Ta délivrance, ma souffrance - CHAPITRE 26

  

26. Lithium

Mai

Cette nuit, j’ai rêvé que j’avais pris la sérieuse décision de me suicider. Mon idée était faite. J’ignore où j’étais mais le lieu ressemblait à un appartement assez vaste. Il y avait une salle de bain au fond. J’avais planifié de m'y enfermer, faire couler le bain et m’ouvrir les veines. Une lame de rasoir m’attendait soigneusement à côté du lavabo. Tout de suite après avoir commencé à faire couler l’eau, quelqu’un est venu cogner à la porte. Agacée d’avoir été interrompue, je suis allée ouvrir. Je ne voulais pas que cette personne s’inquiète que je ne vienne pas lui répondre et qu’elle finisse par empêcher l'exécution de mon macabre projet. J’ai donc ouvert la porte à cette personne. Cette dernière ne voulait pas partir puis il y a eu d’autres personnes qui venaient cogner à la porte. Ils ont fini par se retrouver à plusieurs dans l’appartement. J’étais vraiment énervée de ne jamais avoir la solitude que je souhaitais. Tout m’empêchait de me suicider. J’ai dû cacher la lame de rasoir et arrêter le robinet car le bain se remplissait pour rien. À un moment, je rageais seule dans la salle de bain. Même en fermant la porte, je ne pouvais pas m’ouvrir les veines avec tous ces gens se trouvant de l’autre côté. C’est à peu près à cet instant que je me suis réveillée. Ça me perturbe un peu de me l’avouer mais à mon réveil, j’étais déçue de ne pas avoir eu le temps de passer à l’acte. J’aurais aimé avoir une idée de ce que ça aurait pu donner. Est-ce que j'aurais eu atrocement mal? Quelle sensation ça fait d’être en train de mourir? Puisque j’étais dans un rêve, est-ce que j’aurais vu la réaction de mon entourage? Aurais-je eu droit à la vision de mes amis qui pleurent ma mort? Ma mère dévastée qui regrette de n’avoir rien vu venir? Mais bon, ce rêve ne m’a pas donné l’occasion de me suicider. Peut-être est-ce un signe que je dois rester en vie?

Le mois de mai commence plutôt bien. J’ignore si c’est l’air printanier, les fleurs qui éclosent, ou le temps chaud qui s'annonce mais j’ai les idées moins noires que ces derniers mois. Je ne dirais pas que je déborde de joie de vivre mais la vie est moins sombre qu’elle ne l’a été cet hiver. Ce doit être le fait de parler avec Agathe une fois par semaine qui m’aide à me sentir moins lourde.

Une chance que j’ai trouvé cette psychologue. Avec elle, j’ai pu m’ouvrir comme jamais je ne l’aurais fait avec qui que ce soit. J’ai l’occasion de laisser ma vulnérabilité s’exprimer. Même si je dois l’admettre, je suis loin de l'extérioriser à fond. Mais j’y parviens tranquillement. Cette femme est d’une écoute incroyable et arrive à me faire comprendre bien des aspects de ma personnalité.

Le temps est magnifique dehors. Je reviens de courir. Je me permets d’y aller plus tard en soirée ces derniers jours car le soleil se couche beaucoup moins tôt. Je crois que c’est l'aspect du printemps que j’aime le plus ; les journées qui rallongent.

Je monte à la douche. Je savoure cette eau chaude qui me caresse tout le corps pendant que le couché de soleil orangé m’accompagne à travers la fenêtre.

Des simples petits plaisirs que tu n’as plus la chance de vivre, Math.

Sans prendre le temps de me sécher les cheveux, je mets de la musique et me laisse tomber sur mon lit.

Je repense au salon funéraire en bas de la ville. Ayant du temps à tuer, je sors mon téléphone et visite leur site Internet. Les valeurs et les objectifs de l'entreprise sont écrits sur leur page d'accueil. Le site est agrémenté de quelques photos qui permettent de voir, les cercueils, les urnes et les salles d’expositions. Les pièces sont imprégnées d’une belle luminosité apaisante. Les murs sont pâles, et les fenêtres sont grandes. C’est à la fois moderne et chaleureux. Sur ce site, je remarque qu’ils sont à la recherche de quelqu’un pour faire le ménage la fin-de-semaine. Intéressant. Et si je leur envoyais mon CV? J’ai seize ans et toujours pas de travail. Pourquoi pas. À bien y penser, j’aimerais cent fois mieux travailler dans un salon funéraire qu’avoir un job d’étudiant habituel poche comme tourner des boulettes dans une cantine ou être caissière. Je n’ai rien à perdre. Le projet m’emballe. Je vais directement dans la section « courriel » pour leur envoyer une demande d’emploi.

Bonjour. Je m’appelle Sarah Rivard, j’ai seize ans et je suis intéressée par le travail que vous offrez. Je termine bientôt mon secondaire et cet automne, je serai au cégep en sciences humaines profil psycho.

Je décide de spécifier mon profil car la psychologie peut toujours être un plus pour être acceptée dans un salon funéraire. Ça me rend plus humaine et peut appuyer le fait que je suis une personne compatissante.

Pour l’instant, je ne suis disponible que les fins-de-semaine mais l’été approche donc si vous en avez besoin éventuellement, je pourrais travailler en tout temps.

Merci d’avance pour votre retour. Passez une belle journée.
Cordialement,

Sarah Rivard


Je mets en copie conforme mon CV et j’envoie le tout.

Wow. Je viens vraiment d'envoyer une demande d'emploi sur un coup de tête? Je m’impressionne. J’espère que mon courriel n'était pas trop mauvais. C’est la première fois que je fais ça. J’ai bien hâte qu’ils me répondent.

* * *


La dernière fois que j’ai vu Mathias, c’était il y a à peu près deux ans. J’étais au centre ville avec ma mère. Pendant qu’elle magasinait des vêtements pour s'entraîner, j’étais partie déambuler dans une petite boutique à proximité du magasin de sport. En sortant, j’ai vu Mathias accoté à un lampadaire. Sur le coup, je ne suis pas allée le saluer. Je crois que j’étais impressionnée, voir intimidée. Il était beau, il semblait dégager une bonne confiance en lui. Je trouve qu’il avait des airs à la Kurt Cobain mais avec les cheveux plus courts. Il était en train de fumer. Ça m’avait choqué. Il n’avait que quinze ans et il avait une cigarette entre les doigts. Il la portait à sa bouche et en recrachait la fumée avec désinvolture. J’étais dégoûtée de le voir consommer cette saleté et à la fois charmée par cette allure sexy que ça lui donnait. Je me suis finalement approchée de lui.

- Salut Mathias.

Après avoir éjecté de la fumée de sa bouche, il s’est retourné en entendant son nom, et m’a souri en me voyant.

- Hey salut.

- Ça va? lui ai-je demandé un peu gênée.

- Oui, toi?

- Oui.

Nous avons échangé quelques banalités qui ne permettaient pas de savoir réellement ce que devenaient nos vies. Après ces quelques lignes de dialogue, j’ai rejoint ma mère et il est parti de son côté.

On ne s’est plus jamais revus.

- Allô, la Terre appelle Sarah.

- Hein quoi?

Je me lève la tête, Flavie me regarde avec insistance. Je sors de mes souvenirs et reviens parmi les élèves qui mangent et discutent au café étudiant.

- Je t’ai demandé si tu pensais bientôt faire ton examen de conduite.

Sa question me fait l’effet d’un poids mort qui me tire vers le bas. Ben non, je ne suis qu’une grosse lâche qui ne sait pas conduire. Je crois même que ce n’est qu’une question de temps avant que ma mère me le fasse remarquer.

- Non, je n’ai pas pris le temps de pratiquer, réponds-je d’un ton agacé. C’était le cadet de mes soucis.

- C’est ben correct, dit-elle en prenant une bouchée de sandwich. Chacun y va à son rythme.

Son commentaire m'apaise. Je me sens tout à coup un peu moins nulle de ne pas avoir pratiqué depuis des mois.

- Toi tu l’as fait? la relancé-je.

- Je passe l’examen pratique en fin-de-semaine. Je streeeesse.

- Je suis sûre que tu seras excellente, la rassuré-je.

- Merci, t’es fine.

Une fois assise à mon bureau, deux minutes avant que le premier cours de l’après-midi débute, je reçois un courriel du complexe funéraire Edgar Lavoie. À la fois excitée et nerveuse, je m’empresse d’ouvrir le message.

Bonjour Sarah,

Nous avons bien reçu votre courriel. Seriez-vous disponible ce samedi à 11h pour une entrevue? Si cette plage horaire ne vous convient pas, nous pourrons en trouver une autre. Bonne journée à vous!

Annick

Adjointe administrative et conseillère aux familles


Génial! Certainement que je suis disponible samedi à onze heures. Je lui réponds immédiatement pour l’en informer et envoie ma réponse tout juste au moment où la cloche sonne.

Voilà, je vais passer un entretien d'embauche. J’espère tellement qu’ils vont me prendre. Ce n’est peut-être qu’un job de ménage mais je vais leur montrer que je suis la personne parfaite pour ce poste et à quel point je suis motivée. Ils ne pourront pas me dire non. Je me vois tellement travailler à cet endroit. Je serais dans un environnement tranquille et serein. Je n’aurais pas à interagir sans arrêt avec des clients. Je n’aurais qu’à m’occuper de moi et de ce que j’ai à faire. La perfection.

* * *


Le samedi suivant, je me présente à mon lieu de rendez-vous comme prévu. Gênée, je m’approche de la secrétaire.

- Salut. Je viens pour voir Annick.
- Elle arrivera dans un instant, me répond gentiment la secrétaire.

Comme promis, une femme dans la quarantaine vient me rejoindre à l’entrée.

- Bonjour Sarah, je suis Annick, se présente-t-elle.

- Bonjour.

Elle m’invite à la suivre à l’étage et à m'asseoir dans son bureau. Pendant les premières minutes, elle me pose quelques questions auxquelles je réponds avec aisance. Assez facile comme entretien pour l’instant.

- Pour quelles raisons devrions nous vous choisir vous plutôt qu’une autre personne?

Ce n’est qu’un poste pour faire le ménage. On dirait qu’elle veut rendre ça plus important que ça ne l’est. Je ne suis pas en train de postuler pour la Nasa. Je me retiens de répondre que n’importe quel imbécile peut faire le ménage alors moi ou un autre, ça ne changerait rien. Non, en fait, il existe des gens qui font mal le ménage. Je surestime peut-être la capacité de certaines personnes. Je décide de me la jouer travaillante et passionnée. Ce qui est la vérité après tout.

- D’abord, parce que je ne suis pas du style à faire les coins ronds quand je nettoie. J’aide ma mère dans les tâches ménagères depuis mes onze ans alors je sais ce que c’est. Ensuite, j’aimerais vraiment travailler ici. J’adore l’endroit. Je trouve ça beau et paisible. Je serais motivée à venir travailler parce que je me sentirais bien.

Elle m’écoute attentivement tout en prenant des notes. Être analysée à ce point me met un peu mal à l’aise mais je commence à en avoir l’habitude avec Agathe. Ma psychologue détaille tous les recoins de ma tête. C’était effrayant au début mais maintenant je me sens plus à l’aise avec elle. Cette femme est la seule personne qui accueille pleinement mon deuil. Grâce à elle, j’ai pu avancer dans cette épreuve.

- Puis ces derniers temps, poursuis-je, j’ai réalisé que le deuil est quelque chose d’important qui doit se faire et qui ne doit pas être négligé. Ça me ferait donc vraiment plaisir de travailler dans une entreprise qui accompagne les gens dans ces dures périodes de leur vie.

Annick esquisse un petit sourire approbateur pendant qu’elle continue de noter Dieu sait quoi. Je pense avoir marqué un point avec cette réponse.

- Quelle serait ta plus grande qualité, me demande-t-elle en relevant la tête vers moi.

- Euh… Je dirais l’empathie, tenté-je. J’arrive facilement à me mettre dans la peau des autres. Je ne suis pas du genre à juger sans connaître.

- D’accord, acquiesce-t-elle. Et ton principal défaut?

Cette question m’amuse. Imaginons quelqu’un qui répond avec une totale honnêteté : Je suis un vrai chien sale. Je me retiens de pouffer de rire.

Mon sérieux revient et je réponds à Annick.

- J’ai beaucoup de mal à me montrer vulnérable, admeté-je.

L’adjointe administrative continue de me poser quelques questions en lien avec le travail qui se fait dans l’entreprise, par exemple, si je suis à l’aise avec le fait qu’il y ait des personnes décédées dans la bâtisse. Je lui assure que ça ne me pose aucun problème. Je n’avais même pas réalisé que je travaillerais dans un lieu où se trouvent des cadavres. Pourquoi cela me dérangerait? Ils sont morts.

À la fin de l'entrevue, elle m’informe qu’elle me redonnera des nouvelles au début de la semaine prochaine. Nous nous serrons cordialement la main et je quitte son bureau.

En sortant, je prends le temps d’observer l’intérieur du complexe funéraire. J’espère vraiment que je vais travailler ici. Je passe devant leur présentoir à cercueils. C’est si joli, j’adore. Une dizaine d’échantillons de cercueils sont exposés sur un pan de mur. Je m’approche pour tâter l’un d’eux fait en bois. J’aime la texture du bois verni. C’est doux au toucher. Celui à côté est bleu poudre. Comme une enfant curieuse, je passe mes doigts sur celui-là aussi.

- Est-ce que je peux vous aider?

Je sursaute et me retourne pour faire face à celui qui m’a apostrophée. Un homme dans la jeune quarantaine me regarde. Il est très beau et élégant dans son complet chic.

- Non, non… Je partais.

- Oh, tu es venue pour l’entrevue?

Il s’est tout de suite mis au tutoiement. Ce doit être parce qu’il a constaté mon jeune âge en voyant mon visage.

- Oui, c’est ça.

- Moi c’est Maxence, se présente-t-il en s’approchant pour me tendre la main.

- Sarah, dis-je en répondant à sa poigne.
- On aura peut-être la chance de devenir collègues, me dit-il chaleureusement.

- Ça se peut. À plus peut-être, le salué-je en me dirigeant vers la sortie.

- À plus, sourit-il en se retournant.

Je sors de cet endroit avec un vent d’espoir qui me pousse dans le dos. Pour la première fois depuis des mois, j’ai l’impression que la vie commence à en valoir la peine.

Oui mais Math s’est pendu.

Je grimace à cette pensée qui me parasite à nouveau.

Mathias, est-ce que je pourrais être un minimum heureuse? Je t’aime beaucoup mais ce que tu as fait me donne le cafard.

Aux moments où je ne m’y attends pas, je revois encore Mathias se suicider. Ce cauchemar éveillé me harcèle sans cesse. Je voudrais pouvoir me l’arracher de la tête.

* * *


Je me tiens de moins en moins avec Rose et cette distanciation ne semble choquer personne. On se voit lors des pauses entre les cours et les heures de dîner mais on ne passe pas vraiment notre temps ensemble. Elle est surtout avec William. Je constate qu’Émile s’est quelque peu éloigné de son ami lui aussi. Ces derniers temps, il traîne plutôt avec des gars de sa classe. Puisque les examens de fin d’année approchent, je me concentre davantage sur mes révisions. Au début du mois, Flavie m’a rejointe à la bibliothèque et depuis, on s’y installe presque tous les midis. Parfois, il nous arrive aussi de crécher au café étudiant. On ne parle pas tout le temps mais je me sens bien en sa présence et je crois que ce sentiment est réciproque.

- J’ai tellement hâte au cégep, bougonne-t-elle dans son cahier de sciences. Je n’aurai plus à me farcir des fucking cours de sciences et j'étudierai enfin que des trucs que j’aime.

J’esquisse un sourire amusé.

- C’est pas si mal les sciences.

- Pour moi oui. J’ai hâte de n'avoir que des cours qui touchent aux arts et à la littérature, rêvasse-t-elle.

Contrairement à mon amie, je n’ai pas de si hautes attentes envers mon choix de programme. J’ai peur d’être déçue, de ne pas être à ma place. Si la psycho n’est pas faite pour moi, quel domaine le sera?

- As-tu envie qu’on fasse quelque chose ensemble après l’école ce soir? propose mon amie. J’ai besoin de sortir.

Son invitation me fait plaisir mais je suis obligée de décliner son offre.

- J'adorerais mais j’ai un rendez-vous.

- Est-ce trop indiscret de te demander quel est ce rendez-vous?

- Pas du tout. Je vais voir ma psy.

- Tu vois une psy! s'exclame-t-elle. C’est bien. Depuis quand?

- Quelques semaines.

- T’aimes ça?

- Oui vraiment.

Ma sonnerie de cellulaire interrompt notre conversation. Salon funéraire Edgar Lavoie sur l’afficheur. Mon coeur fait un bond dans la poitrine.

- Oh my god!

Je décroche aussitôt. J’espère tellement que cet appel n’a pas pour objectif de me rejeter comme potentielle employée.  

- Allô? dis-je en décrochant.

- Bonjour, fait la voix à l’autre bout du fil. Est-ce que je parle à Sarah Rivard?

- Oui, c’est moi, confirmé-je en cachant ma nervosité.

- Bonjour Sarah. J’ai le plaisir de t’apprendre que tu as le poste comme femme de ménage chez Edgar Lavoie, m’annonce celle que je crois être la secrétaire.

- Oh génial, m’enthousiasmé-je soulagée.

- Es-tu disponible demain soir pour ton training?

- Bien sûr.

- Parfait alors on t’entend pour dix-sept heures.

- D’accord. À demain.

- Bonne journée.

Je raccroche, le sourire béat aux lèvres.

- Il y a une bonne nouvelle? demande Flavie, le regard espiègle.

- Oui! J’ai une job.

- Oh félicitations! Tu vas travailler où?

- Chez Edgar Lavoie comme femme de ménage à temps partiel.

- C’est quoi Edgar Lavoie?

- Un salon funéraire.

- Ayoye! s'étonne-t-elle. C’est dont ben insane.

- Je sais. Je trouve ça tellement cool.

- Tu m’en donneras des nouvelles.

- Certain, lui souris-je.

Commentaires

  1. Je crois bien que la vraie Sarah revient à la vie lentement. C’est bien

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