Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 1

  

 

1. Paralyzed
 

Novembre

Mon cadran vient tout juste de dépasser minuit. J’ai terriblement mal au ventre. Cette masse douloureuse m’empêche de trouver le sommeil. Elle est apparue vers dix heures trente, tout juste au moment où j’éteignais ma lumière de chevet. J’ignore pourquoi j'ai mal comme ça. J’aurais cru que ça passerait aussi vite que c’est apparu mais depuis deux heures, j’endure et je n’en peux plus.

J’ai passé la journée comme un zombie. J’ai appris aujourd’hui que Mathias s’est suicidé. Il s’est pendu, hier. Le premier novembre. Comment quelqu’un peut-il s’infliger ça? Jamais je n’aurais envisagé la possibilité qu’une personne que je connais puisse faire une chose pareille.

Jusqu’à maintenant, le suicide était une idée qui m’était complètement abstraite. Bien sûr, je savais que ça existait, mais je ne me suis jamais penchée en profondeur sur le sujet. Maintenant que j’y pense, je n’ai pas beaucoup écouté de films portant sur ce thème. La seule fiction qui me vient à l’instant est la série 13 Reasons Why, mais j’ai seulement regardé quelques scènes sans réel suivi ni attention.

Mathias. Nous étions de si bons amis à l’école primaire. On s’est éloignés avec les années, principalement car nous sommes allés dans des écoles secondaires différentes. Ça nous arrivait une fois de temps en temps de nous croiser dans la rue ou à l’épicerie. On s’accordait de petites salutations suivies parfois de courts échanges, mais ça doit faire facilement un an que je n’ai pas aperçu son visage.

Quand j’ai appris la nouvelle, je n’ai pas vraiment eu de réaction. De l’extérieur du moins. Je sentais mes émotions vives en moi mais elles ne sortaient pas. Comme si elles étaient prisonnières dans une pièce au fond de mon être d’où je pouvais les entendre et les sentir mais qu’elles ne pouvaient pas s’échapper.

Bordel, j’ai tellement mal au ventre. Je veux que ça s'arrête. Qu’est-ce que je devrais faire? Ce n’est pas un vulgaire Advil qui pourrait venir à bout de cette douleur. J’aurais envie d’aller voir ma mère pour qu’elle prenne soin de mon mal, qu’elle me sorte des solutions miracles de maman, mais je la connais,  elle serait hyper agacée que je la réveille pour rien. De toute façon, je ne sais pas quoi faire pour aller mieux alors qu’est-ce qu'elle pourrait faire de plus?

J’appelle info-santé sur un coup de tête.

Après quelques minutes d’attente, une voix féminine me répond et me demande la raison de mon appel.

- J’appelle parce que depuis environ vingt-deux heures, j’ai super mal au ventre et ça m’a pris d’un coup. Je ne comprends pas ce que j’ai et ça m’inquiète.

- D’accord, je vois. C’est où exactement que tu ressens la douleur?

Je mets une main où ça me fait mal malgré le fait qu’elle ne puisse pas me voir.

- C’est au milieu, vers le sternum je pense. Un peu plus bas en fait.

- Okay, est-ce que tu fais de la fièvre?

- Non.

La femme au bout du fil se met à me poser une liste de questions auxquelles je ne réponds jamais rien de concluant.

Avant qu’elle me dise ce qu’elle en pense, je me mets à penser que je fais peut-être une réaction au stress ou quelque chose dans le genre. J’ai quand même appris quelque chose de bouleversant aujourd’hui et je n’ai réagi d’aucune façon. Je n’ai pas pleuré, je n’ai pas paniqué… Je suis restée impassible. Je me demande si je pourrais être du genre à avoir des émotions qui ont peine à se manifester et qui donc, le font physiquement. Je tente mon hypothèse auprès de l’infirmière :

- Est-ce que ça se pourrait que ce soit du stress? proposé-je sur un ton plus ou moins assuré.

- Ce serait tout à fait possible. As-tu fait face à une situation stressante ces derniers temps?

- En quelque sorte… J’ai appris aujourd’hui… ben… quelqu’un que je connais s’est suicidé. On n’était pas vraiment proches mais on a déjà été des bons amis il y a quelques années.

Ça me fait bizarre d’annoncer cette nouvelle à quelqu’un. Je ne l’avais pas dit à haute voix encore.

- C’est très probable que ta douleur soit une réaction face à cette nouvelle, me répond la femme à l’autre bout du fils. D’autant plus que tu ne fais pas de fièvre et qu’il n’y a que de la douleur physique.

Ça me rassure un peu d’apprendre que je n’ai pas une maladie qui mute dans mon estomac. Je serais fière d’avoir su trouver moi-même la cause de mon mal mais avec cette douleur qui m’accable et le suicide de Mathias qui prend de plus en plus place dans mes pensées, je n’ai pas la tête à me lancer des fleurs.

- Est-ce que c’est la première fois que tu es confrontée à la mort? poursuit-elle.

- Oui.

En fait, quand j’avais sept ans, mon grand-père est mort, mais je ne le connaissais vraiment pas assez pour ressentir quoi que ce soit. Je ne peux pas croire que la première fois que j’ai réellement conscience de la mort d’un proche soit celle d’une personne de mon âge. Et un suicide en plus. C’est trop brutal.

- Il y a bien sûr quelque chose de stressant dans ce que tu vis, avance l’infirmière. Faire face à la mort n’est jamais facile et surtout une situation comme celle-là, ça fait un choc. Je t’offre toutes mes condoléances.

- Ah euh… merci.

Je ne m’attendais pas à recevoir des condoléances. Je ne faisais pas partie de ses proches.

- Tu es où en ce moment?

- Je suis assise dans mon lit, réponds-je.

- Est-ce que tu es dans le noir?

- Oui.

- Je te conseillerais d’allumer une petite lumière. Rester seule dans le noir fait que tu n’as pas d’autres distractions que tes pensées, ce qui peut augmenter ton stress.

Suite à son conseil, j’allume ma lampe de chevet. C’est épuisant. Je suis accablée par la fatigue. La noirceur reposait mes yeux, mais effectivement, le noir accentuait mon sentiment de solitude et de panique. Je ne faisais que m’imaginer le pire au sujet de Mathias.

- As-tu déjà entendu parler de la cohérence cardiaque? me demande-t-elle.

- Non.

- Ce sont des exercices de respiration qui peuvent aider à réduire le stress. Je te conseillerais d’en faire. Tu peux en trouver facilement sur YouTube. Je remarque que ta respiration est rapide…

Ah bon! Je ne trouve pas. Mais si elle le dit…

- Ces exercices pourraient t’aider à te calmer, continue-t-elle. Et du même coup, pourraient réduire ta douleur au ventre.

- Okay…

- Est-ce que tu t’es pris de l'ibuprofène aussi? Ça pourrait aider à calmer la douleur.

- Non mais je serais obligée de me lever pour y aller et j’ai vraiment mal.

- Il n’y aurait pas quelqu’un qui pourrait t’en apporter?

Je ne réveillerai certainement pas mon frère ou ma mère pour ça.

- C’est que tout le monde dort chez moi.

- Ah oui, je vois.

On dirait que ça l’embête. Je serais prête à parier que si elle était en face de moi, elle me dirait « Bouge pas, je vais t’en chercher ».

- Bon alors tu te lèveras que pour cette exception et ensuite repose-toi bien dans ton lit.

- Okay.  

- Est-ce que je peux faire autre chose pour toi?

- Non merci, je devrais être correct.

Au fond moi, je lui demanderais de rester en ligne pour ne pas rester seule mais ce n’est pas quelque chose que je pourrais demander.

- Alors, je te souhaite un bon rétablissement et encore toutes mes sympathies pour ton ami.

- Merci, lui réponds-je avec toute ma gratitude.

- Et si jamais… Oh excuse-moi, j’ai oublié de te demander ton nom. Comment tu t’appelles?

- Sarah.

- Et bien Sarah, n’hésite pas à rappeler si jamais la douleur n’est pas partie ou si tu as encore besoin de parler. Moi, je suis ici toute la nuit et j’ai d’autres collègues avec moi qui pourront t’aider.

- Okay, merci beaucoup.

- Ça me fait plaisir. Au revoir.

- Bye.

Je raccroche.

C’était vraiment rassurant d’avoir parlé à quelqu’un. Cette femme était tellement douce et compréhensive. Je regrette de ne pas lui avoir demandé son nom moi aussi.

Je me lève de peine et de misère pour aller me chercher un Advil. La douleur est tellement plus intense debout. Je marche comme une vieille peau. Je dois avoir l’air pathétique.

Une fois retournée dans mon lit, je mets en place les conseils que l’infirmière m’a donnés. Je m'assois le plus droit possible. Je cherche sur YouTube « cohérence cardiaque » et clique sur la première suggestion de vidéo.

Finalement, ça se résume à prendre de grandes respirations profondes et au même rythme.

Après environ trente minutes, je commence à cogner des clous. J'éteins ma lampe de chevet et me couche en petite boule, sur le côté, presque sur le ventre. J’arrive enfin à me reposer...


Commentaires

  1. C’est captivant! J’ai hâte de lire la suite! Merci pour ce partage!

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  2. J’attends la suite avec impatience

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