Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 13

  

13. Welcome To My Life

Janvier

J’ignore si la reprise des cours est un soulagement ou un poids de plus sur mes épaules. Il fait un froid d’enfer. Aller à l’école à pied, ce matin, ne fait que m'enrager. Je traîne le pas jusqu’à mon casier et je m'affale par la suite contre un mur du corridor. Après quelques minutes à fixer le vide, je suis rejointe par Rose qui s’assoie brusquement à côté de moi.

- Enfin je te vois, s’exclame-t-elle soulagée.

- Je t’ai manquée? dis-je le sourire en coin.

- Certain. J’avais besoin de te voir. Je n’en pouvais plus d’être en vacances avec ma famille. Quand on est trop longtemps ensemble à la maison, ma mère se met à me faire des reproches à la pelle. Ces derniers jours, elle était tout le temps sur mon dos. 

- Comment ça? Qu’est-ce qu’elle te disait?

- Des conneries, se choque-t-elle. « T’as pas ramassé ci, tu ne fais rien de bien »… Je n’en pouvais plus. Ce n’était plus vivable. Vivement que l’école recommence. 

- Elle est ben chiante.

- Tu peux le dire.

- Mais pourquoi tu ne m’as pas écrit? On aurait pu faire une sortie. Ça t’aurait libérée de l’emprise de ta mère.

- Oh t’en fais pas, me rassure-t-elle le sourire aux lèvres. J’ai eu des moments de répit. Je suis allée chez Will quelques fois et on a travaillé sur notre choré. Ça a fait un bien fou.

Elle m’en parle avec des étoiles dans les yeux. Je ne peux que sourire de voir que ce projet en amoureux la rende heureuse à ce point. J’ai tout de même une petite amertume de savoir qu’elle a écrit à William pour faire une activité mais pas à moi. En même temps, je ne lui ai pas écrit non plus et aurais-je réellement accepté son invitation? J’étais tellement déprimée pendant les vacances que j’aurais peut-être inventé une excuse pour rester dans ma chambre. 

 

* * *

Pour l’heure du dîner, nous décidons de manger près des tables de babyfoot.

- Vous avez passé de belles vacances? interroge Flavie à tous en ouvrant sa boîte à lunch.

- L’horreur, répond Rose d’emblée. Les seuls bons moments c’était quand j’étais avec Will.

Elle jette un œil tendre vers le concerné tandis qu’il lui répond par le même regard.

- On a presque réussi à finir notre chorégraphie avant que l’école ne recommence, annonce-t-il.

- Oh! s’exclame Flavie impressionnée. Alors ça avance bien?

- Vraiment, confirme Rose. Il y a encore des modifs à faire par contre.

- Vous avez choisi quelle chanson finalement? demande mon frère.

- House On Fire de Sia, répond William.

- Elle est tellement bonne cette chanson, s’extasie Flavie. J’ai trop hâte de vous voir à l'œuvre. 

- Tu ne seras pas déçue, promet notre amie avec fierté. 

Je peux constater que personne n’arrivera à donner sa réponse à Flavie. À part pour Rose, on ne sait pas comment se sont déroulées les vacances des autres. Heureusement, les miennes n’avaient rien de palpitant. Je n'aurais rien eu à raconter de toute façon.


* * *

La première journée d’école depuis les vacances et je me ramasse déjà avec une tonne de devoirs. Je passe la soirée à mon bureau. Vers vingt heures, je commence à me sentir seule. Je range mes cahiers dans mon sac et descends au rez-de-chaussez. Je passe devant le bureau de ma mère. Sans qu’elle ne s’en rende compte, je prends le temps de l’observer. Elle est concentrée devant son ordinateur accompagnée d'une foule de paperasses. J’aimerais retrouver la mère que j’avais quand j’étais petite. Celle qui était rassurante et pleine d’amour. Quand je la vois, j’ai instinctivement envie de me réfugier près d’elle, mais je me rappelle notre conversation de l’autre fois et ça m’en dissuade. Je la trouve froide ces derniers temps. Sans cesse sur les nerfs. Mais je me sens tellement seule que je vais tout de même la voir. 

- Qu’est-ce que tu fais? lui demandé-je dans le cadre de porte de son bureau. 

- Je travaille, répond-t-elle simplement.

J’aimerais lui confier comment je me sens par rapport à Mathias. Lui partager des souvenirs, lui exposer ma peine sans retenue, recevoir du réconfort maternel. Je tente une approche.

- Je peux te montrer quelque chose?

- Mhm.

En m’approchant de son bureau, je lui tends mon téléphone où l’on peut voir la photo de Mathias et moi. Elle lève la tête pour regarder. Un sourire se dessine sur ses lèvres.

- Tu es mignonne là-dessus, commente-t-elle avant de rebaisser la tête dans son ordinateur.

- Merci. Te souviens-tu d’avoir pris cette photo?

Elle me jette un regard interrogateur.

- C’est moi qui ai pris ça? Ça ne me dit rien.

- C’était peut-être papa alors, suggéré-je songeuse.

- Ça se peut.

Son ton m’invite plus ou moins subtilement à la laisser tranquille. Je la dérange pendant son travail. Cependant, c’est le seul moment où je l’ai pour moi alors je n’ai pas envie de partir.

- C’est la seule photo que j’ai de nous deux. Je ne pense pas qu’il y en ait d’autres.

- De vous deux? demande-t-elle sans quitter son travail du regard.

- De Mathias et moi.

- Ah.

Elle ne m’écoute pas.

Je me résigne. Ce n’est pas le moment. Elle travaille. Sans dire un mot de plus, je tourne les talons et quitte son bureau. Je vais me réfugier au salon, là où mon frère regarde la télé. Il parcourt Netflix sans visionner quelque chose en particulier. J’ouvre mon cellulaire pour contempler à nouveau notre photo de Math et moi. Je me rappelle un peu de cette journée mais je ne pourrais vraiment pas dire qui est l’auteur de ce cliché. Ce devait être au mois de janvier. Je l’avais invité à jouer chez moi. J’avais reçu cette robe pour Noël.  Toute fière, je l’avais enfilée pour la lui montrer. Pendant plusieurs minutes, nous avons fait semblant que nous étions un prince et une princesse qui se rencontraient lors d'un bal ou une connerie comme ça. Il a dû me faire pratiquer ma révérence pendant au moins cinq minutes. Je me sentais tellement belle dans cette robe. Maintenant, quand je me regarde sur cette photographie, je ne vois qu’une petite fille moche et maigre au visage pas tout à fait formé. Surtout qu’à côté de Mathias qui avait des traits angéliques, je fais un beau faire-valoir. 

Émile continue de faire défiler les films et séries dans tous les sens. Je le regarde, découragée.

- Vas-tu finir par mettre quelque chose ou tu fais semblant?

- Laisse-moi dont, se plaint-il.

- Sérieux, c’est fatigant ton affaire. Je ne comprends même pas ce que tu fais.

- Ben va-t-en d’abord. Il y a rien qui t’oblige à rester.

Agacée, je me lève du divan. Je n’ai pas envie d’aller m’enfermer dans ma chambre mais ma famille m’énerve et j’ai besoin d’un refuge. À la recherche de soutien, j'envoie un message impulsif  à Rose.

Sarah
{Ma famille me fait chier!}

Je referme mon cellulaire. Je fais un pas vers mon manteau, me préparant à aller courir mais je réalise qu’il est tard et je n’ai pas vraiment l’énergie finalement. Je décide tout de même de prendre mon manteau et d'aller dehors. Je m'assois sur le perron gelé. Le froid me traverse le corps en entier mais ça ne me dérange pas. Il me donne la décharge dont j’avais besoin. Le calme blanc de l’hiver arrive à m’apaiser. Je savoure cette page blanche enveloppée par la nuit.

La vibration de mon cellulaire interrompt doucement cette quiétude. C’est Rose qui me répond.

Rose
{Comment ça mon coeur? 😮 Qu’est-ce qu’elle t’a fait ta famille?}

Je me sens ridicule tout à coup. Je lui ai envoyé ce message comme si j’avais une réelle grosse raison de me plaindre. Étant plus calme qu’il y a quelques minutes, je lui renvoie :

Sarah
{Rien d’effrayant en fait. C’est juste que ma mère est zéro réceptive et mon frère me gosse. Classique. }

Rose
{Ah je vois très bien. C’est comme ça des fois avec les mères 😉  Je te comprends tellement! Juste tantôt, la mienne n’arrêtait pas de chialer parce que mes affaires traînaient soit disant partout dans le salon. Sérieux, son chialage, je n’en peux plus 😒}

Sarah
{Qu’est-ce qu’elle a coudonc?}

Rose
{Aucune idée. Pourtant, elle est pas dans sa semaine XD}

Sarah
{Hahaha!}

À force de texter, mes doigts deviennent complètement rouges et engourdis par le froid. Je me résigne à rentrer.

Rose et moi passons le reste de la soirée à s’écrire. Cet échange crée un petit baume en moi. Je m'endors paisiblement après que l’on se soit souhaité bonne nuit.

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