Sans trace - CHAPITRE 16

  

Chapitre 16


Dimanche 12 octobre 

En arrivant à la maison, nous sommes accueillis par maman qui lit une revue, allongée sur le divan. Elle est en pyjama, mais elle est sortie de son lit. C'est signe qu'elle va un peu mieux, non?

- Allô mes poussins, nous salut-elle en s'asseyant. C’était bien avec Killian?

On se partage un regard qui nous fait pouffer de rire. Sans se parler, on se remémore les mêmes souvenirs, les buissons, le vin, les conneries qu’on a dites tous les trois…

- Qu’est-ce qui vous fait rire comme ça? sourit maman, curieuse.

- Oh rien, ment Maverick. On a juste bien déconné tantôt. 

- Je suis contente que vous ayez eu du plaisir. 

À ces mots, Maverick perd brusquement son sourire. 

- Ouin, du plaisir, souffle-t-il. 

- Qu’est-ce que t’as? lui demandé-je, inquiète par son soudain changement d’humeur.  

- Rien. 

Maman ne semble pas remarquer le malaise. 

La sonnette retentit dans la maison, ce qui me fait légèrement sursauter. Mon père va répondre. La porte s'ouvre sur Marc Gélinas. 

- Bonjour. Est-ce que je peux entrer?

La présence de cet homme me met dans un état indescriptible. Je ne saurais dire s’il me soulage ou s’il m'angoisse. 

Papa l’invite à venir s'asseoir au salon. Maman ne dit rien mais elle est visiblement mal à l’aise d’être surprise en pyjama. Comme pour se rassurer, elle prend le temps de replacer son haut, même si ça ne change rien à son habillement. 

- Je ne vais pas passer par quatre chemins, commence l’agent. C’est rien d’officiel, mais on a un suspect. 

Un frisson me parcourt tout le corps. Daniel a pu être enlevé par quelqu’un. 

- C’est qui? s’empresse de demander papa avec colère. 

- Il s’agit de Paul Bergeron. Les caméras de surveillance de l’épicerie l’ont distingué. Il était présent en même temps que Daniel et Lisa. Il est parti avant eux mais des témoins ont aperçu sa voiture sur la rue Principale vers vingt-et-une heures. Il aurait pu déjà avoir embarqué Daniel à ce moment-là.

- Vous l’avez arrêté? 

- On ne pouvait pas faire ça puisque nous n’avions pas assez de preuves, mais nous l’avons interrogé. 

- Et puis?

- Il affirme n’avoir rien à voir avec Daniel. Selon ses dires, il n’a fait que passer. 

- Il dit peut-être la vérité, suppose maman. 

- Ce qui nous donne des soupçons c’est qu’il n’a rien acheté à l’épicerie, poursuit Marc. Il est reparti les mains vides. 
- Mais pourquoi cet homme serait-il allé vers notre fils? 

- C’est ce qu’on tente d'élucider. Il y a quelque chose d'incompréhensible dans le cas de ce suspect donc nous nous penchons sur son cas. 

- Il était tant que vous aillez une piste, reproche papa. 

Je me sens gênée par son commentaire. Les policiers font ce qu’ils peuvent. Ce n’est pas la peine de les engueuler comme du poisson pourri. 

- Comment il s’est justifié concernant l'absence d’achats? demande maman. 

- Il a seulement dit qu’il n’avait pas trouvé ce qu’il cherchait. 

- Et il cherchait quoi? 

- Une épice. 

- Quelle épice? demandé-je. 

- De l'origan. Nous sommes allés vérifier, et il y en avait. 

- Alors il a menti! s’insurge papa. 

- Ça m’en a tout l’air, confirme Marc. On enquête sur lui, présentement. 

C’est peut-être cet homme qui aurait saisi Daniel par derrière, pour l'embarquer de force dans sa voiture. Il l’aurait ensuite séquestré dans son sous-sol pour lui faire des choses horribles. Les policiers doivent absolument le sortir de là! 

- Allez-vous fouiller son sous-sol? m’empressé-je de demander. 
Maverick me regarde bizarrement. 

- Son sous-sol? La maison au complet, peut-être? Ça serait pratique. 

- Oui, évidement, me reprends-je honteuse. C’est juste que, dans ma tête… si Daniel est séquestré, ça serait… ben… dans un sous-sol… Laissez faire. 

- Oui, on va fouiller sa maison…

Je n’arrive plus à écouter. Gênée, je fixe le sol. Les scénarios que je me suis imaginés sont si vrais dans mon esprit qu’ils en deviennent presque réels. Ça me fait peur. C’était rendu que Daniel pourrait être enfermé seulement dans un sous-sol, alors que ça pourrait être n'importe où. Dans le film 5150 rue des Ormes, le gars est gardé prisonnier dans une chambre placardée, contenant un simple matelas et un saut. 

Marc Gélinas quitte la maison en nous informant qu'il va bientôt nous revenir sur l’affaire. De mon côté, je ne me sens pas rassurée. Dois-je espérer que cette piste soit vraie? Dois-je espérer que cet homme ait enlevé Daniel? Qu’il l’ait fait souffrir et peut-être même tué? 

Ou bien je dois souhaiter que la piste soit fausse, et qu’on se retrouve au même point?

Il n’y a aucune option heureuse. Ce qui nous attend ne peut qu’être déception ou malheur. 


Lundi 13 octobre 

La cloche va sonner d’une minute à l’autre. Assise à mon bureau, je lutte fort pour ne pas m’endormir. 

J’ai à peine fermé l'œil la nuit dernière. Je me suis imaginée tous les scénarios d’horreur possibles concernant Daniel. Bien qu’ils nous ont affirmé n’avoir rien trouvé d’incriminant chez ce Paul, je ne peux m'empêcher de croire qu’il a peut-être quelque chose à voir avec la disparition de mon frère. Si ça se trouve, il le garde séquestré ailleurs. Bien entendu, il ne l'aurait pas gardé chez lui. Ce serait trop risqué. Il l’a peut-être caché dans une cabane au fond de la forêt. 

La cloche retentit. Ma professeure distribue aussitôt nos examens. Je manque de préparation. Le dimanche chez Killian était vraiment amusant mais avec tout ça, je n’ai pas profité de l’après-midi pour étudier. Puis en soirée, avec la visite de Marc Gélinas, je n’avais franchement plus la tête à ça. 

J’ai pris un gros déjeuné ce matin, de peur d'avoir faim en plein milieu de l’examen. Mais je regrette à présent. Je ne me sens pas très bien. Ajoutés à la nervosité, mon flot de pensée inarrêtable et la fatigue, j’ai peur de vomir sur mon bureau. 

- Vous pouvez commencer! indique Joséphine. 

Je retourne ma feuille. Juste avec la première question, je sens que ça ne sera pas facile. 

Je passe la période à répondre du mieux que je peux mais je ne comprends pas tout. il est donc inévitable que je me ramasse avec des erreurs dans mes calculs et démarches.

Je ne prends pas le temps de réviser mes réponses. Je vais porter mon examen sur le bureau de ma prof, sans même lui accorder un regard. Puis je quitte la classe au plus vite. Je respire un peu mieux une fois que je marche dans le corridors. J’ai honte de ma performance. Oui, les mathématiques ne sont pas ma matière forte, mais je suis capable de mieux. 

Je me réfugie dehors. Je n’ai pas pris le temps de mettre mon manteau malgré la basse température. Mais cette dernière me fait du bien. Il faisait si chaud dans la classe. 

- Tu n’as pas froid?

Je lève les yeux. Émilie se trouve debout devant moi. Je ne l’avais pas vue arriver. 

- Qu’est-ce que tu fais là? dis-je en ignorant sa question. 

- Je prenais une petite marche dehors après l’examen. Je l’ai fini super tôt. 

Comme d’habitude. Émilie est dans les premières à finir les examens, peu importe la matière. 

- Ça me touche ce que tu vis, dit-elle en s'asseyant à côté de moi. 

- De quoi tu parles?

- Ton frère. 

- Pourquoi ça te touche?

- Ça me rappelle un peu l’histoire de ma mère. 

J’avoue qu’elle pique ma curiosité. 

- Qu’est-ce qu’elle a, ta mère? Son frère a été porté disparu?

- Non, il est mort, quand elle avait treize ans.

- Il avait quel âge, son frère?

- Onze ans.

C’est proche de l’âge de Daniel. C’est si jeune pour mourir. 

- C’est dont ben triste. Il est mort de quoi?

- Un accident de construction. Leur maison était en rénovation, un mur s’est effondré sur lui. Ma mère était là et ça l’a complètement traumatisée.

Je n’imagine pas l’horreur. Pauvre femme!

- Je comprends. Mon dieu, j’espère qu’elle va bien maintenant.

- Maintenant, oui.

Est-ce que j’aurais préféré que Daniel meurre subitement devant mes yeux, ou bien je préfère ne pas savoir ce qu’il advient de lui? À vrai dire, les deux situations sont atroces. Il n’y en a aucune de préférable. 

- Mais ce n’est pas la même chose, dis-je après m’être comparé les deux histoires. Le frère de ta mère est mort sur le coup. Moi, j’en ai aucune idée. 

- C’est vrai. Pour ma mère, elle n’avait plus aucune chance de revoir son frère. Mais pour toi, le tien est peut-être vivant.

- Mais si Daniel est mort, je ne peux même pas le savoir.

- Il est peut-être encore en vie!

Son optimisme commence à m’énerver.

- Ça m’étonnerait, marmoné-je en fixant mes doigts.

- Pourquoi tu dis ça? C’est encore possible…

- Ça serait tout à fait utopique, craché-je en relevant la tête vers elle. S’il est vivant, tu penses qu’il serait où, dis-moi? Ça serait encore pire. 

Je repense à l’image que je m’étais faite ; Daniel, prisonnier dans une cabane de bois, caché dans la forêt, avec l’atroce visite quotidienne d’un abuseur… Abuseur qui pourrait être Paul Chose. 

- Pourquoi tu dis que ça serait pire?

- Parce qu’il serait prisonnier dans des conditions qu’on peut même pas imaginer.

- Pas nécessairement…

- Il manque à l’appel depuis une semaine et tu penses qu’il pourrait réapparaître sans problème?

- Peut-être pas sans aucun problème, nuance-t-elle, mais tout est possible. Toi, au moins, tu as encore la possibilité de revoir ton frère.

J'hallucine ou elle est vraiment en train de me dire que ce que je vis est moins pire que la situation de sa mère? C’est quoi sa manie débile de comparer les souffrances?

- Ta mère, au moins, elle savait où était son frère, dis-je sèchement. 

- Elle le savait écrasé sous un mur. T’aimerais mieux que Daniel soit écrasé sous un mur?

- J’aimerais mieux qu’il soit près de moi et qu’il aille bien!!! crie-je. Vas-tu arrêter de diminuer ce que je vis?

- Je ne diminue pas ce que tu vis, j’essaie de t’aider à voir le positif. 

- Ben ça ne m’aide pas du tout! 

Je prends mes affaires et j’entre dans l’école, laissant Émilie dans les escaliers. Comme l’heure du dîner sonne à l’instant, je vais directement à ma case chercher ma boîte à lunch. Je n’ai pas très faim mais je la ramasse par principe. En arrivant à la cafétéria, j'aperçois Stéphanie. Elle est à une table avec des amies. Quand elle me voit, elle me fait signe de la rejoindre. J’hésite à la suivre. Est-ce que ses amies veulent qu’une fille de secondaire quatre se tienne avec elles? 
De quoi j’ai peur? De filles de secondaire un? Je me ressaisis et vais rejoindre la gang de ma cousine. 

- Salut Steph, dis-je en m'asseyant à côté d’elle. 

- Allo! Liz, je te présente Mathilde et Camille. 

- Lise? C’est drôle, ma tante s’appelle comme ça, s’esclame Mathilde. Dans ma tête, c’est pas un nom de jeune. 

- En fait, je m’appelle Lisa. Mais on m’appelle Liz. 

- Ça te fait quoi d’avoir le même nom que Lisa Simpson? me demande Camille. 

La surprise de cette question me fait lâcher un petit rire. Je ne m’attendais pas à ça. 

- Ça fait longtemps que je n’y ai pas pensé, mais enfant j’étais fière d’avoir le même nom que Lisa Simpson. 

- Sérieux? s’amuse Mathilde. Comment ça?

- Elle était mon personnage préféré des Simpsons, mais pas juste parce qu’elle avait mon nom. Quand j’ai découvert cette série, j’avais huit ans, l’âge de Lisa, justement. Et j’ai commencé à m’identifier à elle. J’étais une petite fille studieuse, bonne à l’école, et quand même engagée. Comme Lisa, l’environnement me tenait à cœur. C’est sûr qu’avec le temps, j’ai fini par devenir plus vieille qu’elle. Ce qui est assez bizarre. Les personnages des Simpson ne vieillissent pas. 

- C’est vrai, constate Camille. En plus, ça fait tellement d’années que cette série existe. Elle existait même avant notre naissance. Moi, mon personnage préféré c’est Milhouse. 

- Milhouse! répète ma cousine. Pourquoi c’est ton préféré? Il est tellement looser. 

- Je pense que c’est pour ça, justement, rit-elle. Ça me fait rire et en même temps je le trouve trop mignon. 

- Moi c’est Bart, annonce Mathilde. Il est tellement délinquant, des fois j’aimerais être comme lui. 

- Il n’est pas délinquant, c’est juste un p’tit criss. 

- Ben des fois j'aimerais ça être une p’tite criss, dit Mathilde le sourire en coin.

Je me retourne vers ma cousine. 

- Toi Steph, c’est lequel ton préféré?

- Bof, je sais pas. Je n’écoute pas vraiment les Simpson. 

- Ben là, s’écrit Camille. Il faut que tu en trouves un. 

- Je sais pas… Maggie peut-être. 

- Elle est tellement plate Maggie! ricante Mathilde. 

- C’est le bébé de la famille, comme moi, affirme-t-elle en me regardant avec une mimique mignonne comme tout.

Dans ma tête, c’était Daniel le bébé de la famille car il est mon petit frère, mais Stéphanie a quelques mois de moins que lui. Elle a donc raison, c’est elle le bébé de la famille.

La discussion se poursuit sur ce genre de sujets légers jusqu’à ce que la cloche sonne.

- Oh déjà! s’exclame Mathilde. On se voit à la pause les filles.
On se salue toutes avant de prendre des chemins différents. Seule Stéphanie reste près de moi.

- Ça va, Steph? lui demandé-je sentant qu’elle veut me dire quelque chose.

- Est-ce que je peux venir chez toi ce soir?

Chez moi?

En temps normal j’aurais dit oui sans hésiter, mais je ne crois pas que Stéphanie se sentirait bien chez moi, en ce moment. 

- Tu n’as pas envie qu’on aille chez toi à la place? 

Elle hausse les épaules. 

- C’est plate chez moi. 

- Crois-moi, ça ne peut pas être plus plate que chez moi. 

Je pense comprendre l’état d’esprit de ma cousine. J’ai l’impression qu’elle cherche la présence de Daniel et ma maison est la meilleure place pour ça. 

En y réfléchissant bien, je me dis qu’avoir Stéphanie chez nous ne peut qu’améliorer l’énergie de la maison. Quand tante Josée était venue passer l’après-midi avec maman et moi, ça avait allégé l’athmosphère.

- D’accord, abdiqué-je finalement. Mais je vais faire mes devoirs ce soir.

- Oui c’est sûr. Moi aussi je dois faire les miens. Je me dis juste que ça serait plus agréable de les faire ensemble.

- Tout à fait. Tu prendras le bus avec moi ce soir.

- En fait, ma mère vient me chercher après l’école. Je lui demanderai donc de me reconduire chez toi après.

- Je peux aussi texter Josée pour lui dire qu’elle n’a pas besoin de venir te chercher.

- Oh bonne idée. Bon, j’y vais avant d’être en retard.

Assise à ma place, je texte ma tante avant que le cours ne commence.

{Salut Josée! Stéphanie prendra le bus avec moi ce soir. Est-ce que ça te va?}

{Oh bonne idée! Ça vous fera du bien de passer du temps entre cousines. Est-ce qu’elle soupe chez toi?}

{Elle est invitée en tout cas ;)}

{Haha c’est bon. J’irai la chercher après le souper alors. Amusez-vous bien xx}

{Merci xxxx}


Commentaires

  1. J' ai hâte qu' ils trouvent Daniel! (, Hélène).

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  2. Au moins, ils ont des moments plus légers. Cette nouvelle piste donne de l’espoir aussi.

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