Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 8
8. Just A Little Girl
Novembre
Quand j’arrive à mon casier lundi matin, Rose me rejoint déjà.
- Salut, me dit-elle enthousiaste.
- Allo, lui souris-je en rangeant mon manteau.
- Ça va bien?
- Oui. Toi?
- Super bien. En fin-de-semaine, Will et moi avons enfin décidé d’inventer notre propre chorégraphie et on va la faire au spectacle de fin d’année.
- Ambitieux! commenté-je.
- En effet. Et ça va être génial.
Rose est toute énervée et excitée. Être aussi passionnée la rend vraiment adorable.
Nous allons nous asseoir à la place publique en attendant que la première cloche sonne.
- C’était comment les funérailles? me demande-t-elle. Pas trop déprimant?
- Bah non.
Pourquoi faut-il que les gens pensent d’emblée que funérailles ou enterrements riment automatiquement avec mornes et cafardeux?
- Non? dit-elle surprise. C’était quand même les funérailles d’un adolescent, qui s’est suicidé en plus.
- Bien non, ce n’était pas aussi déprimant que ce qu’on pourrait imaginer. J’en retiens surtout que c’était chaleureux et convivial.
- Ah bon. J’avais déjà été à des funérailles une fois et j’avais détesté ça. C’était tellement ennuyant et déprimant.
- Je ne sais pas qui avait eu la brillante idée d’organiser ces mauvaises funérailles mais celles de Mathias étaient très bien. La pièce était chaleureuse, l’urne était super belle, il y avait plein de belles photos de Math… Non vraiment, c’était bien. À part peut-être le poème qui a été récité, je l’aurais enlevé. Mais sinon, je ne vois pas en quoi des funérailles seraient forcément déprimantes.
- Tant mieux alors. Mais ça a dû être triste quand même?
- Évidemment, mais ce n'était pas que triste.
Comme les moments où j’ai parlé avec Héléna. Ça n’avait rien de triste. C’était même agréable de faire sa connaissance.
- Mais c’est sûr qu’à certains moments ça pouvait être rough, avoué-je. Quand sa mère s’est mise à pleurer à l’enterrement, par exemple.
- Je comprends. Si Mathias avait pu voir ça…
L’image que Rose avance reste en suspens. J’essaie de m’imaginer ce qu’aurait dit Mathias s’il avait vu sa mère dans cet état.
- Comment il a pu faire ça à sa mère? s’insurge Rose.
- Il n’a pas fait ça contre sa mère, reprends-je. Il a fait ça pour arrêter de souffrir.
- Oui, je sais bien. Mais ceux qui se suicident, leur geste a des répercussions dévastatrices sur leurs proches. Mathias devait bien savoir qu’il allait anéantir ses parents, non?
Ce que me dit Rose porte à réflexion. Est-ce que Mathias a pensé au mal que son suicide allait causer? Un peu, sûrement, mais ce n'était clairement pas sa première préoccupation. Il me semble que ceux qui se suicident sont tellement pris dans un si profond mal-être qu’ils ne pensent pas à ce que leur geste apportera comme conséquences.
- Je ne comprends pas comment on peut faire ça, continue Rose dans sa lancée. « Fuck mes amis, fuck mes parents. Je quitte tout, je les abandonne ».
- Je ne vois pas ça comme un abandon, expliqué-je. Mais plutôt comme un moyen d’arrêter de souffrir. Tout ce que veulent ces gens c’est que leur souffrance s'arrête. Mathias voulait juste arrêter d’avoir mal et c’était si profond qu’il n’y avait pas d’autres solutions à ses yeux.
Cette pensée me brise le cœur. Je baisse la tête et prends une grande inspiration pour assimiler ce que je viens de dire. Pauvre Math. Qu’aurait-il fallu pour le guérir de ce mal de vivre?
- Il n’avait qu’à demander de l’aide.
Quand j’arrive à mon casier lundi matin, Rose me rejoint déjà.
- Salut, me dit-elle enthousiaste.
- Allo, lui souris-je en rangeant mon manteau.
- Ça va bien?
- Oui. Toi?
- Super bien. En fin-de-semaine, Will et moi avons enfin décidé d’inventer notre propre chorégraphie et on va la faire au spectacle de fin d’année.
- Ambitieux! commenté-je.
- En effet. Et ça va être génial.
Rose est toute énervée et excitée. Être aussi passionnée la rend vraiment adorable.
Nous allons nous asseoir à la place publique en attendant que la première cloche sonne.
- C’était comment les funérailles? me demande-t-elle. Pas trop déprimant?
- Bah non.
Pourquoi faut-il que les gens pensent d’emblée que funérailles ou enterrements riment automatiquement avec mornes et cafardeux?
- Non? dit-elle surprise. C’était quand même les funérailles d’un adolescent, qui s’est suicidé en plus.
- Bien non, ce n’était pas aussi déprimant que ce qu’on pourrait imaginer. J’en retiens surtout que c’était chaleureux et convivial.
- Ah bon. J’avais déjà été à des funérailles une fois et j’avais détesté ça. C’était tellement ennuyant et déprimant.
- Je ne sais pas qui avait eu la brillante idée d’organiser ces mauvaises funérailles mais celles de Mathias étaient très bien. La pièce était chaleureuse, l’urne était super belle, il y avait plein de belles photos de Math… Non vraiment, c’était bien. À part peut-être le poème qui a été récité, je l’aurais enlevé. Mais sinon, je ne vois pas en quoi des funérailles seraient forcément déprimantes.
- Tant mieux alors. Mais ça a dû être triste quand même?
- Évidemment, mais ce n'était pas que triste.
Comme les moments où j’ai parlé avec Héléna. Ça n’avait rien de triste. C’était même agréable de faire sa connaissance.
- Mais c’est sûr qu’à certains moments ça pouvait être rough, avoué-je. Quand sa mère s’est mise à pleurer à l’enterrement, par exemple.
- Je comprends. Si Mathias avait pu voir ça…
L’image que Rose avance reste en suspens. J’essaie de m’imaginer ce qu’aurait dit Mathias s’il avait vu sa mère dans cet état.
- Comment il a pu faire ça à sa mère? s’insurge Rose.
- Il n’a pas fait ça contre sa mère, reprends-je. Il a fait ça pour arrêter de souffrir.
- Oui, je sais bien. Mais ceux qui se suicident, leur geste a des répercussions dévastatrices sur leurs proches. Mathias devait bien savoir qu’il allait anéantir ses parents, non?
Ce que me dit Rose porte à réflexion. Est-ce que Mathias a pensé au mal que son suicide allait causer? Un peu, sûrement, mais ce n'était clairement pas sa première préoccupation. Il me semble que ceux qui se suicident sont tellement pris dans un si profond mal-être qu’ils ne pensent pas à ce que leur geste apportera comme conséquences.
- Je ne comprends pas comment on peut faire ça, continue Rose dans sa lancée. « Fuck mes amis, fuck mes parents. Je quitte tout, je les abandonne ».
- Je ne vois pas ça comme un abandon, expliqué-je. Mais plutôt comme un moyen d’arrêter de souffrir. Tout ce que veulent ces gens c’est que leur souffrance s'arrête. Mathias voulait juste arrêter d’avoir mal et c’était si profond qu’il n’y avait pas d’autres solutions à ses yeux.
Cette pensée me brise le cœur. Je baisse la tête et prends une grande inspiration pour assimiler ce que je viens de dire. Pauvre Math. Qu’aurait-il fallu pour le guérir de ce mal de vivre?
- Il n’avait qu’à demander de l’aide.
Je ris jaune. Elle propose cette solution comme si c’était la chose la plus facile et évidente au monde.
- C’est pas si simple, Rose.
- Tu l’as vu toi-même, Sarah. Il y avait plein de monde rassemblé que pour lui. Plein de monde qui l’aimait et qui aurait pu l’aider. S’il avait vu ça, il ne se serait pas suicidé.
- Ben voyons, m’emporté-je. C’est une détresse psychologique bien plus intense qu'on ne s'imagine. Ce n’est pas un rassemblement qui l’aurait convaincu de ne pas passer à l’acte. Et puis, il le savait qu’il était aimé. Je l’ai lu dans sa lettre de suicide. Il savait très bien que sa mère l’aimait. Ça ne l’a pas empêché de se pendre.
Je commence à me sentir ébranlée. Le sujet est vraiment sensible pour moi, et employer le mot « pendre » me déstabilise. Je prends encore une grande inspiration et une grande expiration.
- N’empêche que ceux qui se suicident devraient être confrontés au mal qu’ils font, affirme Rose.
- Et tu penses que c’est comme ça qu’on va réussir à empêcher les gens de se suicider? En les culpabilisant? « Regarde, si tu te suicides, tes parents vont être foncièrement malheureux. Comment tu peux leur faire ça espèce d’égoïste? » La dépression, ça ne se raisonne pas en trois mots. C’est comme penser pouvoir guérir une anorexique en lui disant « Tu sais, c’est pas grave si tu manges. Il n’y a rien là, t’es pas grosse ».
Heille wow! Une chance que Rose est là. Elle pourrait réussir à guérir toutes les maladies mentales en un claquement de doigts! Je fais de gros efforts pour ne pas exploser de colère, mais cette conversation commence vraiment à me mettre dans tous mes états.
La cloche sonne.
Je ramasse mon sac, prête à aller dans mon cours.
- Bon ben à tantôt, lui dis-je en prenant un faux ton décontracté.
- À tantôt, me répond-elle.
Nous partons chacune de notre côté. Tant mieux parce que j’étais sur le point de me fâcher. On s’est séparées à temps. J’aurais pu lui cracher des paroles que j’aurais regrettées.
À mon bureau, je rumine en silence. Je bouillonne tellement que je manque toute la matière donnée durant le début du cours. Rose a dépeint, devant moi, Mathias comme un simple égoïste prétentieux. Comment peut-elle voir le suicide de cette manière? Une personne qui en arrive là veut seulement que la vie s’arrête car elle ne voit que cette solution pour arrêter de souffrir. Rose ne semble pas voir le suicide comme un acte de désespoir et de grande détresse psychologique, mais comme un geste égoïste. Ce n’est pas possible d’avoir des idées aussi arrêtées! Elle souffre d’un cruel manque de compréhension et de sensibilité. Ça me donne mal au cœur de penser qu’elle a une opinion aussi dure de Mathias.
- C’est pas si simple, Rose.
- Tu l’as vu toi-même, Sarah. Il y avait plein de monde rassemblé que pour lui. Plein de monde qui l’aimait et qui aurait pu l’aider. S’il avait vu ça, il ne se serait pas suicidé.
- Ben voyons, m’emporté-je. C’est une détresse psychologique bien plus intense qu'on ne s'imagine. Ce n’est pas un rassemblement qui l’aurait convaincu de ne pas passer à l’acte. Et puis, il le savait qu’il était aimé. Je l’ai lu dans sa lettre de suicide. Il savait très bien que sa mère l’aimait. Ça ne l’a pas empêché de se pendre.
Je commence à me sentir ébranlée. Le sujet est vraiment sensible pour moi, et employer le mot « pendre » me déstabilise. Je prends encore une grande inspiration et une grande expiration.
- N’empêche que ceux qui se suicident devraient être confrontés au mal qu’ils font, affirme Rose.
- Et tu penses que c’est comme ça qu’on va réussir à empêcher les gens de se suicider? En les culpabilisant? « Regarde, si tu te suicides, tes parents vont être foncièrement malheureux. Comment tu peux leur faire ça espèce d’égoïste? » La dépression, ça ne se raisonne pas en trois mots. C’est comme penser pouvoir guérir une anorexique en lui disant « Tu sais, c’est pas grave si tu manges. Il n’y a rien là, t’es pas grosse ».
Heille wow! Une chance que Rose est là. Elle pourrait réussir à guérir toutes les maladies mentales en un claquement de doigts! Je fais de gros efforts pour ne pas exploser de colère, mais cette conversation commence vraiment à me mettre dans tous mes états.
La cloche sonne.
Je ramasse mon sac, prête à aller dans mon cours.
- Bon ben à tantôt, lui dis-je en prenant un faux ton décontracté.
- À tantôt, me répond-elle.
Nous partons chacune de notre côté. Tant mieux parce que j’étais sur le point de me fâcher. On s’est séparées à temps. J’aurais pu lui cracher des paroles que j’aurais regrettées.
À mon bureau, je rumine en silence. Je bouillonne tellement que je manque toute la matière donnée durant le début du cours. Rose a dépeint, devant moi, Mathias comme un simple égoïste prétentieux. Comment peut-elle voir le suicide de cette manière? Une personne qui en arrive là veut seulement que la vie s’arrête car elle ne voit que cette solution pour arrêter de souffrir. Rose ne semble pas voir le suicide comme un acte de désespoir et de grande détresse psychologique, mais comme un geste égoïste. Ce n’est pas possible d’avoir des idées aussi arrêtées! Elle souffre d’un cruel manque de compréhension et de sensibilité. Ça me donne mal au cœur de penser qu’elle a une opinion aussi dure de Mathias.
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