’est ça que tu m'avais dit l’autre fois n'est-ce pas? Névrosée?

- Oui, c’était ça. Mais non, je commence tranquillement à moins me juger. Tu m’as quand même fait comprendre l’autre fois que c’était normal que je sois marquée par cette histoire, que je n’avais pas à me trouver drama queen ou quoique ce soit.

- C’est vrai, affirme-t-elle en hochant la tête. Tu as le droit d’être troublée. Tu fais ton deuil à ton rythme.

- J’aurais tellement dû venir te voir avant, soupiré-je. J’aurais eu besoin que tu me dises ça il y a plusieurs mois.

Elle esquisse un sourire triste.

- Je pensais qu’il aurait fallu que j'oublie tout après les funérailles, avoué-je. Comme si cet événement marquait la fin du deuil. Que j’étais obligée de me sentir en paix avec tout ça, genre, un mois après sa mort.

- Tu es allée aux funérailles? me demande-t-elle.

- Oui.

- As-tu envie de m’en parler?

- Oui, pourquoi pas. J’y suis allée avec mon frère. Il y a eu l’expo au salon. Il y avait son urne sur l’autel. Il y avait plusieurs photos de Mathias. J’ai rencontré une de ses cousines et je l’ai bien aimée. Elle avait une attitude assez sereine qui, je dois admettre, faisait du bien. Ensuite ça été la cérémonie au cimetière. Il y avait tellement de monde, je n’osais pas respirer. J’ai pratiquement tout oublié ce qui s’est dit lors de cette cérémonie.

- Es-tu retournée au cimetière depuis?

- Non. Je n’ai pas eu l’occasion. Mathias est quand même enterré à quarante-cinq minutes de chez moi.

- Penses-tu que ça te ferait du bien d’y retourner?

Quand j’ai appris que Mathias n’allait pas être mis en terre près de chez moi, j’ai été déçue. J’aurais aimé pouvoir me réfugier quotidiennement sur sa pierre tombale. Le cimetière est un endroit tranquille et serein qui aurait été pour moi un refuge parfait et rassurant. Mathias est malheureusement à des heures de marche alors lui rendre visite était devenu quelque peu impossible. Cette idée d’aller le voir au cimetière a donc fini par s’échapper de mon esprit. Je n’y pensais plus.

- Maintenant que tu soulèves l’idée, oui, j’aimerais bien y retourner, finis-je par répondre.

- Te retrouver devant sa pierre tombale pourrait te permettre de refaire, en quelque sorte, des funérailles qui te ressemblent plus, expose-t-elle. Qui correspondent à toi, à tes besoins.

- Je ne vais pas organiser des funérailles à moi seule, me moqué-je.

- Évidemment, je ne parle pas de réellement organiser des funérailles. Mais de te faire un petit rituel à toi.

- D’accord.

Je commence à adhérer à son idée.

- Quels gestes symboliques tu pourrais faire?

- Ouh là, bonne question, ris-je. J’en sais rien.

- Tu pourrais lui écrire une lettre? suggère-t-elle.

Je hausse les épaules. C’est pas trop mon truc, écrire. Je serais plus du genre à lui parler à haute voix. Parler dans le vide mais en m’adressant à Mathias.

Agathe garde le silence pour que je trouve moi-même des idées qui pourraient me convenir. Je repense soudainement au petit symbole sur son urne. La clef de sol. Mise là pour rappeler son amour pour la musique.

- Je pourrais mettre de la musique puisqu’il en écoutait tout le temps, proposé-je.

- Bonne idée, approuve-t-elle, souriante.

Je continue mes réflexions. Quelle musique je mettrais?

- Une chanson d’Indochine... J’adore ce groupe et il l’aimait aussi.

Agathe me sourit en hochant la tête. Elle semble bien contente de me voir aussi créative. Cette idée que je développe me plait notamment mais je me trouve un peu ridicule. Je lève les yeux en l’air.

- C’est cave, commenté-je d’un air que je veux désinvolte.

- Pourquoi tu dis ça?

- Je me sens débile de faire ça. Et j’ai l’impression que si Mathias me voyait faire, il rirait de moi.

- Qu’est-ce qui est débile?

- Les petites symboliques. Il me semble que le monde rit de ce genre de trucs.

Agathe plisse les yeux dans un regard qui se veut tout de même tendre.

- Il y a quelques semaines tu m’as parlé de ton nouveau travail que tu aimes beaucoup, avance-t-elle.
 
- En effet. Pourquoi tu parles de ça, là?

Elle continue, ignorant ma question.

- Tu m’avais dit que tu commençais à développer de l'intérêt pour le domaine funéraire.  

- Oui…

Développe Agathe.

- Peux-tu me rappeler ce qui t’attire dans ce domaine?

Pourquoi me demande-t-elle ça? Malgré le fait que j’ignore où elle veut en venir, je lui réponds d’emblée avec toute ma passion :

- Le fait que tout est mis en place pour aider les gens dans leur deuil. Pour rendre hommage aux morts. Tout est si paisible et rempli de respect. J’adore l'esthétique ; les salles d’expo lumineuses, les fleurs, les urnes et cercueils tous différents, que ce soit en terme de couleur ou de matériaux. Les rassemblements familiaux, les recueillements. Tout cela, c’est concret, ça aide les gens à voir les choses en face et le tout de manière rassurante.

- C’est symbolique, conclut Agathe.

Je reste bouche bée. Elle vient de m’avoir là. J’aime toutes les symboliques, les rituels et les objets qui aident au deuil. Ça n’a rien de ridicule. Tout cela est nécessaire dans le processus.

- Je vois, dis-je, vaincue. Je pense qu'inconsciemment je me dis que tout ça marche pour les autres mais pas pour moi.

- Ah. Intéressant. Dis-moi en quoi ça ne fonctionnerait pas sur toi?

- C’est comme si je me disais encore que je n’avais pas le droit de vivre ce deuil.

- Oui, confirme-t-elle.

Ma psychologue me regarde intensément. Comme si je devais me rendre aux aveux.

- D’accord, t’as raison, admété-je. Je vais me donner le droit de prendre soin de moi dans ce deuil.

- J’aime t’entendre le dire, sourit-elle.

Je lui renvoie son sourire.

- Mais je ne pense pas qu'après ça je vais lâcher prise, dis-je en perdant mon sourire. Je peux pas te garantir qu’après ma visite au cimetière je vais définitivement laisser tout ça derrière moi.

- Le but de ce recueillement au cimetière n’est pas de tourner la page définitivement, me rassure-t-elle. Le but est de t’aider, de poser des gestes qui te feront du bien. Le reste se fera tout seul. Le lâcher-prise n’est pas obligatoire et il ne se contrôle pas. Il se fera de lui-même, à force de prendre soin de tes besoins.

- Okay ça me rassure, soupiré-je, apaisée.

* * *

Le secondaire est presque terminé, mais je n’ai pas le temps de le réaliser à cause des examens à venir. Je me retrouve à nouveau au café étudiant, le nez dans mes révisions avec la douce compagnie de Flavie. Bon je l’avoue, je n’ai pas mis beaucoup d’énergie dans mes devoirs aujourd’hui. Flavie et moi parlons un peu trop pour des élèves en révisions.

- Flavie, ça ne te regarde pas ce qui se passe entre ma psy et moi.

- Mais ça m’intrigue, se justifie-t-elle. Mais non, t’as raison, c’est tellement pas de mes affaires.

Je rigole.

- Mais je le vois que ça t’aide, reconnaît-elle.

- Ah oui? m'exclamé-je, surprise. Comment tu peux voir ça?

- Tu sembles plus heureuse ces derniers temps, explique-t-elle.

- C’est vrai que je suis moins déprimée.

- Je suis contente pour toi. Je dois t’avouer que je m’inquiétais un peu parfois. Quand tu es venue chez moi et que tu as paniqué quand on a écouté Disconnect…

Pourquoi me rappelle-t-elle cet événement honteux? Je me mets à mordiller nerveusement le bout de mon crayon.

- J’ai tellement eu l’air débile à ce moment-là.

- Mais non. Je me sentais mal, avoue-t-elle. C’était un des rares moments où je pouvais voir comment le suicide de Mathias t’affectait et je ne savais pas quoi faire.

- Ne te sens surtout pas mal pour ça, ordonné-je. T’avais pas à faire quelque chose.

Flavie baisse la tête, le sourire gêné.

- C’est fou que tu me parles de ça, exprimé-je. Ce moment m’a fait comprendre des trucs sur moi. Suite à cette soirée, j’ai constaté que je commençais de plus en plus à réaliser concrètement le geste que Mathias avait posé.

- Ah oui?

- Ouais. Et que j’étais devenue incapable de voir des scènes de pendaison dans les films. Ce sujet est pratiquement devenu anxiogène chez moi.

- Je comprends.

Flavie me regarde avec une empathie douce et réconfortante. Et à mon plus grand étonnement, je ne lis aucune pitié dans ses yeux. Je ne pensais pas qu’un tel phénomène était possible. J’ai toujours cru que les gens, soit ils se foutent royalement de toi, soit l’empathie vient automatiquement avec la pitié. Mes croyances étaient fausses.

- C’est normal, ajoute mon amie.

« C’est normal ». Ces réactions psychiques que je croyais détraquées sont accueillies avec les mots « c’est normal ». Flavie ne comprend pas à quel point ces deux simples mots me font du bien.

- C’est trop sweet ce que tu viens de me dire Flavie.

- Quoi? s’exclame-t-elle en riant. Qu’est-ce que tu veux dire?
 
- J’ai cru qu’au contraire, ce n’était pas normal.

- Ben non, ça l’est, me confirme-t-elle. Bon, j’avoue que je n’y connais rien en fait et un truc du genre ne m'est jamais arrivé mais je peux me mettre à ta place et je crois qu’il n’y a rien d’anormal là-dedans.

Je lui renvoie un sourire rempli de reconnaissance qu’elle me retourne.

- C’est quand même vraiment intense ce qu’il a fait, s'attriste-t-elle. Ça a de quoi te perturber. L’avais-tu lu finalement, sa lettre de suicide?

- Euh… oui.

Je me retiens d’ajouter que je l’ai lue des dizaines de fois.

Flavie est songeuse.

- Sais-tu à quelle heure il s’est suicidé?

Comment veut-elle que je le sache? Personne ne peut le savoir.

- J’en ai vraiment aucune idée. J’imagine qu’il l’avait fait vers midi, en milieu de journée, genre. Le temps qu’il se prépare, qu’il rédige sa lettre, qu’il s’installe…

Je ne peux pas croire que je suis en train de parler de ça.

- Ça a du sens. C’est sa mère qui l’a trouvé?
 
- Oui, réponds-je la tête rivée sur mes cahiers.

- Pauvre femme, c’est épouvantable.

- Vraiment.

- T’imagines ce qu’elle a dû se dire après? Réaliser qu’elle faisait sa vie normale pendant que son fils se suicidait...

Oui, mais j’essaie justement de ne pas trop l’imaginer.

- C’est atroce. Ça me donne envie de vomir.

Mon amie n’ajoute rien. Je ris sous cap me disant qu’elle croit peut-être que j’allais vomir pour de vrai.

Flavie expose à haute voix exactement le genre de pensées qui me hante depuis des semaines. Elle ne m’épargne pas beaucoup mais ça ne me dérange pas. En parler avec quelqu’un pour une fois, ça a quelque chose de rassurant même si ça reste troublant. Même si elle utilise des mots forts qui me font imaginer des images percutantes, elle discute de ce sujet avec moi avec toute l’empathie qu’elle possède. Seulement ça, me fait tant plaisir.

- Oh my god, je suis désolée, dit-elle honteuse, se cachant le visage dans ses mains. Tu viens de me confier comment son geste te perturbe et moi je t’en parle comme si de rien était. Des fois je devrais juste fermer ma gueule.

- Mais non, c’est tout à fait correct, la rassuré-je. Oui, je suis perturbée mais ça me fait plaisir d’en parler avec toi. Ça m’a tellement manqué cette année, de pouvoir en discuter avec quelqu'un. Ce n’est pas parce que le sujet est triste et même traumatisant que je préfère le garder sous silence. Au contraire, j’ai besoin d'extérioriser tout ça. Alors si tu as envie de parler de Mathias, ne te gêne pas.

- Toi tu gères bien tes émotions, me complimente-t-elle. T’es cool. Et idem, si tu as envie de me parler de Mathias, je serai toujours à l’écoute.

- Merci Flavie, souris-je tendrement et ivre de reconnaissance.

* * *

Ce soir, bien blottie dans mon lit, un souvenir avec Mathias me revient en mémoire. Assis aux balançoires, nous avions une vue sur toute la cour d’école. On s’amusait à observer les autres enfants. Nous étions trop loin d’eux pour les entendre parler alors nous leur inventions des dialogues. La première fois que nous avons exécuté ce jeu, la cible était une petite fille qui portait un chandail bleu. Elle parlait à son amie du haut d’un module. Mathias a pris une voix ridicule comme si c’était elle qui parlait.

- Je suis la personne la plus importante de toute l’école. C’est pour ça que je prends autant de place et que je bouge constamment mes bras comme s'ils étaient gonflés à l’hélium.

J’ai pouffé de rire. La petite fille gesticulait de manière très théâtrale. Quand l’amie de cette dernière, s’est mise à parler à son tour, j’ai sorti mon meilleur jeux d’acteur et j’ai répliqué avec une voix d’attardée :

- Tu n’es qu’une petite conne. En fait, je fais semblant d’être ton amie parce que je ne veux pas que le monde devine à quel point je suis pathétique.

Nous avons éclaté de rire. Ce jeu d’improvisation a duré plusieurs minutes et nous l'avons recommencé les jours suivants.

Mathias et moi pouvions être moqueurs parfois.

Je m'endors sur cet amusant souvenir.

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