Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 9

 

 

9. Little Dolls

Décembre

Il y a une semaine, Héléna m’a contactée par Facebook et m'a envoyé un document rempli de photos de Mathias. Je les ai toutes contemplées en détail, une après l’autre. Je les regarde quotidiennement maintenant. Je m’y accroche d’une certaine façon. Il y a quelques photos où Math ne sourit pas et se contente de faire une petite moue qui lui donne de l’attitude. C’est peut-être le signe qu’il n’allait pas très bien. Il voulait probablement donner l’impression qu’il était sûr de lui. Comme une carapace. En m’envoyant une des photos, Héléna m’a spécifié qu’elle était sa dernière et avait été prise la journée avant sa mort, le 31 octobre. J’ai retenu mon souffle l’espace de quelques secondes. Cette image était le dernier témoin de sa présence sur terre. J’ai détaillé cette photo dans tous ses recoins. Math a un magnifique sourire. Il est à côté d’un squelette en plastique. Il doit être dans un magasin. Peut-être qu’il accompagnait un ami pour l’aider à choisir un costume où des accessoires d’Halloween. J’imagine très bien un ami lui dire à la blague d’aller se poser à côté du squelette, Math prendre la pose et l’ami sortir son téléphone pour prendre la photo. Je m’attarde longtemps sur son sourire. Comment pouvait-on deviner qu’il allait se suicider le lendemain? C’est à fendre le cœur. On peut quand même lire une certaine détresse dans ses yeux. Je cache le sourire avec ma main et ne me concentre que sur ses yeux. Il a le regard triste.

Bordel Mathias! Pourquoi as-tu fait ça?

Sur une des photos, je peux voir qu’il est légèrement plus jeune. Il semble se trouver dans un stationnement. Il a les cheveux plus courts et le sourire chaleureusement doux.

Plus je consulte ces photos, plus je me rends compte que je ne connaissais plus Mathias. Ça me chagrine que l’occasion de le connaître soit passée pour de bon. J’ai l’impression de manquer quelque chose d’important, d’avoir gâché la possibilité d'approfondir une amitié, de développer un lien profond. Pour combler ce vide tant bien que mal, j’ai envie de savoir quel adolescent Math était devenu. Je me rappelle, au salon funéraire, Héléna m’avait dit que Mathias écoutait tout le temps de la musique. Je me suis donc demandée quelle était sa chanson préférée. J’ai posé la question à Héléna par Facebook, mais elle ne m’a pas encore répondu.

Je passe tout le mois de décembre à broyer du noir. Maintenant que les funérailles de Mathias sont passées, plus personne ne parle de lui. C’est comme s’il n’avait jamais existé. Ça me rend folle. Moi, je ne fais que penser à lui tout le temps, je me sens anéantie. Les funérailles sont terminées et pourtant j’aurais encore tellement besoin de parler de lui, d’en apprendre sur lui, de le comprendre, de me réfugier dans ses photos. Souvent, j’ai envie de partager ce que je ressens avec mes amis, mais je pense qu’aborder le sujet les dérangerait. Mon âme est en constant état de larmoiement. La vie continue pourtant ; l’école, les devoirs, le quotidien familial, les discussions entre amis. Noël approche mais je ne le ressens même pas. L’esprit des Fêtes se trouve à des années lumières de moi. Je suis plutôt envahie par la mélancolie et les études entourant les examens de mi-année. J’ignore comment Rose et William arrivent à trouver le temps de fabriquer leur chorégraphie. Moi, je ne pourrais pas avoir d’autres occupations. Les études me sortent par les oreilles. De toute façon, il n’y a rien qui me tenterait.

Nous sommes tous installés à une table au café étudiant. Will et Rose sont absorbés par leur création. La table est pratiquement remplie de feuilles de papier pleines d’esquisses de mouvements de danse. Assise face à eux, je fabrique ma feuille de notes pour l’examen de mathématiques. Mes amis parlent constamment dans un jargon de danse alors qu’Émile et Flavie sont chacun concentré dans leurs études. Mon téléphone vibre. C’est Héléna! Elle répond à ma question sur la chanson de Math.

Héléna
{Eh boy! Je ne pourrais pas dire quelle était sa toune préférée. Mais je me rappelle qu’il aimait beaucoup Little Dolls d’Indochine.}

Il aimait Indochine lui aussi! J’ai tellement perdu l’occasion d’avoir des discussions passionnantes et passionnées avec lui. Mon coeur pleure. Il pleure ce vide, ce manque, ces occasions gâchées à jamais…

Little Dolls. Je suis fan d'Indochine mais je ne connais pas cette chanson. Honte à moi. Il faudra que je prenne le temps de l’écouter. Je remercie Héléna pour sa réponse et retourne à ma feuille de notes.

Après le souper et avoir travaillé comme une folle sur mes préparations d’examen, je rejoins ma famille au salon. Ma mère regarde la télévision et mon frère fixe son téléphone, assis sur le fauteuil. Je repense à ce que la mère de Mathias m’avait dit aux funérailles, comme quoi elle avait entendu parler de moi. Une partie de moi est réconfortée par le fait que Mathias ait raconté à sa mère des anecdotes sur nous deux. Il m’aimait. J’ai eu un impact positif sur sa vie malgré le fait qu’on se soit éloignés.

Ça fait une demi-heure que nous sommes tous assis dans le salon sans parler. Je me sens maussade. Pas question de montrer ma déprime à ma famille. Je me lève d’un bon et retourne dans ma chambre. Il est temps de connaître la chanson de Mathias. Je prends mon cellulaire et tape Little Dolls Indochine dans Youtube. Je m’allonge sur mon lit et me laisse porter par cette musique. Les premières notes retentissent et je la trouve déjà bonne. Cette chanson est prenante, enivrante. L'esprit Indochine résonne dans tout mon être.

Mathias, qui étais-tu en fait? Aurais-tu vécu un chagrin d’amour? Étais-tu amoureux d’une personne qui ne partageait pas tes sentiments? Ou as-tu vécu une histoire qui ne s’est pas bien terminée? Si c’est le cas, est-ce une des raisons qui te rendait à ce point malheureux? Est-ce que des gens ont été méchants avec toi? Avais-tu beaucoup d’amis? Étaient-ils de bons amis? J’aimerais tant que tu me répondes. Je voudrais avoir un vrai échange avec toi. Si j’avais pris les moyens pour prendre contact avec toi, est-ce que tu aurais accepté qu’on redevienne amis? Si nous étions redevenus plus proches, est-ce que tu te serais quand même suicidé? Ou aurais-je pu changer quelque chose?

Évidemment, mes questions restent en suspens. Elles me laissent vide. Il m’arrivait, parfois, de croiser Mathias dans la rue. Certaines fois, je me retenais d’aller lui parler. J’avais trop peur de cette distance qui s’était imposée entre nous avec le temps. Je craignais qu’il me trouve bizarre, qu’il ne veuille plus être mon ami. Bien sûr, quand nos regards se croisaient, il me renvoyait chaque fois son sourire angélique. Ça nous arrivait de s’échanger quelques mots, et ce de manière conviviale. Mais ce n’est pas souvent arrivé. Notre relation s’arrêtait là. J’aurais voulu que ça aille plus loin, que ça redevienne comme au primaire, mais j’avais ma gang d’amis, il avait probablement la sienne. Et j’avais peur qu'il ne veuille pas que notre relation redevienne comme avant.

Est-ce que j’aurais dû insister? Aurais-tu aimé toi aussi qu’on redevienne plus proches?

Que dois-je faire avec cette question? Je me sens larguée, toute seule dans ma chambre, ayant un dialogue dans ma tête qui ne va que dans un sens.

Réponds-moi Mathias. J’aurais dû reprendre contact avec toi?

Je tourne la tête en direction de ma fenêtre et je réalise que la lune m’observe depuis tantôt. Elle a bien entamé sa décroissance. Demain, on ne la verra probablement plus.

Mathias, si tu peux m’entendre, j’aimerais que tu restes avec moi pour la nuit. Je sais bien que tu as dit à ta mère que tu serais toujours à ses côtés pour la soutenir, mais juste pour cette nuit, s’il-te-plaît, reste près de moi. J’ai besoin de ta présence et de ton réconfort.


Commentaires

  1. Sarah est nostalgique. Ressent-elle un peu de culpabilité. Je voudrais lui aider à trouver ce qui, au fond, provoque cette grande tristesse.

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Sans trace - CHAPITRE 1

Critique : Déracinée

Sans trace - CHAPITRE 2