Analyse critique : Maria Chapdelaine
Titre : Maria Chapdelaine
Résumé :
Il
aura suffi d'un court séjour dans un coin de pays récemment ouvert à la
colonisation pour que Louis Hémon propose une nouvelle interprétation
du drame du peuple canadien-français, « l'éternel malentendu entre deux
races » : les nomades et les sédentaires. Le roman met en conflit deux
tendances irréconciliables, celle qu'incarnent François Paradis,
l'aventurier, et le père Chapdelaine, et celle dont la mère de Maria est
la meilleure représentante, avec Eutrope Gagnon, son allié. Quant à
Lorenzo Surprenant, sa positon d'exilé le disqualifiait aux yeux de
l'héroïne, de même qu'une trop grande témérité a éliminé de la course
amoureuse François Paradis. Pour qu'une race persiste et se maintienne,
selon Hémon, il lui faut se fixer à demeure, prendre feu et lieu. Publié
en feuilleton, à titre posthume, dans un quotidien parisien, Maria
Chapdelaine paraît en volume à Montréal en 1916, puis à Paris en 1921,
inaugurant chez Grasset la célèbre collection « Les Cahiers verts ».
Cette tragique histoire d'amour qui se déroule à Péribonka a été adaptée
à la scène, au cinéma et pour la télévision. On compte jusqu'ici plus
de 150 éditions de ce chef-d'oeuvre de la francophonie qui a été traduit
dans 25 langues.
Avis :
J'ai été initiée à l'histoire de Maria Chapdelaine avec sa toute dernière adaptation ; le film de 2021, réalisé par Sébastien Pilote. Globalement, j'ai trouvé que c'était un bon film. Les paysages sont magnifiques. L'ambiance coloniale y est bien représentée. Les acteurs sont très bons et on sent une bienveillance, un amour pour l'histoire racontée. Malgré tout, je dois avouer que je me suis un peu ennuyée devant ce film. Le rythme est lent et les personnages ne sont pas les plus volubiles qui soient. Ils sont tous très calmes, très posés, comme s'ils avaient peur de parler. L'exemple le plus frappant est dans la scène de la fête où les personnages débattent sur le mode de vie qu'ils considèrent le meilleur ; la ville ou la campagne. Dans cette scène, on a accès à un débat d'opinions très intéressant à suivre. Tout le monde a sa vision. Pour Lorenzo, il est mieux de vivre en ville. Pour Laura, rien ne vaut une bonne terre. Chacun défend son point avec de bons arguments. Cependant, le débat n'a pas beaucoup de ferveur. On dirait que tout le monde est gêné. Malgré un échange d'opinions relativement passionné, j'ai senti beaucoup de retenue de la part des personnages.
J'ai ensuite lu le livre. Le premier élément qui m'a marquée durant ma lecture est à quel point le film de 2021 y était fidèle. J’avais l'impression de revoir le film tel quel. Il ne manque pas une scène, ni une ligne de dialogues. Les scènes se déroulent dans le bon ordre, aux mêmes endroits. Mais contrairement au film, j'ai bien aimé le livre. Même si le livre est presque pareil au film, il y a quelques détails que le film n'a pas pu rendre, tout simplement car il n'est pas un livre, et qui font que, pour moi, le livre est bien meilleur. Le premier détail est que le livre donne accès aux pensées de Maria. Maria est un personnage très effacé et discret. Elle est timide et ne parle que très rarement. Ce qui fait que pour un film, elle est un personnage assez fade. Le spectateur ne peut pas la connaître puisque le film ne donne pas accès à qui elle est. Le livre par contre, le permet. Possédant une narration omnisciente, il entre dans les pensées de Maria, ce qui fait qu'on peut la connaître, savoir ses opinions, comment elle se sent, etc. Quand j'ai écouté le film, je ne voyais qu'une Maria silencieuse qui se fait proposer des demandes en mariage, sans qu'on sache ce qu'elle pense, pour finalement, connaître brièvement son choix à la toute fin. Son amour pour François était à peine perceptible et l'opinion qu'elle portait sur Lorenzo et Eutrope était impossible à déchiffrer. Mais en lisant le livre, j'ai pu la suivre dans son amour pour François, dans son espérance profonde de le voir revenir du bois et de le marier au printemps. J'ai pu la suivre dans sa peine et son deuil. Le film, par contre, donne à peine accès à ses sentiments. La seule fois où on la voit réellement pleurer, l'actrice est filmée de loin et de dos. On aurait dit que le film se voulait d'être le plus froid possible. Ensuite, lorsque Lorenzo et Eutrope proposent chacun à Maria un mariage et un style de vie, on ne connaît pas du tout ce qu'elle en pense.
En lisant le livre, j'ai été surprise de connaître le cheminement des pensées de Maria. Elle prend le temps de réfléchir à ce que chacun des garçons lui offre. On la surprend même à vouloir suivre Lorenzo à la ville car elle ressent de l'ennui pour la vie à la campagne. Je n'aurais jamais cru ça d'elle en ne voyant que le film. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai vraiment préféré le livre ; je me suis sentie bien plus proche de Maria et j'ai aimé la suivre dans ses pensées.
Le deuxième détail est que j'ai trouvé le livre plus dynamique. Je prendrai, par exemple, les paysages. Dans le film, lorsqu'on nous présente un paysage, on le voit, et c'est tout. C'est très contemplatif. Mais dans le livre, lorsqu'on voit un paysage, la narration prend le temps de le décrire. L'écriture, son style, la réaction des phrases, ça rend le tout plus dynamique, selon moi.
Il y a tout de même quelques petits points qui ne pouvaient pas être retranscrits tel quel dans le film mais qui améliorent la dynamique de l’histoire à mes yeux. La narration du livre nous donne quelques informations sur la vie des Chapdelaine. Elle nous explique, par exemple, pourquoi leur cheval s'appelle Charles-Eugène. Dans le film, comme il n'y a pas de narration, l'information n'a pas le choix d'être diffusée par un des personnages. De plus, il y a la petite sœur, Alma-Rose, qui a droit à quelques répliques supplémentaires dans le film pour que certaines informations soient diffusées. Cela permet de rendre le personnage un peu plus présent et plus sympathique que dans le livre.
Quant au film de 1983 avec Carole Lord, j'ai été perturbée de voir à quel point ce film prend des libertés sur le livre. D'abord, il ajoute un prologue incroyablement long qui ne se trouve pas du tout dans le livre. Sincèrement, je me suis demandée l’utilité de cette rallonge. Le film modifie énormément l'histoire. On aurait dit que le livre a été secoué dans tous les sens et qu'avec le fouillis que ç'a produit, ils en ont fait un film. Les dialogues se disent à des moments aléatoires dans l'histoire. Laura meurt bien avant François alors que dans le livre, c'est elle qui meurt bien après lui. Je n'ai pas saisi ce changement. Pourquoi inverser les événements de l'histoire? D'autant plus que dans le livre, lorsque Laura tombe malade, Eutrope est présent pour aider les Chapdelaine. Ainsi, on indique qu'Eutrope est le seul homme présent pour Maria. François est mort et Lorenzo est à Boston. C'est un élément qui appuie un peu le fait que Maria choisit Eutrope à la fin. Dans le cas du film, la mort de Laura n'apporte pas grand chose. Et bien sûr, Eutrope n'est pas là. Dans cette version, il n'est pas une bonne personne et François est encore vivant.
Je n'ai rien contre les libertés d'adaptation. Cependant, dans ce cas-ci, elles n'apportent rien de pertinent, ou bien elles étaient mal choisies. D'abord, les personnages sont beaucoup trop vieux. Maria et les prétendants sont supposés être des jeunes qui sortent de adolescence ou bien qui sont dans le début de la vingtaine. Pourtant, dans le film de 1983, les acteurs sont tous dans la fin trentaine ou la quarantaine. C'est beaucoup trop vieux. D'autant plus que Maria a des jeunes frères et sœurs qui sont enfants. Et Carole Lord, l'actrice jouant Maria, avait trente-cinq ans au moment où le film a été tourné. Le film de 2021 a des acteurs qui correspondent beaucoup mieux aux âges des personnages.
Ils ont ajouté un personnage féminin qui est amoureuse d'Eutrope et finalement, elle ne sert pas à grand chose. La seule utilité que je lui vois est qu'elle permet de rendre Eutrope encore plus antipathique. Ce qui est assez décevant en fin de compte.
Il y avait tout de même quelques ajouts que j'ai appréciés. Le film ajoute quelques petites interactions entre Maria et ses jeunes frères et sœurs, ce qui crée une belle dynamique familiale. Un ajout que j'ai notamment apprécié concerne la mort de François Paradis. Dans le livre, elle se déroule hors champs. On apprend sa mort en même temps que les personnages, au moment où Eutrope vient l'annoncer et raconter ce qui s'est passé. Dans le film de 1983, on voit François partir dans les bois et mourir de froid à petit feu. Ça crée une proximité avec le personnage et cela nous permet de mieux ressentir les émotions qui viennent avec cette perte.
Concernant les autres libertés prises sur le livre, je ne les ai pas du tout aimées. En commençant par ce qu'ils ont fait d'Eutrope Gagnon. Ils l'ont fait passer pour un homme extrêmement ennuyant et frustré. Il met de la pression sur Maria pour qu'elle le marie. Il est antipathique avec elle. Son intérêt pour la jeune femme a plus des airs d'obsession que d'admiration. Pour Lorenzo Surprenant, ce n'est pas mieux. Il est montré comme étant assez ennuyant lui aussi. J'ai la forte impression que le film de 1983 a voulu embellir François Paradis et désavantager Eutrope et Lorenzo. Je ne suis pas fan de cette modification. Le livre avait comme objectif de dépeindre différents modes de vie. Remettre en question la vie sur la terre sans la diaboliser. Chaque point de vue était représenté par un personnage. C'est principalement les rôles que jouaient les trois prétendants. L'histoire n'en privilégiait pas un plus qu'un autre. Tous les points de vue était présentés, et il en revenait au lecteur de se faire sa propre opinion. Or, le film de 1983 a défait ce concept pour créer une romance idéalisée où les deux autres prétendants jouent presqu'un rôle d’opposant à cette romance. Pourtant, dans le livre, aucun des trois garçons ne mettaient de pression sur Maria. Oui, ils désiraient tous se marier avec elle et ne se gênaient pas pour lui montrer leurs intentions et faire leurs offres. Mais le tout se faisait dans la gentillesse et le respect. Ils attendaient patiemment que Maria fasse un choix. Le film de 2021 retranscrit cet état d'esprit, mais celui de 1983 fait passer Eutrope pour un frustré ennuyant et Lorenzo pour un homme tout aussi ennuyant et qui méprise les gens de la campagne. Il est vrai que, dans le livre, Lorenzo ne comprend pas les gens de la campagne et leur dit ce qu'il pense de ce mode de vie, mais il le fait poliment, sans mépriser personne. Il dit surtout que pour lui, personnellement, cette vie ne lui convient pas et qu'il est bien mieux à la ville. Alors que le Lorenzo de 1983 déballe ses opinions sur un ton fâché, comme pour montrer que ceux qui ne pensent pas comme lui sont dans l'erreur. On dirait vraiment que le film voulait faire passer les deux autres prétendants pour des hommes antipathiques pour qu'ils servent de faire valoir à François Paradis. Ce dernier a justement été embelli par rapport au livre original. On passe plus de temps sur lui. Il est joué par un acteur beaucoup plus beau que les deux autres. Si je compare à la version de 2021, François Paradis n'a pas des allures de sexe symbole. Les trois garçons s'équivalent malgré leurs différences. Il n'y en a pas un que le film veuille privilégier plus que les autres. Les trois jeunes ont une vision de la vie qui leur est propre et l’histoire les traite également.
Le livre se termine avec Eutrope qui va rejoindre Maria, et cette dernière lui promet qu'elle le mariera le printemps après ce printemps-ci. La fin est un peu sèche. Le livre ne donne pas accès à l’expression des personnages, ni à leur intonation. Avec les images et le jeu d'acteurs, les films apportent leur identité à ce passage. J'ai beaucoup aimé l'interprétation de la version 2021. Dans ce film, Eutrope, joué par un Antoine-Olivier Pilon aux airs très sympathiques, vient voir Maria. Il lui demande gentiment où elle en est dans ses réflexions. Elle lui répond par la même réplique qui se trouve dans le livre. Ce que le film amène de nouveau, est le doux regard que les deux jeunes se partagent ainsi que leurs sourires complices. J'ai trouvé cette touche vraiment mignonne et adorable. Elle indique que même si Maria était amoureuse de François Paradis, elle accepte l'offre d'Eutrope car il a toujours été gentil avec elle et présent pour sa famille, puis il lui offre une terre qui lui permettra de rester près de sa famille.
Dans le film de 1983, l’atmosphère est complètement à l'opposé. Maria donne sa réplique à Eutrope, exactement la même que dans le livre, mais avec une face d’enterrement et un ton très monotone, et ce, sans même regarder Eutrope. Elle semble incroyablement découragée de la vie, comme si accepter ce mariage était une fatalité. J'ai trouvé cette fin très défaitiste et déprimante. D'autant plus que la scène se situe dans un lieu différent que celui du livre et je ne comprends pas ce changement. Comme la majorité des autres chargements qu'amène le film, ils n'apportent rien.
En conclusion, Maria Chapdelaine est un bon livre révolutionnaire pour son époque. Contrairement aux autres œuvres de son temps, il apporte des nuances concernant la vie sur la terre. Il montre que différents modes de vie sont possibles, que ce soit la ville, la campagne, ou la vie des coureurs des bois, et que chacun d'entre eux ont leurs bons et mauvais côtés. La famille Chapdelaine ainsi que les trois prétendants de Maria représentant ces choix de vie. Le film de 2021 reprend très fidèlement l'histoire mais le livre reste meilleur puisque la narration rend l'histoire un peu plus dynamique et permet notamment une bien plus grande proximité avec l'héroïne. Pour ce qui est du film de 1983, il prend énormément de libertés, loin d'être toujours pertinentes, le tout enveloppé d'un ton moralisateur très décevant qui n'apparaît pas dans le livre. En tant que littéraire Québécoise, je suis contente d'avoir lu ce classique québécois. D’autant plus que l'histoire a bien vieilli.
Comme petite note finale, j'aimerais revenir sur un passage du livre (et du film de 2021) qui m'a beaucoup marquée. Durant une grosse journée de travail sur la terre, l'employé des Chapdelaine se lance dans un monologue sur le travail et les jeunes, affirmant que les jeunes d’aujourd’hui ne savent ce qu'est le vrai travail difficile et que lui, quand il était jeune, il a réellement connu la misère. Notons que pour lui, « aujourd’hui » c'est le début du vingtième siècle. Comme quoi ce discours ne date pas d'hier. Ce passage est bien la preuve que toutes les générations affirment que la nouvelle génération ne connaît pas ce que c'est de travailler dur. Pourtant, quand je vois les jeunes dans Maria Chapdelaine qui ont à peu près mon âge, je trouve leur vie difficile et je me trouve vraiment chanceuse de vivre à mon époque. Ce livre remet beaucoup de choses en perspective. On se plaint que la vie d'aujourd'hui est difficile mais pensons un peu à nos ancêtres qui ont défriché des kilomètres de terres durant des années pour qu'on puisse avoir la vie qu'on a aujourd'hui. Ces gens, je les admire, et je me considère chanceuse de vivre à une époque qui avouons-le, est beaucoup plus facile à vivre que celle du début du vingtième siècle. Oui, notre époque a ses difficultés et ses désavantages, mais je n'irais certainement pas me plaindre à la famille Chapdelaine.
C’est intéressant de pouvoir comparer trois œuvres du même titre! Gros travail.
RépondreSupprimer