Critique : Sans eux

 

Titre : Sans eux

Auteur(e) : Emilie Turgeon

Édition : de Mortagne

Nombre de pages : 360

Résumé :

« Dans la nuit du 14 au 15 avril sont tragiquement décédés Myriam Labonté et Antoine Dubois… »

Mes parents sont morts. Leur départ inattendu me frappe de plein fouet et je n’arrive pas à m’y faire. Pourtant, je n’aurai pas le choix. Je dois me montrer fort, ne serait-ce que pour mes petites sœurs.

« Ils laissent dans le deuil… »

Le deuil. C’est quoi, au juste? C’est moi qui pleure constamment? C’est Océane qui devient agressive? C’est Coralie qui ne prononce plus un mot? C’est tous ces gens qui débarquent dans notre vie en croyant avoir le droit de nous dire quoi faire?

Mes parents sont morts, d’accord, mais moi, je suis toujours là. Et il est hors de question que je permette à quiconque de nous envoyer dans des familles d’accueil différentes.

Je ferai l’impossible pour que nous nous en sortions… sans eux.

À la suite d’un événement perturbant, comme une rupture ou la mort d’un être cher, on vit un deuil. Bien que largement étudiées, les réactions à cet état demeurent imprévisibles et variées, surtout chez les enfants et les adolescents. Si le temps reste le meilleur remède, parfois il ne suffit pas, et une aide professionnelle est nécessaire.

Avis :

J’étais tellement heureuse de voir que la collection Tabou publiait enfin un roman sur le deuil. Malheureusement, ce livre passe à côté de beaucoup d’éléments. Il survole son sujet et lui enlève beaucoup de réalisme. 

Dans les faits, ce n’est pas un roman sur le deuil, c’est un roman sur devenir orphelin. Parce qu’en ce qui concerne les difficultés sur le fait de tomber soudainement orphelin, tout y est bien représenté. Bon c’est sûr que ça fait passer les parents pour de vrais irresponsables. Quels parents de trois enfants mineurs ne prennent pas la peine de faire un testament assurant l’avenir de leurs enfants en cas de décès? Déjà, l’intrigue débute sur de mauvaises bases. D’autant plus qu’on la voit venir assez vite la solution. Dès le chapitre 3, Maxime se fait assurer par l’amie de sa mère qu’elle ne laissera jamais la DPJ le séparer de ses soeurs. Cependant, hormis ces gros détails, les difficultés que vit Maxime concernant la précarité qu’amène cette situation sont très prenantes. Maxime n’est qu’un ado et c’est facile de se laisser aller dans les scénarios angoissants, surtout quand on vit un drame aussi épouvantable. L’angoisse de Maxime sur son avenir, ce qu’il fera sans parents, ce qu’il adviendra de ses sœurs, les solutions auxquelles il réfléchit, c’est très prenant tout au long du livre. Par contre, tout ça n’a rien à voir avec le deuil. Ces éléments prennent presque toute la place dans le récit au point d’en étouffer ce qui devrait être le sujet principal.

J’ai eu de la misère avec les personnages. Maxime particulièrement est très condensant et à la plainte facile. Il méprise l’enseignante de ses sœurs, la brigadière, le thanatologue, le célébrant, et toutes sortes de petits éléments ici et là. On pourrait mettre ça sur la faute du deuil mais on sent que c’est dans sa personnalité. On retrouve aussi ce tempérament chez sa mère. Elle qui méprise sur un ton passif-agressif une serveuse qui n’a rien fait de mal. Avec une femme qui se frustre à rien de cette manière, ça ne m’aide pas à me sentir triste au moment de sa mort. 

Maxime méprise également les gestes symboliques. Ce qui est très contradictoire pour un roman sur le deuil. Ces éléments sont essentiels lors d’une perte. Ça me désole beaucoup. Il aurait été judicieux de montrer les protagonistes trouver du réconfort dans les funérailles, les rites, les symboliques… Mais les funérailles dans ce roman sont dépeintes de manière très négative. Travaillant dans un salon funéraire, je tiens à mentionner que les représentations au sein de ce roman sont très majoritairement fausses. Dans Sans eux, on introduit le salon funéraire comme un endroit qui donne la chair de poule, alors que c’est supposé être un lieu propre au recueillement et à l’ambiance chaleureuse. On dépeint les employés comme des abrutis irrespectueux, caricaturaux et qui veulent juste faire de l’argent sur le dos des endeuillés. Les urnes sont vues comme des contenants incroyablement glauques, alors qu’il s’agit que de boites à l’esthétique variée et même souvent très artistique (je le sais, j'en vois toutes les semaines). La cérémonie est « débile » parce que le célébrant ne connaît pas les défunts. Évidemment. Qui d’autre qu’un célébrant peut faire le travail d’un célébrant? Maxime aurait été meilleur peut-être? Tout n’est que plainte de la part de Maxime. C’est très lourd et rempli de mauvaise foi. D’autant plus que les organisateurs des funérailles, ce sont Maxime et sa tante. Alors si les funérailles sont si exécrables aux yeux de l’adolescent, il est le seul à blâmer. Il aurait dû prendre les choses en main pour organiser des funérailles qui lui plaisent au lieu de gémir. Son mépris continue même à l’enterrement à la fin du roman. Il dit : « C’est peut-être un truc qui apparaît quand on vieillit, le besoin de rites, d’événements symboliques. De foutues traditions en noir et blanc. » (p. 342). Il ne prend même pas la peine d’expliquer à ses jeunes sœurs l’importance du moment. Il les laisse s’ennuyer et avoir hâte de partir. Il a même empêché ses sœurs d'assister aux funérailles. Comment peut-on empêcher des enfants de huit ans d’assister aux funérailles de leurs parents? Peut-être que les filles ne voulaient pas assister aux funérailles. Okay, pas de problème. Mais Maxime aurait dû leur demander ce qu’elles voulaient au lieu de décider à leur place. 

Maxime crache sur toute la compassion qu’on lui donne. Pour avoir vécu un deuil sans aucune aide, je trouve ça particulièrement frustrant de voir un personnage mépriser les gens qui lui offrent leur compassion. Il ne voit pas la chance qu’il a dans sa malchance. J’ai particulièrement été agacée par sa haine démesurée pour le mot « condoléances ». Il le déteste sous prétexte que c’est une formule toute faite qui ne veut rien dire. En fait, chaque mot détient sa signification « toute faite ». Le mot « condoléances » a justement une définition parfaite. Voici celle du Larousse : « Témoignages de regrets, de participation à la douleur d’autrui, en particulier à l’occasion d’un deuil ». Ça veut tout dire, non? Qu’il existe un mot exprès pour exprimer ça, c’est génial. Vive la langue française. 

Bien que le deuil soit survolé, le roman ne passe pas à côté d’une foule d’émotions. J’aime bien le fait que les jumelles aient des personnalités qui se complètent. Dans leur deuil, Coralie se referme sur elle-même et Océane devient agressive. Je crois cependant qu’il aurait été plus judicieux de rendre Maxime moins agressif, car il le paraît bien plus que sa sœur. Et on aurait pu mieux développer les sentiments des filles. J'aurais bien aimé qu'elles prennent plus de place au sein de l'histoire. La tante Sonia est très émotive et fait tout ce qu’elle peut pour être forte. C’est un des personnages les plus réalistes. Les voisins slash amis des parents sont géniaux. Jean-Marc et Mila sont de vraies perles. Ils dégagent une présence rassurante tout à fait nécessaire dans les circonstances. 

Un personnage par contre qui m’a vraiment fait grincer des dents, c’est Olive. Elle se force dans l’intrigue, s’incruste dans la vie de Maxime comme s’il ne pouvait pas se passer de son aide sous prétexte qu’elle est orpheline elle aussi. Le pire c’est qu’elle affirme pouvoir se mettre dans la peau de tout le monde, sauf de son père parce que c’est « juste un gros con égoïste » (p. 171). Très blessant considérant le fait qu’elle a cette opinion de son père parce qu’il s’est suicidé. Pour une fille qui clame sa grande empathie et son envie de devenir psychologue, c’est très contradictoire. J’ai de la misère à voir ce passage comme autre chose qu’une pique gratuite envers les suicidaires. D’autant plus que ça n’apporte absolument rien à l’histoire. Le père d’Olive aurait pu mourir d’une crise cardiaque que ça n’aurait rien changé. Pour avoir connu une personne proche de moi qui s’est suicidée, j’ai trouvé ce passage très blessant. Olive apporte tout de même quelques bons conseils à Maxime et lui fait ouvrir les yeux sur certains aspects de sa situation. Ça aurait juste été plus agréable qu’elle n’agisse pas comme si elle détenait la vérité absolue tout en étant incroyablement arrogante. 

Le deuil de Maxime et ses sœurs se termine après un mois. Ça va contre toute forme de réalisme. J’ai sept ans de plus que Maxime et si je devais perdre ma mère subitement du jour au lendemain, je ne m’en remettrais clairement pas après deux mois. Je serais encore au stade de m’enfermer dans le noir de ma chambre à me laisser consumer par la douleur. Maxime enterre ses parents deux mois après leur décès. Il est en paix, il est heureux, enfin prêt pour faire le party et embrasser sa nouvelle blonde. Je trouve ça triste que le deuil soit aussi expédié dans un roman supposé être centré sur le sujet. C’est dommage parce que l’histoire avait un gros potentiel.

Commentaires

  1. Tes commentaires sont tellement pertinents. J’ai lu ce livre et je suis tout à fait d’accord avec toi. Il y a beaucoup de condescendance chez le personnage principal ce qui est très agaçant selon moi. Dans un livre sur le deuil, j’aurais cru y trouver plus de chaleur et de compassion. Belle critique Corinne!

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