Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 19
19. Breaking The Habit
Mars
J’ai tellement de colère en moi mais je ne peux pas l’exprimer. Je ne peux absolument pas prendre le risque que ma mère me méprise plus. J’ai déjà l’air d’une idiote à ses yeux… et à mes yeux. Cette colère bouille en moi, c’est chaud, elle me brûle, mais je la laisse à l’intérieur. Elle ne sortira jamais, j’ai le plein contrôle dessus, même si elle me fait souffrir.
Je m’isole dans ma chambre. Je mets mes écouteurs et la musique forte retentit dans mes oreilles. Je dois canaliser ces émotions dévastatrices par le rock. Les larmes commencent à jaillir de mes yeux. C’est chaud dans ma gorge. C’est coincé mais ça se décoince grâce aux larmes. Malheureusement, je ne peux pas dire que je me sens soulagée, je me sens si minable de pleurer. J’ai l’impression de ne faire que ça.
Ma mère travaille dans son bureau. Mon frère écoute la télévision en bas, dans le salon. J’aimerais disparaître, ne plus rien ressentir, simplement, ne plus être. Mathias s’est suicidé. Je pourrais le faire moi aussi. Pourquoi pas?
Ce soir, je fais un voyage astral, et je me vois. Je revois le fil de ma journée d’un point de vue extérieur. Je vois la fille fade, aimée de personne, marcher jusqu’à l’école. Je vois la fille fade qui n’a aucun plaisir avec ses amis. La fille fade qui ne supporte pratiquement pas ses amis. Celle qui les regarde s’amuser autour d’une passion qui ne la rejoint pas. Celle qui assiste à des cours qui ne la mèneront nulle part, enseignés par des professeurs qui ne savent probablement pas son nom. J’ai observé cette fille qui s’échoue dans le coin d’un corridor à essayer de réviser ses travaux car elle est trop lente mentalement pour ne pas se permettre de prendre de l’avance. Le tout pendant que ses deux amis se bécotent et travaillent sur leur projet de danse. Ces deux amis qui ont des passions bien plus importantes que celles de cette pauvre fille qui révise ses leçons. La pauvre fille qui ne s’occupe même plus de ses passions car elles n’ont plus aucun intérêt. J’observe cette fille qui revient de l’école avec son frère qu’elle ne supporte plus. Cette fille qui n’arrive plus à échanger quelques mots avec sa mère sans qu’elle se sente attaquée. Cette fille qui ne sent pas que sa mère l’aime. Qui ne sent absolument pas cet amour inconditionnel et plein de tendresse qu’une mère devrait avoir envers ses enfants. Cette fille qui aimerait partager des brèches de sa vie avec sa mère mais que cette dernière semble irritée chaque fois que sa fille ouvre la bouche. J’observe cette fille qui s’ennuie de la mère qu’elle avait quand elle était enfant. La mère qui passait du temps avec sa petite, qui la faisait se sentir belle et importante mais qui maintenant ne lui porte presque plus d’attention. J’observe cette fille, cette adolescente inintéressante…. et je déteste ce que je vois.
J’ouvre la porte de mon placard. En fouillant un peu je tombe sur la robe grise que j’ai portée à l’enterrement de Mathias. Je passe ma main dessus. Elle est simple mais jolie. J’aime les légers brillants autour du collet. Malgré sa couleur qui pourrait sembler morne, elle porte une once de fantaisie très discrète.
Les yeux toujours rivés sur ma petite robe, j’enlève mon chandail et mon pantalon. Ma tête tourne sur le côté, je vois mon reflet dans le miroir. Mon corps est quand même joli, mais il ne sert à rien. Y’a-t-il un garçon un jour qui me verra en sous-vêtements de cette manière et me dira : « Tu es tellement belle »? Je commence à me dire que ce bonheur ne m’arrivera jamais, même si mon corps est tout à fait potable.
J’enfile la petite robe grise. J’ouvre doucement la porte de ma chambre, elle ne fait aucun bruit. Je me dirige vers la salle de bain. Je me regarde à nouveau dans la glace. Effectivement, je suis assez jolie. Je n’aime pas trop la forme de ma bouche mais excepté ce détail, j’ai un beau visage. Mes cheveux noirs les cadrent bien. Ils ont de légères boucles que j’ai toujours aimées. J’adore notamment ma frange qui fait partie de moi depuis aussi loin que je me rappelle. Et cette robe grise, malgré qu’elle me donne un look féminin qui me déstabilise un peu, elle me va bien.
Je l’avais mise pour toi Mathias. Juste pour toi. J’espère que tu en as été reconnaissant espèce d’égoïste. Je ne porte jamais de robe d’habitude.
Bref, je suis quand même belle, mais ça ne m’empêche pas de me détester. Je n’ai aucune joie de vivre, je ne suis pas aimable. Mes amis font le minimum pour faire semblant de m’aimer, j’indiffère complètement mon frère et ma mère me trouve énervante et me prend pour acquise.
Je ne mérite pas de me trouver belle. J’arrête de me regarder. J’ouvre l’eau du robinet et laisse le bain se remplir. Dans l’armoire, je prends une lame de rasoir appartenant à mon frère. Il serait si facile de me suicider à cet instant précis. Personne ne s’en rendrait compte.
Une fois l’eau atteignant le bord, je referme les robinets. Je m’installe dans le bain sans avoir enlevé ma robe. J’ai encore la lame dans ma main droite. Qu’est-ce qui m’empêcherait de m’ouvrir les avants-bras avec cette petite lame?
Vas-y Sarah. Fais pas ta chochotte.
Un seul geste et je serais entraînée dans la mort. Cette souffrance serait enfin terminée. Et personne ne viendrait pour me sauver de justesse.
Ma mère ne m’accorde si peu d’attention qu’elle découvrirait mon cadavre que très tard dans la soirée. Peut-être même demain matin car il y a des possibilités pour qu’elle aille se coucher et me souhaiter bonne nuit par un simple texto. Cette pensée me fait pleurer sur le champ. En a-t-elle à ce point rien à faire de moi? Ne pas partager de temps avec moi lui fait réellement plaisir?
Je pleure de plus bel, assise dans mon bain, la robe mouillée, collée à ma peau, la lame dans ma main droite. Sans moi, ma mère serait probablement heureuse. Je ne serais plus un poids pour elle. Je ne serais plus cette fille fatigante aux sautes d’humeur.
Qu’est-ce que j’attends pour passer la lame bien profondément le long de mon avant-bras?
T’as peur de la douleur Sarah? T’as peur de la mort? Espèce de faible. T’as pas le courage. Tu es bien trop lâche. Tu n’es pas comme Mathias. Il a réussi lui. Même mort, il arrive à être meilleur que toi. Tu as toujours été inférieure à lui.
Évidemment, je ne le ferai pas. Comment pourrais-je me suicider? J’en suis incapable.
Je lâche la lame par terre et mets ma tête sous l’eau. Je retiens mon souffle le plus longtemps possible. Étrangement, ce silence me fait un petit baume. Je suis comme envoûtée dans un univers parallèle où plus rien du monde extérieur ne pourrait m’atteindre. Je voudrais m’endormir sous l’eau, au fond de cette baignoire.
Mais non, mon souffle a ses limites et je remonte à la surface. Je me retrouve à nouveau dans cette maison dans laquelle je ne me sens pas chez moi.
Avec des gestes mécaniques, l’enlève ma robe, je profite de l’eau du bain pour me laver. J’enfile un pyjama. J’étends ma robe mouillée sur un cintre dans ma chambre. J'éteins la lumière et me cache sous mes couvertures pour tenter de couvrir ma honte.
Quelques minutes plus tard, je reçois un texto de ma mère.
Maman
{Bonne nuit peanut xxx}
Maman
{Bonne nuit peanut xxx}
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