Ta délivrance, ma soufrance - CHAPITRE 2


 

 

2. Un jour dans notre vie


Septembre

Je suis si excitée par le jour de la rentrée. Je me sens comme une enfant qui entre à la maternelle. Cependant, c’est bien plus exaltant aujourd’hui. J’entame ma toute première journée de cinquième secondaire. Enfin, mes deux amies de filles et moi sommes les plus vieilles de l’école.

Et dire qu’au début du secondaire j’étais toute petite, seule et sans amis. Je ne possédais aucune assurance.

Je sens que cette année va être mémorable.

Pour le premier jour, je décide d’y aller avec mon jean le plus confortable et mon t-shirt d’Indochine adoré. Je me regarde dans le miroir, satisfaite de mon look. Je m’accorde un sourire et descends déjeuner.

- Je l’aime ce chandail, commente mon frère en me pointant une fois que j'arrive dans la cuisine.

Je lui réponds par un sourire rempli de fierté.  

- Des jeans troués le jour de la rentrée?

Je me retourne vers ma mère pour faire fasse à sa remarque. Je lui lance une expression qui mélange interrogation et dédain.

- Parce qu’il faudrait que je m'habille chic pour la rentrée?

- Non mais peut-être faire un petit effort, propose ma mère nonchalamment.

- Je vais le porter toute l’année de toute façon. Qu’est-ce que ça change?

Ma mère hausse les épaules puis retourne à sa routine matinale.

Maryse, ma mère, est avocate alors le prestige et l’élégance, c’est très important pour elle. Elle se permet parfois de passer des commentaires sur mon linge mais elle ne m’oblige jamais à rien, et chaque fois, je laisse couler. Elle est d'ailleurs d’une élégance remarquable ce matin avec son pantalon ajusté et son joli tailleur.

Je me dirige vers le congélateur. Pas le temps de prendre quoique ce soit que  mon frère passe par-dessus moi pour attraper la boîte de gaufres à toute vitesse.

- T’es mieux de m’en laisser espèce de porc, lui lancé-je mi-blagueuse, mi-sérieuse.

- Relaxe Saga. Il en reste encore plein.

Saga est le petit surnom que seuls les membres de ma famille me donnent. Quand nous étions petits, mon frère avait de la difficulté à dire mon nom. En fait, tous ses R sonnaient comme des G. Alors, il m’appelait Saga. Avec le temps, il a fini par améliorer son parlé et sa prononciation est devenue normale. Heureusement. Ni lui, ni moi avons souvenir de cette période où il ne savait pas dire ses R. C’est ma mère qui nous l’a raconté. Elle m’appelait souvent Saga et un jour je lui ai demandé d’où elle sortait ce surnom. Elle nous l’a expliqué et depuis, elle et mon frère m’appellent souvent ainsi. Surtout mon frère en fait. J’adore ce petit nom. Il est vraiment mignon et il m’attendrit chaque fois que je l’entends. Il n’y a qu’eux qui m’appellent comme ça.

Il fait déjà un soleil éclatant dehors. Je suis malheureusement prise pour prendre mon déjeuner avec un rayon de soleil me percutant la rétine.

Après avoir avalé nos gaufres, mon frère et moi partons pour l’école à pied. Le chemin se fait facilement. C’est quelques pas, nous n’avons qu’à traverser un petit boisé. Nous nous dirigeons chacun vers notre casier. Nos amis ne sont pas encore arrivés. Le bon ami de mon frère, William, est en couple avec ma meilleure amie, Rose. Je me tiens avec elle depuis que nous sommes en secondaire deux. Puisqu’Émile était tout le temps avec William et moi avec Rose, on les a fait se rencontrer et à notre plus grande surprise, ils ont fini par tomber amoureux. Leur union vient tout juste d’avoir un an. Donc, on se tient souvent ensemble. L’année dernière, il y a eu une nouvelle dans notre classe, Flavie. Elle s’est vite jointe à notre bande.

Mon frère m’accompagne à mon casier ce matin.

- Tu commences avec quel cours?

- Français, lui réponds-je en prenant mes cahiers.

- Mon coeur!!!

Une voix féminine crie derrière moi. Je me retourne. Rose se dirige vers nous, le sourire radieux. Je lui sourie à mon tour.

- Je suis tellement contente de vous voir, nous dit-elle en me prenant violemment dans ses bras.

- Moi aussi je suis contente de te voir.

Je suis sincère, mais j’essaye de ne pas trop montrer que son étreinte me fait mal. Rose est très affectueuse. En revanche, ses câlins me font souffrir, mais jamais je ne lui avouerai.

J'aime ma Rosie. Elle est comme un soleil. Quand elle entre dans une pièce, elle ne passe pas inaperçue. Son style extravagant fait sa marque de commerce. Elle a marqué le coup aujourd’hui avec sa veste paysanne rouge pétant.

- Tu as mis ton chandail rouge qui te va trop bien! lui fais-je remarquer en me déprenant de son étreinte.

- Ouiiii, je l’adore.

Nos styles sont aux antipodes. Rose est si raffinée et colorée tandis que moi je ne me casse pas la tête niveau vêtements. Je porte presque tout le temps les mêmes deux jeans évasés et des chandails amples majoritairement foncés. Je suis assez grunge, comme dirait ma mère.

William se joint à nous.

- Salut la gang.

- Aaaaah Wiiiill, tu as mis ton t-shirt gris qui te va trop bien, s’écrit Émile sur un ton qui se moque de moi.

- T’es con, répliqué-je en lui frappant l’épaule.

William regarde son ami sans comprendre.

- Oubli. Je faisais juste rire de ma sœur.

- Allo namour, l'accueille Rose.

- Salut ma belle.

Ils s’embrassent pendant plusieurs secondes. Émile et moi nous nous regardons et rions en silence.

- Okay, je me demande qui va réussir à manger l’autre en premier, me moqué-je.

- T’es jalouse? ironise William en se décollant de sa copine.

- Complètement jalouse. Je rêverais moi aussi de rouler une pelle à Rose.

Mon amie éclate de rire. William continue sur le même ton.

- On se fera une garde partagée.

- Cette conversation commence à devenir un peu trop polygame à mon goût, commente Émile.

Nous éclatons de rire.

La porte au fond du corridor s’ouvre sur Flavie qui arrive enfin.

- Hey! Flavinette, lui crie Rose.

- Salut, répond notre amie rouquine d’un ton enjoué en s'avançant vers nous.

Flavie semble parfois sortir d’une autre époque. Elle porte souvent des vêtements à carreaux qui font style années 1940. Comme en ce moment, elle a sur le dos une robe carreautée orange et noire. Elle possède même une casquette rétro. J’adore ce type de casquette. Ça lui va tellement bien. J’ai déjà voulu m’en acheter une, un jour, mais quand je l’avais essayée, c’était juste horrible sur moi. Je me contente de porter des tuques. Ça, c’est un chapeau que je porte bien.

- Ta robe est vraiment belle, commente Rose à notre amie.

- Merci ma chère, remercie cette dernière en levant sa casquette.

C’est alors qu’un gros sourire se dessine progressivement sur son visage. Elle s’écrit soudain :

- C’est notre dernière année !!!!

- AAAAAH !

Dans une hystérie collective, Flavie, Rose et moi, nous nous mettons à sautiller de joie comme des petites filles.

- Parlez pour vous, crache William affichant une moue faussement fâchée. Émile et moi ne sommes pas en secondaire cinq.

- On parle pour nous aussi, lui répliqué-je avec un clin d'œil.

Rose se précipite sur son copain.

- Oh pauvre chou! Qu’est-ce que tu vas faire l’année prochaine sans moi?

- Il va m’avoir moi, dit mon frère en se bombant le torse.

- Heureusement que tu seras là, frère d’arme, lui répond Will prenant des airs mélodramatiques à mourir de rire. Mais, sans l’amour de ma vie, je ne survivrai pas.

- Quelle atrocité, affirmé-je ironiquement.

- La piiire calamité, ajoute Flavie.

- Vous croyez, je ne partage pas votre avis, continue Émile.

Bon, nous voilà tous en train de réciter des répliques du film La mariée cadavérique. Seulement, William, n’étant pas du tout cinéphile, interrompt son jeu tragédien et nous regarde bizarrement, ne comprenant rien à ce que nous racontons. Malheureusement pour lui, nous sommes tous les quatre embarqués dans notre délire et continuons en coeur la réplique de monsieur Everglot.

- Ils pourraient être des aristocrates déchus, qui ont tout perdu, pratiquement à la rue. Tout comme vous, et moi.

Nous éclatons de rire sauf William qui demande des explications du regard.

- C’est dans La mariée cadavérique, finit par lui expliquer sa copine. Hey! On devrait tous se déguiser en personnages du film à l’Halloween.

- Tu penses déjà à l’Halloween? demande Émile moqueur.

Flavie ne partage pas l’enthousiasme de Rose.  

- C’est parce qu’on est trois filles et le film n’a que deux personnages féminins, disons, potables. Je n'ai pas envie de me déguiser en madame Everglot. Et ce serait un peu compliqué à trouver comme déguisement.

- En tout cas, moi je veux me déguiser en Émily, tranche Rose.

- Mais on avait dit que nos déguisements iraient ensemble cette année, se plaint William à sa chérie.

- Mais oui, justement! Toi tu te déguiserais en Victor. Ça serait tellement romantique.

- Hum Rose? T’as l’air d’oublier que Victor finit avec Victoria à la fin, lui fais-je remarquer en riant.

- Oh ouin c’est vrai, constate Rose déçue.

- De toute façon, s’exclame William, je ne connais pas ce film. On trouvera autre chose Rosichou.

- Daco.

Ils s’embrassent en guise de conclusion.

La cloche sonne. Nous nous séparons pour aller à nos cours respectifs. Flavie et moi restons ensemble, nous avons le même cours pour la première période.

Nous retrouvons notre professeure de français que nous avions eue l’année dernière ; Margot Charest. Ça me fait bien plaisir, j'adore cette enseignante. On a lu de très bon romans avec elle.

Avant qu’elle ne commence son cours, elle adresse quelques mots directement à Flavie.

- Mademoiselle Flavie! Me feriez-vous l’immense plaisir de retirer votre chapeau s’il-vous-plaît?
Le sarcasme mêlé à l’exaspération dans l’intonation de mon enseignante me fait vraiment rire.

Flavie me regarde une seconde et repose ses yeux remplis de défis vers Margot. Ça fait un an qu’elles sont en guerre (amicale) en ce qui concerne la foutue casquette de Flavie. Il est interdit de porter un chapeau en classe mais mon amie essaye toujours de contourner ce règlement. L’année passée, elle et la prof ont eu un débat interminable en plein pendant le cours en ce qui concerne le port du chapeau. C’était rendu un running gag dans la classe. Mais à chaque fois, Margot finissait par gagner, bien sûr. Malgré le fait que Flavie continue ses tentatives de garder son chapeau, elle ne se bat plus quand elle se fait prendre.

Elle soutient avec force le regard de notre professeure, en enlevant toutefois sa casquette. Margot lui sourit et hoche la tête en guise de remerciement, puis continue son cours comme si de rien était. Flavie me regarde ; je me retiens difficilement de rire. Elle me tire sa langue et nous redevenons sérieuses pendant que Margot présente son cours.

* * *


- Tu n’as pas de devoirs à faire?

- Pas plus que toi.

Mon frère est greffé à sa Nintendo Switch depuis qu’on est revenus de l’école. J’aimerais bien qu’il se pousse car j’ai une furieuse envie de jouer à Mario Bros.

- Tu serais supposé pourtant. Tu commences ton secondaire quatre. C’est la pire année. Tu vas rusher ta vie. T’as intérêt à commencer tout de suite. 

- Fous-moi dont la paix. Tu t’en es bien sortie alors ce sera la même chose pour moi.

- J’ai travaillé très fort tu sauras, l’agacé-je davantage.

- Je n’en doute pas Saga, répond-il sans quitter l’écran des yeux.

Évidemment, c’est partie perdue. Je lui donne deux petites claques affectueuses sur la cuisse et je quitte le salon. Émile ne bronche pas. Je vais rejoindre ma mère dans la salle de lavage. Ça sent le linge à plier bientôt. En effet, elle sort de la pièce avec un tas de vêtements propres qu’elle dépose sur le divan. Je m'approche pour commencer la séance de pliage avec elle.

- Émile, l’appelle ma mère. Tu veux bien nous aider?

L’air exaspéré, mon frère dérive la tête de la télévision puis lance :

- Il n’y a pas moyen d’avoir un petit moment tranquille?

Je ris dans ma barbe de le voir se faire déranger. Quand ce n’est pas par moi, c’est par maman.

- Ça fait deux heures que tu es là-dessus, rétorque notre mère, le petit sourire aux lèvres. Ça ne te ferait pas de mal de prendre une pause, mon loup.

Le pas traînant, Émile s’approche du tas de vêtements et commence à plier un chandail. J’ai beau me moquer intérieurement de mon frère, je suis tout de même consciente qu’il est d’humeur maussade à cause de notre père. On n’en parle pas souvent mais nos parents se sont séparés cet été. Notre père a quitté la maison, s’est trouvé un travail à Québec et s’est acheté une maison. En attendant d'emménager officiellement, il est dans un petit appartement. Nous n’y sommes jamais allés sous prétexte que ce logement était temporaire et qu’il n’était pas assez bien pour inviter ses enfants. Mon frère l’a pris comme un rejet officiel. Dans mon cas, j’essaye de ne pas trop avoir d’avis.

Durant notre enfance, notre père n’a pas été très présent pour sa famille donc, je me sens un peu coupable de me l’avouer, mais je ne ressens pas beaucoup de peine qu’il parte pour une autre ville. J’ai longtemps été beaucoup plus proche de ma mère. Enfant, elle était la meilleure mère du monde. Elle était là pour prendre soin de ses deux enfants. Je ne me rappelle même pas avoir senti qu’elle accordait plus de temps à mon frère qu’à moi. Elle faisait si bien son travail de mère que je n’ai pas eu besoin de faire un terrible two quand mon frère est né, c’est dire. Mon père était très rarement à la maison à cause du travail mais je n’ai pas ressenti de manque parental car ma mère était parfaitement dévouée à son rôle de maman. Par contre, depuis quelques années, notre complicité n’est plus aussi intense qu'avant. Je ne sais pas si c’est parce que je suis devenue adolescente ou parce que son travail l’occupe beaucoup. Mais nous sommes moins proches qu’avant, c’est un fait.

* * *


La salle publique est bondée d’élèves sur l’heure de midi. Nous avons heureusement trouvé un coin confortable sur la première marche. Je veux avancer mon devoir de français, mais Rose n’arrête pas de me parler. Au final, mon devoir prend le bord. Elle me raconte avec passion que malgré le fait qu’elle et William aient arrêté les cours de danse, ils se sont mis en tête d’inventer leurs propres chorégraphies.

- C’est dont ben cool, m’exclamé-je. Alors, vous allez concrètement vous remettre à la danse?

- Pour l’instant on vient de lancer l’idée mais on a l’intention qu’elle finisse par ne plus être qu’une parole en l’air.

William vient justement nous rejoindre.

- Émile m’a raconté ça, dit-il en s’assoyant près de nous. Votre père est vraiment cave.

C’est quoi cette manière de s’incruster dans une conversation?

- Tu parles du fait qu’il parte vivre à Québec? lui demandé-je contrariée par son jugement.

J’ai beau ne pas avoir un lien très profond avec mon père, voir William se permettre de l’insulter alors qu’il ne le connait même pas m’est insupportable.

- Oui. C’est vache et ce con...

- Will, le coupé-je. Émile peut te parler en mal de notre père autant qu’il le veut, c’est son droit. Mais j’apprécierais que tu ne parles pas en mal de lui devant moi s’il-te-plait.

- Tu trouves pas ça bitch ce qu’il vous fait?

- La question n’est pas là. Fais juste ne pas insulter mon père. C’est une question de respect.

- Okay, concède-t-il en haussant les épaules.

Je me replonge dans mon cahier de français pendant que Rose et William se mettent à discuter à côté de moi.

Émile a probablement raconté à William le dernier moment que nous avons passé avec notre père. La semaine dernière, nous avons passé une partie de l’après-midi avec lui. Il voulait nous voir avant son déménagement. Cette journée a été des plus malaisantes. La rancœur de mon frère paraissait trop bien. Notre père nous a amenés dîner au restaurant et Émile est resté sur son cellulaire pas mal tout du long. À un moment donné, mon père a arrêté d’essayer de lui faire la conversation. C’était pénible. J’aurais voulu disparaître sous terre. Au moins, pendant la suite du dîner, mon père et moi avons presque réussi à oublier la présence d’Émile et nous avons bien discuté tous les deux. Comme l’humeur de mon frère était massacrante, on savait d’emblée que notre journée à trois se terminerait après le resto. Notre père nous a donc reconduits à la maison. Je ne pouvais pas croire qu’il allait officiellement partir à Québec trois jours plus tard. On s’est donné un gros câlin dans la cour avant qu’il ne remonte dans sa voiture et qu’il ne fasse définitivement plus partie de ma vie courante. Je savais déjà que j’irais chez lui à Noël mais je dois avouer que couper le contact avec lui de manière aussi crue me faisait un drôle d’effet.

Mon frère était déjà entré dans la maison tel un sauvage. Quand je suis entrée à mon tour, je ne l’ai pas ménagé.

- C’était quoi ça? lui ai-je craché. Si c’était pour avoir une attitude de merde, fallait pas venir.

- Maman m’a forcé à venir, m’a-t-il rétorqué.

Nous avons continué notre dispute. Moi, clamant la politesse et la paix tandis que lui m’expliquait le sentiment d’abandon qu’il ressent. Trop têtes de cochon, on ne voulait pas avoué qu’on avait tous les deux raison à notre façon. Ça s’est concrétisé avec un boudage qui a duré cinq minutes et le reste de la journée s’est déroulé comme si de rien était. Nous avons même fait une partie de Mario Kart dans le salon avant le souper. Le sujet « papa » n’est pas revenu sur le tapis.

Mon frère a dû raconter cette journée à William en disant à quel point notre père n’était qu’un gros hypocrite, qu’il faisait semblant de nous aimer avant de nous abandonner. Quelque chose dans le genre.

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