Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 23

23. Trauma
Avril
Je suis dans une salle bondée de monde. C’est la fête, l’effervescence est dans l’air. Je ne pourrais pas dire si nous sommes dans un bar ou dans une maison privée. À ma droite, des gens discutent d’un film que j’ai bien aimé.
- Hey! Il est super bon ce film.
Personne ne fait attention à mon commentaire. Je ne dois pas parler assez fort. Il est vrai que c’est bruyant ici.
- Je suis tellement d’accord, dis-je plus fort suite au commentaire d’un des membres du groupe.
Ils ne m’entendent toujours pas. Ils ne me voient pas non plus même si je ne suis qu’à un pouce d’eux.
C’est frustrant. Je m’éloigne donc. J’aperçois Rose à quelques mètres. Je lui envoie la main et lui cris :
- Rose! Enfin quelqu’un que je connais! Comment tu vas?
Elle non plus ne me voit pas et ne m’entend pas.
- Rose bordel, je te parle.
Elle ne fait toujours pas attention à moi. William sort tout à coup de nulle part et Rose se jette dans ses bras. Ils partent à travers la foule et je les perds de vue.
C’est alors que je vois Mathias adossé à ce qui semble être un comptoir ou un bar. Je me précipite vers lui, trop émue de le revoir.
- Oh mon dieu, Math! Je suis tellement contente de te voir. Qu’est-ce que tu fais ici? Comment tu vas?
J’arrive en face de mon vieil ami et lui non plus ne m’accorde aucune attention, comme si j’étais invisible. Un garçon que je ne connais pas s’approche de nous. Lui et Mathias se saluent et entament une conversation.
- MATHIAS! lui crie-je, ne supportant pas qu’il m’ignore.
Je commence sincèrement à me sentir blessée d’être ignorée de la sorte. Je me mets à errer sans but dans la pièce. C’est alors que je passe devant un miroir accroché au mur. La terreur me frappe de plein fouet quand je remarque l’inexistence de mon reflet dans la glace.
Je me réveille le cœur battant à toute allure. Une chance que je me suis réveillée, j’allais mourir de peur. Je regarde l’heure : deux heures cinquante-cinq.
Je tente de me rendormir.
Je suis encore dans cette pièce où la fête est à son paroxysme. Je ne cherche plus à m’intégrer, je sais que personne ne me voit, ni n'entend. Je tente par tous les moyens d’éviter les vitres et les miroirs. Ce serait trop effrayant de revoir que je n’ai aucun reflet. Je déambule à travers les gens qui m'ignorent, comme si je savais qu’il n’y avait aucun moyen de partir d’ici. Mon regard retombe malgré moi sur le miroir. Contrairement à ce que je m’attendais, il me renvoie mon reflet. Mais le soulagement n’a pas le temps de se faire ressentir lorsque je remarque une grosse cicatrice rouge sur mon cou.
J’ouvre brusquement les yeux et agrippe instinctivement mon cou avec ma main. Ce dernier est finalement très lisse. Pas la moindre trace de cicatrice récente. Évidemment.
Il est six heures cinquante-sept.
Je sors de mes draps et m'assois sur le bord de mon lit. Les pieds sur le plancher froid, le visage dans mes mains, je prends le temps de me remettre de ces rêves tumultueux.
C’est mon premier rendez-vous chez la psychologue aujourd’hui.
Après les cours, je marche en direction du cabinet.
- Tu vas où? me demande mon frère, surpris de me voir partir dans une direction opposée à celle de la maison.
- J’ai un rendez-vous avec une psy.
- Sérieux? C’est cool.
Je lui fais un petit sourire suite à sa réaction qui me plait bien.
- Bon rendez-vous alors, fait-il avant d’entamer sa marche.
- Merci.
Le chemin se fait plutôt bien. J’entre dans la bâtisse et m’assoie dans la salle d’attente.
Une porte s’ouvre au bout du corridor. Une femme blonde, dans la fin trentaine je dirais, apparait dans l’embrasure de la porte.
- Sarah? m’appelle-t-elle.
- Oui.
Elle me sourit.
- Bonjour. Tu peux venir t'asseoir.
Je me lève donc pour la rejoindre dans son bureau. Elle s’assoie sur son fauteuil et m’invite d’un geste de la main à m’installer sur le divan en face d’elle.
- Comment vas-tu? me demande-t-elle de sa voix douce en croisant les jambes.
- Ça va.
Ça va tout croche. Je suis déprimée, parfois fâchée, seule au monde et actuellement super gênée. Le regard de la psychologue est si perçant. Je me recroqueville sur le divan, les jambes ramenées vers moi, comme si cette position permettait de me cacher.
- Avant de débuter, commence-t-elle, peux-tu me dire si tu t’attends à une thérapie plus sur le court ou le long terme?
- Quelque chose sur le long terme, déclaré-je. Je sais que c’est ça le plus efficace. Une thérapie, ça ne se conclut pas en dix séances. Je m’attends à un suivi. Je viens ici sachant que ça durera un bon moment.
Elle hoche la tête.
- Parfait. Peux-tu me rappeler ce qui t’amène ici?
- Ben c’est ça, comme je te l’ai dit dans mon courriel, je n’arrive pas à penser à autre chose qu’au suicide de mon ami d’enfance. Je suis tout le temps déprimée, je me mets en colère facilement. J’ai l’impression que le monde entier se fout de moi. Presque plus rien ne me fait plaisir. J’ai commencé à fantasmer sur le suicide.
Je baisse la tête, embarrassée d’avoir déballé aussi froidement ce qui me ronge depuis presque six mois. Mes doigts s’entortillent nerveusement au-dessus de mes cuisses.
- Je n’ai plus envie de vivre comme ça, conclus-je, les yeux toujours rivés sur mes doigts.
- Je suis contente d’entendre que tu aies envie que ça change, m’encourage-t-elle. Ce n'est pas rien ce que tu fais. Tu entreprends des moyens pour aller mieux. C’est déjà un grand pas de franchi.
Ces mots me donnent la force de relever la tête et de la regarder dans les yeux. Elle me sourit tendrement.
Le silence nous enveloppe. Agathe est probablement en train de me laisser de l’espace au cas où j’aurais envie de dire quelque chose. Mais je n’ai rien à renchérir. Ce qu’elle constate, donc elle poursuit avec une question.
- Quand tu dis que tu fantasmes sur le suicide, ça implique quoi exactement?
- Ben, que j’y pense.
J’avoue que cette réponse n’était pas très élaborée. Elle me dévisage en silence, attendant que je développe.
- J'imagine des manières de le faire ça et là, finis-je par expliquer, mais jamais je ne le ferai pour de vrai. C’est plutôt l’idée de ne plus rien ressentir, d'en finir avec tout ça qui est assez agréable.
- Veux-tu me dire en quoi implique ce « tout ça »?
Je prends une grande inspiration un peu nerveuse.
- Le fait que Mathias me manque terriblement. Oui, je sais qu’on ne se voyait pas avant qu’il se suicide. Notre amitié remonte à l’enfance mais ça me tue tellement ce qu’il a fait. Je ne comprends pas comment il a pu s’infliger une chose aussi violente.
- Tu es prise avec un fort sentiment d’incompréhension suite à son geste. Tu ne te l’expliques pas.
- C’est ça.
- Parle-moi un peu de lui, de la relation que vous avez entretenue.
Je la regarde, surprise. Personne ne s’était jamais vraiment intéressé à mon amitié avec Mathias. Je lui raconte donc brièvement mon lien avec lui. Les années du primaire ensemble, les jeux, les temps passés sur la cour d’école, comment je l’admirais, etc.
- Aviez-vous d’autres amis? interroge-t-elle.
- Pas vraiment. C’était pas mal juste lui et moi. Je l’ai rencontré vers l’âge de neuf ans. Avant, j’avais que des petites amitiés pas très profondes.
Agathe sourit chaleureusement.
- Il a été ton premier véritable ami, soulève-t-elle. Il représente un aspect important et positif dans ta vie.
C’est vrai.
- Ça devait être réconfortant et amusant de passer les récréations avec lui, ajoute-t-elle.
- Totalement, affirmé-je avec nostalgie. J’avais tellement de fun avec lui. Je me sentais bien en sa présence.
Pendant le reste de la séance, Agathe me fait réaliser l'importance que Mathias a eue dans ma vie. Elle continue de creuser sur notre relation et sur comment je me sens depuis ce qui lui est arrivé.
- Le suicide de Mathias a été un choc auquel tu n’étais pas préparée, élucide-t-elle. Vous avez été de grands amis à une époque. Il a été un de tes premiers liens forts en dehors des membres de ta famille. Ce qu’il a fait a de quoi te bouleverser. Son geste a été violent et inattendu. Tu te demandes ce qui l’a amené à faire ça. Tu es en colère que ce soit arrivé, et triste aussi. Toutes ces émotions sont tout à fait normales. Je suis contente que tu te permettes de les exprimer ici. Tant que tu en auras besoin, tu pourras me parler.
Ce soir, je quitte le bureau d'Agathe avec un poids de moins sur mes épaules. Je marche en direction de chez moi avec le soulagement d’avoir trouvé un havre où mon deuil peut afin vivre et être accueilli.
* * *
La semaine suivante, même jour, même heure, j’ai eu ma deuxième séance avec Agathe. Je l’aime bien. L'embarras est encore présent mais ça ne vient pas d’elle. C’est moi qui me sens mal à l’aise avec les confessions. Révéler ce que j’ai de plus vulnérable me demande un effort titanesque. Mais je fais l’effort. Je dois avouer que malgré ma réticence à m'abandonner entièrement, ça fait un bien fou d’enfin me confier à quelqu’un. Agathe accueille ce que je dis sans jugement. Elle m’aide à trouver les bons mots sur ce que je ressens.
Tout à l'heure, je me suis emportée devant elle.
- Il n’y a rien qui explique ce qu’il a fait, ai-je crié. Cette merde ne fait aucun sens !!!
Prise de honte, j’ai immédiatement regretté, mais Agathe n’a pas bronché. Elle semblait plutôt désolée.
- Est-ce que ça serait juste de dire que tu te sens abandonnée?
- Plutôt larguée, je dirais.
Elle a hoché la tête avec approbation. Elle devait être fière que je trouve moi-même le mot sur mes ressentis.
- Je peux pas dire que je me sens abandonnée parce que Mathias ne me devait rien, ai-je complété, reprenant mon calme. On ne se voyait plus. Mais j’ai l’impression qu’on m’impose ce drame et cette douleur qui vient avec.
- Comme si on venait parasiter ton bonheur alors que tu n’avais rien demandé?
- Oui. Je suis dégoutée que Mathias revienne dans ma vie de cette façon.
Agathe a souri tristement.
- Aurais-tu voulu redevenir amie avec lui?
- Oui. Mais il est trop tard.
Je lui ai avoué que j’avais pensé reprendre contact avec Math, tout juste avant sa mort. Mais que cette pensée avait été malheureusement furtive et était apparue beaucoup trop tard. Juste le fait de le lui confier m’a fait sentir moins coupable. Agathe a une si belle capacité d'écoute et de réception. Même après seulement deux séances, elle semble réellement investie par ce que je raconte. L’empathie déborde de ses yeux. Je n’en reviens pas d’être tombée sur la psychologue parfaite du premier coup.
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